Robert Ballanger nous a quittés il y a trente ans, le 26 janvier 1981. Il avait 69 ans. Il reste pour moi un compagnon de
lutte, un maître en politique, un ami. À sa demande, j’ai été son suppléant à l’Assemblée nationale de 1978 à 1981. Au cours de cette période, j’ai pu observer sa sensibilité à la souffrance
humaine, son souci des plus humbles, son sens aigu de l’intérêt général. Dans un monde où l’opportunisme passe pour une vertu, Robert a toujours su rester fidèle à ses engagements et à ses
convictions, sans jamais se renier. Je veux ici évoquer ce destin hors du commun, les combats qu’il a menés dès sa jeunesse et aussi les efforts qu’il a déployés pour le développement de nos
territoires.
Un homme du peuple
Robert Ballanger était avant tout un homme du peuple et un authentique communiste. Né le 2 novembre 1912 à Nantes, il rejoint
le Parti communiste français, pour ses vingt ans, en 1932. Dès lors, sa fidélité aux idéaux de son premier engagement ne se démentira pas.
Employé au ministère des Colonies à Nantes, il perd son emploi pour fait de grève en 1938. Les fonctionnaires n’ont pas le
droit de grève à l’époque. Mobilisé en 1939, il prend sa part dans les combats contre l’offensive nazie et se retrouve pris dans la nasse de Dunkerque. Il parvient à passer en Grande-Bretagne. Il
sera rapatrié à Nantes quelques semaines plus tard.
Une des périodes les plus marquantes de son existence commence alors, celle de la Résistance. Dès 1939, il ne partage pas la
ligne légaliste et pacifiste défendue par la direction du PCF après la signature du pacte germano-soviétique et les débuts de l’occupation allemande. Son attachement au combat antifasciste
l’amène immédiatement à l’idée de résistance. Comme d’autres communistes, il est partisan de la lutte contre l’occupant. Avec deux autres de ses camarades, Marcel Paul et Venise Gosnat, il s’est
débrouillé pour récupérer des armes abandonnées lors des combats. Il les a cachées en prévision des actions dont il ne doute pas qu’elles seront à mener. En octobre 1940, il échappe de peu à
l’arrestation par la Gestapo.
Un an plus tard, en octobre 1941, il participe à l’organisation des légendaires Francs-Tireurs Partisans, l’organisation de
la Résistance créée à l’initiative du Parti communiste et dirigée par Charles Tillon. Robert Ballanger en assure la direction pour la région Centre, avant de rejoindre les dirigeants de la région
de Paris. À la Libération, en 1944, il devient vice-président du comité de Libération de Seine-et-Oise.
Artisan de la renaissance du Parti communiste clandestin, Robert Ballanger entre au Comité central en 1945. Il en sera membre
pendant 27 ans, d’abord jusqu’en 1950 puis de 1959 à sa mort.
Une lutte permanente pour améliorer la vie
C’est aussi en 1945, à 33 ans, qu’il entre à l’Assemblée constituante. Il sera de toutes les législatures de la IVe puis de
la Ve République, d’abord député en Seine-et-Oise, avant la Seine-Saint-Denis en 1967. Il n’assumera pas moins de quatorze mandats.
Son activité parlementaire laissera une empreinte mémorable sous bien des aspects. Ainsi, pour la seule législature 1973 –
1978, il ne portera pas moins de 301 propositions de lois au nom du groupe des députés communistes. Ses interventions portent beaucoup sur l’approfondissement de la démocratie, l’amélioration de
la vie quotidienne et le renforcement du rôle du Parlement, largement bafoué sous la Ve République.
Membre de la commission de l’Intérieur à partir de 1947, il prend part aux grands débats qui agitent la Chambre des députés
sous la IVe République. Mais surtout, Robert Ballanger ne manquera nulle occasion de marquer son soutien au mouvement de décolonisation qui constitue le fait marquant de cette époque. En décembre
52, il s’exprime sur la situation en Tunisie et au Maroc. En juillet 1953, il réclame une commission d’enquête sur le trafic des piastres en Indochine, un vaste scandale impliquant, entre autres,
les partis de droite.
Avec la guerre d’Algérie, son courage et sa fidélité aux valeurs qui restent encore les miennes aujourd’hui auront encore
l’occasion de s’exprimer. Toussaint 54 : l’Algérie, alors département français, se soulève. Partout dans le pays, le Front de Libération National fait entendre son aspiration à l’indépendance. Le
gouvernement Pierre Mendès-France entend ne rien céder. La répression sera sanglante et débouchera sur huit ans de guerre sans merci. Globalement, la classe politique fait bloc derrière le
président du Conseil.
Fidèle à ses engagements, de la Seine-Saint-Denis à l’Assemblée nationale
La voix puissante de Robert Ballanger qui s’élève, le 9 novembre 1954, dans l’hémicycle, au nom du groupe communiste, semble
bien isolée. Il apporte son soutien aux « justes aspirations du peuple algérien à la liberté ». C’est le seul groupe politique de l’Assemblée qui montrera sa détermination à cette
occasion. Le 5 janvier 1955, il prend part à l’interpellation du gouvernement sur sa politique en Afrique du Nord. Le 5 février, lors de la séance qui amènera la démission du cabinet
Mendes-France, il revient à la charge et prône la liberté pour l’Algérie. Il vote le 31 mars 1955 contre l’instauration de l’état d’urgence en Algérie. Le 4 octobre 1956 enfin, avec une dizaine
d’autres députés et le soutien de son groupe, il demande la formation d’une commission d’enquête « sur les tortures pratiquées par la police en Algérie ». Dans son intervention, il
n’hésite pas à dresser un parallèle entre les pratiques de Vichy et celles de la police du socialiste Guy Mollet, alors président du Conseil. « Les tortionnaires se sont particulièrement
acharnés sur trois femmes, dont l’une, ex-conseiller général, avait déjà été torturée en 1941 par les bourreaux qui sévissaient sous le régime de Vichy. De tels procédés soulèvent l’indignation
et l’horreur chez les honnêtes gens quelle que soit par ailleurs leur opinion sur la guerre d’Algérie. » Croyez-moi, dans le contexte de l’époque pour défendre une telle position, il ne
fallait pas manquer ni de courage, ni de témérité. Jusqu’à l’obtention de l’indépendance algérienne en 1962, Robert Ballanger soutiendra la lutte du peuple algérien.
Sa carrière se poursuit sous la Ve République avec le même engagement, la même fidélité à ses idéaux communistes. Le 1er juin
1958, il refuse de voter l’investiture du général De Gaulle, appelé par la droite et la gauche socialiste et présenté comme le sauveur de la France. Le lendemain, il s’opposera aussi au vote des
pleins pouvoirs en faveur de ce dernier président du Conseil de la IVe République qu’a été le général De Gaulle.
Aux élections législatives de novembre 1958, il est des 10 députés communistes élus. Ils étaient 150 lors de la précédente
législature. L’iniquité du nouveau mode de scrutin ne leur permet même pas de constituer un groupe parlementaire. Pourtant, à la proportionnelle, avec leur résultat de 18,3 %, ils avaient droit à
82 parlementaires. Il devient député de Seine-Saint-Denis, département dont la création est annoncée par décret depuis 1964, aux élections législatives de mars 1967. La huitième circonscription
couvre les communes d’Aulnay, du Blanc-Mesnil, de Sevran, de Villepinte et de Tremblay.
Ses multiples interventions à l’Assemblée nationale, son charisme, ses qualités de tribun populaire toujours prêt à défendre
les victimes d’un système qu’il combat le font redouter de ses adversaires politiques. Ses qualités le placent comme l’un des députés communistes les plus écoutés dans l’hémicycle. Tout
naturellement, en 1964, il succède à Waldeck-Rochet à la présidence du groupe communiste à l’Assemblée. Mais ne nous y trompons pas, le Parti n’a pas toujours été tendre pour cet esprit libre et
indépendant qui ne sacrifiait jamais aux manœuvres des arrière-cours politiciennes. Au XIIe Congrès du PCF, en avril 1950, il est écarté du Comité central comme 26 autres. La direction tient en
suspicion les résistants et les anciens des Brigades internationales qui ont combattu le fascisme en Espagne entre 1936 et 1938. De plus, on soupçonne Robert de sympathie pour Tito, le dirigeant
yougoslave qui a rompu peu avant avec Moscou. Un grief de plus contre lui. Il ne revient, dans l’instance délibérante du PCF, que lors du XVe congrès, en 1959, trois ans après le XXe congrès du
Parti communiste de l’Union soviétique marquant la fin du stalinisme.
La défiance de Georges Marchais, secrétaire général du PCF depuis 1972, à l’égard de l’action parlementaire contribuera à
minimiser la présence du président du groupe communiste qu’est toujours Robert Ballanger. Les députés communistes et leur président sont tenus à distance. Cela n’empêchera pas Robert d’assumer
pleinement ses fonctions de chef de file du groupe parlementaire. Il se consacre aussi beaucoup à la ville d’Aulnay dont il est le maire depuis 1971 et aux territoires de
Seine-Saint-Denis.
Aulnay-sous-Bois : fin des années 1970, Robert Ballanger, accompagné de François Asensi (en rouge) et Pierre Thomas (en
bleu), inaugure le Parc urbain, qui portera son nom par la suite © Bernuzeau
Du local à l’international, un homme inscrit dans l’histoire
Au cours de cette période de sa vie parlementaire, on l’entend un peu moins au plan national, même si, pour autant, son
activité ne se relâche pas. En 1976, dans le débat sur l’élection au suffrage universel du Parlement européen, il est critique. À ses yeux, cette décision vise à renforcer le capitalisme européen
tout en affaiblissant les forces politiques de progrès, et particulièrement les Partis communistes français et italiens. Robert a l’indépendance nationale vrillée au corps et il se défie de
l’atlantisme et de ses déviances. Le devenir de l’Europe lui donnera raison.
Trois mois avant sa disparition, à l’hiver 1980, alors que le débat autour des présidentielles fait rage au sein de la
gauche, il sortira de sa réserve dans une interview au Monde. Interrogé sur l’union autour de François Mitterrand, il n’hésite pas à répondre qu’il ne votera pas le 10 mai « pour un socialiste
atlantiste ». Dans le même entretien, il refuse de se prononcer lorsqu’on lui demande si Georges Marchais serait le meilleur candidat possible pour les communistes. Il élude la question en
rappelant que la décision appartiendra à la conférence nationale réunie à cet effet.
Si les interventions et les combats de Robert Ballanger sont restés dans l’histoire, on oublie trop souvent l’énergie
inlassable qu’il a déployée comme maire d’Aulnay. Ce mandat, il l’a honoré de 1971 à 1978, avant de passer la main à Pierre Thomas. On lui doit la modernisation de la ville d’Aulnay-sous-Bois,
telle que nous la connaissons aujourd’hui, et la création de toutes les zones d’activité existantes. Robert Ballanger était proche des gens, des citoyens, des travailleurs. Avec lui, j’ai
participé à la lutte contre la fermeture d’Idéal-Standard, en 1975 (voir interview sur ce blog). La
fonderie devait mettre la clé sous la porte, laissant plusieurs centaines d’ouvriers sur le carreau et une plaie béante dans le tissu urbain. Nous nous sommes battus jusqu’au bout pour éviter le
pire, occupant l’usine, multipliant les rassemblements. En vain. L’usine a finalement fermé. Robert mettra un point d’honneur à favoriser la reconversion des terrains en friche. Il multipliera
les démarches et les contacts pour ne pas laisser ce vide dans la ville, jusqu’à l’implantation de la zone de Chanteloup que nous connaissons aujourd’hui. Encore fallait-il préserver la mémoire
ouvrière du lieu. C’est ce que Robert met en œuvre en préservant les deux halles conçues par Eugène Freyssinet. Aujourd’hui, cette reconversion continue d’être citée en exemple parmi les
spécialistes de l’urbanisme.
Mais il fallait aussi, dans ces années qui suivent le premier choc pétrolier, soutenir l’emploi et l’activité économique, ne
pas laisser Aulnay et les territoires avoisinant ronger par le chômage et la pauvreté. Refuser qu’ils soient condamnés à la ghettoïsation. Robert contribue à l’implantation de Citroën sur sa
commune, en 1973. Pour compenser les pertes d’emplois dans d’autres entreprises, il soutient le développement du site. Il parvient à convaincre les dirigeants du fabricant automobile. Au plus
fort de son activité, entre 1978 et juin 2008, le site englobe une unité d’emboutissage, une unité de ferrage, une unité de peinture et deux lignes de montage, sur 170 hectares. De là
sortent les fameuses DS, puis les CX. Le décès prématuré de Robert lui épargne de voir les menaces s’accumuler sur cette épopée industrielle, à partir de 1982. Il ne verra pas les grandes grèves
des travailleurs de Citroën pour la défense de leur emploi et la reconnaissance de leur dignité.
Un fort engagement pour la banlieue
Il a soutenu et défendu l’hôpital public de la ville qui porte aujourd’hui son nom.
Dans son action de développeur et d’aménageur, Robert Ballanger ne s’est pas arrêté aux limites du territoire aulnaysien. Il
s’est impliqué dans l’avenir de cette partie de la Seine-Saint-Denis, parce qu’il en percevait les enjeux humains et politiques. Il est à l’origine du SEAPFA, le syndicat intercommunal,
regroupant Aulnay, Sevran, Villepinte, Blanc-Mesnil et Tremblay en 1971. Dans le domaine économique, on lui doit le développement de Garonor, à un moment où les investisseurs renâclaient à mettre
les pieds dans ce secteur. Aujourd’hui, le parc d’activité comprend 350 000 m² de locaux diversifiés. Et que dire de Paris-Nord 2 ? Là aussi Robert Ballanger s’est employé à attirer les
entreprises et les investisseurs. Hélas, il n’assistera pas à la pose de la première pierre du site qui se tient quelques mois après son décès.
Mais au-delà du développement économique, l’une de ses préoccupations essentielles demeurait le bien-être des habitants, le
soutien aux plus démunis, la lutte contre l’injustice d’où qu’elle vienne. Lors des deux permanences qu’il tenait chaque semaine, avec moi – son suppléant depuis 1978 –, nous avons pu mesurer la
souffrance qui accablait les plus vulnérables. Cette souffrance, les difficultés quotidiennes qui, à force de s’accumuler deviennent insurmontables, Robert les prenaient à cœur. On lui a reconnu
son sens de la convivialité, mais je puis vous affirmer qu’il prenait aussi la mesure des drames.
L’amélioration des conditions de vie dans les banlieues sera une de ses préoccupations majeures. Ainsi, le 22 mars 1946,
alors qu’il n’en est encore qu’aux débuts de sa vie parlementaire, il dépose un projet de résolution en tant que député de Seine-et-Oise visant à l’amélioration des conditions de vie des « mal
lotis ». Une injustice récurrente qu’il aura à combattre dans sa circonscription de Seine-Saint-Denis. Robert Ballanger participe ainsi de tous les combats sociaux de son temps. Il se trouve aux
côtés des familles menacées d’expulsion, des OS en lutte. De ces rencontres, il sait tirer l’expérience pour bâtir une proposition de loi destinée à insuffler plus de justice et plus d’humanité
dans notre société.
Être à l’écoute de ses concitoyens constituait pour Robert Ballanger une préoccupation permanente. En 1976, bien avant que
l’on ne parle encore de démocratie participative, il invite les Aulnaysiens à s’exprimer lors des Assises de la vie quotidienne. 8 000 personnes participeront aux débats organisés en différents
lieux de la ville, discuteront avec les élus, formuleront leurs propositions et leurs remarques. Tous en gardent le souvenir d’un grand moment de la vie démocratique. Dans le domaine culturel,
nul ne peut ignorer qu’il est à l’origine de l’Espace Jacques Prévert, haut lieu de la culture à Aulnay.
Trente après sa disparition, j’évoque encore les années passées à ses côtés avec fierté et émotion. Robert Ballanger fut un
grand résistant, un homme de conviction, un patriote, un aménageur infatigable, un grand communiste. J’ai beaucoup appris auprès de lui. Je me sens proche de la fidélité qu’il à toujours montré
envers ses engagements sans jamais rester prisonnier d’un carcan politicien, sans jamais faire allégeance. C’est pourquoi j’ai voulu lui rendre hommage et faire revivre son épopée par ces
quelques lignes.
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