Budget
Pour réduire le déficit public,
la gauche propose une révolution fiscale à Bruno Le Maire
Alors que l’Insee annonce un déficit public de 5,5 % du PIB, le gouvernement entend s’entêter dans sa volonté de réaliser 10 milliards d’euros d’économies. La gauche lui a opposé, mardi, toute une série de réformes fiscales à même de multiplier les recettes pour rétablir aussi bien les comptes que la République sociale.
Humanité
Le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire s’exprime lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale à Paris le 26 mars 2024.
© JULIEN DE ROSA / AFP
C’était son jour.
Avec l’annonce de l’Insee sur le niveau du déficit public de la France, établi à 5,5 % du PIB en 2023, Bruno Le Maire est devenu la cible de toutes les attentions. C’est donc sans surprise qu’un intense brouhaha s’est élevé des travées de l’Assemblée nationale lorsque le ministre de l’Économie s’est avancé au micro pour répondre, mardi, aux nombreuses interpellations des députés.
« Avant 2019, nous avons rétabli les finances publiques sous les 3 %, personne ici ne peut en dire autant ! a-t-il claironné. Ensuite, il y a eu le Covid, puis l’inflation… » Des réponses insuffisantes aux yeux des parlementaires, qui, face à la situation actuelle, jugent le ministre « discrédité et décrédibilisé ». « On n’a pas vu venir le fait qu’au bout d’un moment les recettes finiraient par se tasser », a même reconnu le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.
« Si les recettes ne sont pas au rendez-vous, c’est avant tout dû aux cadeaux fiscaux offerts aux détenteurs de capitaux »
Il ne fallait pourtant pas être grand clerc pour mesurer qu’à force de baisser les impôts, en particulier ceux des plus riches, le gouvernement s’exposait à de sérieux trous dans la raquette. De ce point de vue, l’état économique de la France tient davantage aux choix opérés qu’aux conjonctures.
« Ce qu’il manque, ce sont des recettes, mais êtes-vous prêts à l’entendre ? L’austérité n’a jamais engendré la prospérité ! » a ainsi lancé le député PS Stéphane Delautrette, alors que Bruno Le Maire prévoit, pour sa part, de baisser la dépense publique de 10 milliards d’euros cette année, et 25 milliards l’an prochain…
« Qui, aujourd’hui, est surpris de la hauteur du déficit ? interroge le député FI Éric Coquerel. Si les recettes ne sont pas au rendez-vous, c’est avant tout dû aux cadeaux fiscaux offerts aux détenteurs de capitaux et aux aides aux grandes entreprises sans contreparties. Il est temps de permettre à l’État de récupérer l’argent dilapidé pour quelques-uns. » En tant que président de la commission des Finances, celui-ci avait d’ailleurs adressé, en novembre 2023, à Élisabeth Borne, alors première ministre, une feuille de route permettant de récupérer 43 milliards d’euros.
Parmi les mesures proposées, la suppression progressive des allégements de cotisations sociales issus de la pérennisation du Cice, la fin de la niche Copé, qui permet l’exonération sur les plus-values lors de la vente d’une société d’exploitation par une holding familiale, ou encore l’exclusion de la TVA à taux réduit à 10 % des billets d’avion de vols intérieurs… Des propositions restées à l’époque lettre morte.
Pourrait-on aller encore plus loin ? C’est l’avis du député PCF Sébastien Jumel, qui pointe du doigt la « manne » que représentent l’ensemble des niches fiscales. En juillet 2023, la Cour des comptes indiquait qu’elles représentent une perte de 94,2 milliards d’euros pour la puissance publique. À ce trésor, la socialiste Christine Pirès-Beaune ajoute celui des exonérations de cotisations sociales pour les entreprises qui, dans le budget 2024, atteignent 75 milliards d’euros… « Il faut remettre à plat tout notre système fiscal ! » tonne-t-elle.
Un avis largement partagé bien au-delà des seuls rangs de la gauche. « Il est nécessaire de demander des efforts aux plus riches, insiste le député Liot Charles de Courson. Sur les bénéfices, les dividendes, le rachat d’actions ou l’évasion fiscale, il est urgent de durcir la législation.
Et pour cela, il faut un projet de loi de finances rectificative, le dernier PLF étant obsolète de par les prévisions de croissance du gouvernement beaucoup trop optimistes pour être sincères. » Demande rejetée lors de la séance de questions au gouvernement par Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics.
Le retour d’un projet de taxation des super-profits ?
Bien que moins offensive, Aude Luquet, députée Modem, appelle de son côté l’opposition à « trouver des solutions transpartisanes » et à « travailler sur les recettes », notamment sur la taxation des superprofits.
Une possibilité qui fait son chemin dans les rangs de la majorité présidentielle, en particulier depuis la prise de position de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a réclamé ce vendredi « d’entamer la réflexion » sur une « contribution exceptionnelle » des grandes entreprises en cas de « superprofits », de « superdividendes » ou de « rachats d’actions massifs » : « Ça me paraît être quelque chose qu’il faut poser dans le débat », a-t-elle déclaré.
Si Bruno Le Maire l’exclut fermement, Éric Coquerel entend se saisir des déclarations du quatrième personnage de l’État pour obtenir un front transpartisan dans ce but. « Moi, je lui dis » chiche ! » lance-t-il au sujet de la position de Yaël Braun-Pivet. Je vais me tourner vers les autres groupes pour obtenir ce premier pas. Je regrette juste que, à l’époque de l’adoption de la dernière loi de finances, celle-ci ait été derrière le 49.3 qui a enterré les amendements transpartisans allant dans ce sens. »
Parmi eux, une mesure, inspirée d’une vieille proposition du Modem, visait à majorer de 5 points le prélèvement sur les revenus distribués par les grandes entreprises à leurs actionnaires, si ceux-ci sont supérieurs de 20 % à la moyenne des revenus distribués entre 2017 et 2021. Les fameux « superdividendes ». Possibilité balayée par la Macronie.
Mais ses rangs tanguent désormais. Les comptes sont mauvais, et le gouvernement refuse tout examen de conscience, persuadé que c’est à travers une nouvelle purge contre les plus modestes qu’il s’en sortira. La seule taxe sur les superprofits aurait pourtant pu rapporter près de 10 milliards d’euros en 2023. Et la gauche, unanime pour refuser tout « chantage à la dette publique », porte plusieurs solutions partagées d’un parti à l’autre.
Il s’agit d’opérer une « révolution fiscale » avec de nouvelles tranches d’impôt sur le revenu, le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), la refonte de l’impôt sur les sociétés pour établir l’égalité entre les PME et les grands groupes, la suppression de la flat tax sur les dividendes et les intérêts, ou encore la hausse des droits de succession sur les plus hauts patrimoines…
Sans oublier, bien sûr, d’évaluer chacune des niches fiscales et de supprimer celles qui sont « injustes, inefficaces socialement ou nuisibles écologiquement ». De quoi récupérer largement plus de 100 milliards d’euros par an, au service de l’intérêt général. Il va sans dire que Bruno Le Maire, d’un coup, apparaît comme bien mauvais trésorier.