L’urgence sociale est victime, selon le sociologue Édouard Gardella, du changement d’orientation de la politique de
lutte de l’exclusion dans un contexte de rigueur.
Edouard Gardella est doctorant à l’Institut des sciences du politique de l’ENS de Cachan. Il publie, avec Daniel Cefaï,
directeur d’étude à l’EHESS, "L'urgence sociale en action. Ethnographie du Samu social de Paris" à l’automne, aux éditions de la Découverte. (à lire: L'Etat démantèle le Samu social)
«L’urgence sociale, cela n’intéresse plus personne », a déclaré Xavier Emmanuelli au moment de quitter
le
Samu social. A-t-il raison ?
Edouard Gardella. Aujourd’hui, beaucoup d’associations s’occupent de l’urgence sociale. Cependant,
certaines d’entre elles ont récemment formulé des critiques très sévères à son égard. Médecins du monde avait, en 2005, distribué des tentes aux plus démunis à Paris pour manifester contre la
mauvaise qualité de l’hébergement d’urgence et contre la durée de l’accueil, limité à une seule nuit, ce qui imposait aux sans-abri de changer de centre d’un jour sur l’autre. En 2006, le
manque de logements a été fortement rappelé par le mouvement des Enfants de Don Quichotte qui a été suivi par d’autres associations comme Emmaüs ou le Secours catholique. Cela a débouché sur la
conférence du consensus organisée par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars) en novembre 2007 pour demander que le logement devienne une
priorité de l’action publique en direction des personnes sans-abri, à côté de l’hébergement d’urgence. Sous la pression, le premier ministre a demandé un rapport à Étienne Pinte. Cela
a permis la création d’une délégation visant
à organiser le dialogue entre
l’État et les grandes associations,
d’une part, et à rapprocher l’action de l’hébergement de
celle du logement,
d’autre part.
Comment expliquer l’évolution vers
la politique du « logement d’abord » ?
Edouard Gardella. Ce sont les leçons de l’expérience. Quand Xavier Emmanuelli a fondé le Samu social de
Paris, en 1993, son but premier a été de prendre
des mesures d’urgence pour
des personnes jusque-là invisibles. Avec les maraudes, il est allé vers des personnes en incapacité
de faire
valoir leurs droits sociaux. Cela a mis un peu de temps à être accepté par les pouvoirs publics locaux. Aujourd’hui, la situation n’est plus la même. Avec une crise du logement de plus en plus
aiguë et un marché de l’emploi de l’exclusion est devenu structurel. Les mesures d’urgence sont nécessaires pour les personnes qui arrivent dans la rue mais sont insuffisantes
pour réintégrer les personnes dans le logement.
Justement, le ministre du Logement, Benoist Apparu, a voulu rassurer en indiquant que 4 000 places d’hébergement
supprimées
seraient remplacées
par 4 000 logements…
Edouard Gardella. Cette équation
ne tient pas la route si l’on ne précise pas pour quel type de logement
et à quel type de public elle s’applique. Les logements sociaux actuellement construits ne sont pas accessibles aux plus démunis. Un accompagnement par des personnes ayant des compétences
psychologiques
et sociales est aussi indispensable pour faire passer des sans-abri d’un hébergement d’urgence, collectif, à un logement
individuel. Xavier Emmanuelli, lui aussi, voulait
développer le logement. Son modèle, c’était l’urgence médicale, qui vise à orienter ensuite vers d’autres structures, spécialisées.
Alors, comment développer
le logement ?
Edouard Gardella. La conférence du consensus avait émis le souhait de consolider le secteur de
l’hébergement, de le rendre durable afin que les sans-abri puissent s’y reposer, s’y reconstruire, tout en développant une politique du logement plus diversifiée pour la rendre accessible à un
public hétérogène. Benoist Apparu n’a pas choisi cette option en choisissant de diminuer l’hébergement, en attendant que le logement se développe. Ce que l’État gestionnaire a en tête,
c’est de réduire le plus coûteux. Certaines associations le mettent en garde
de ne pas jouer le logement
contre l’hébergement. Car
les conséquences sont brutales. La baisse de
25 % du budget des nuitées d’hôtel, coûteuses, mais qui permettent d’ajuster l’offre
et la demande d’hébergements,
va envoyer des sans-abri vers
des structures où ils n’avaient
plus
leur place, comme les hôpitaux. Pis, elle va mettre
des femmes et des enfants à
la rue, de plus en plus nombreux depuis dix ans à bénéficier
du Samu social.
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Entretien réalisé par
Pierre Duquesne