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Le triomphe posthume de Lucien Sève
Le Club de Mediapart 25 04 2020
Lucien Sève a travaillé toute sa vie à développer une anthropologie marxienne. Le confinement actuel lui offre une victoire bien amère.
Lucien Sève est décédé le 23 mars des suites du Covid-19 et on ne peut pas dire que sa mort aura fait les gros titres des journaux. Quelques lignes dans Le Monde et Le Parisien le 24 mars, encore moins dans Libération.fr le 27, seul des grands quotidiens l’Humanité lui aura consacré un hommage important. Toute sa vie, il aura été traité en « chien crevé » par la philosophie française, comme le montre le livre d’entretien de Patrice Maniglier, La philosophie qui se fait. Bénéficiant d’une large couverture médiatique (double page dans Libération, article dans Le Monde, chronique sur France Culture, …), ce livre d’entretiens se propose de dresser un panorama de la philosophie française contemporaine, exhaustif et prospectif, comme l’exprime Philippe Petit dès sa première question.
Toutefois ce panorama « exhaustif et prospectif » qui propose une « extraordinaire "vue" sur le paysage philosophique contemporain » selon Libération, oublie complètement le travail de Lucien Sève, qui exprime pourtant des idées tellement opposées à celles que défend Patrice Maniglier que les passer sous silence pourrait se comprendre comme un refus de dialogue sur des thèses essentielles. En tout cas on est loin de l’exhaustivité déclarée en introduction, son nom n’apparaissant même pas dans ce livre de plus de 500 pages. On peut aussi souligner le peu de publicité donnée à la publication du travail qu’il avait engagé en 2003 sur La pensée Marx aujourd’hui, qui a donné lieu à quatre gros volumes (Marx et nous 2004, L’homme ? 2008, La philosophie ? 2014, Le communisme ? 2019), un cinquième devant paraître en 2020.
Des nombreux autres livres qu’il a publiés tout au long de sa vie, seul Marxisme et théorie de la personnalité a eu davantage de retentissement, avec cinq éditions en France et une traduction en vingt langues. Mais la discussion théorique qu’il engageait publiquement avec Althusser, alors philosophe marxiste mondialement reconnu et critique public du PCF quand Sève se refusait à le faire, n’a sans doute pas été pour rien dans le sort particulier fait à ce livre.
L’ironie morbide de la disparition de Lucien Sève des suites du Covid-19, c’est que la situation créée par ce dernier et qui a conduit pour l’instant au confinement d’au moins la moitié de la population mondiale, vient démontrer expérimentalement la validité de l’axe principal qui a guidé toute sa vie le travail philosophique de Lucien Sève : fonder une anthropologie sur cette pensée-Marx qu’il opposait au « marxisme » tel qu’il s’était développé tout au long du vingtième siècle, s’éloignant de plus en plus de Marx, au point d’avoir abouti à l’annonce médiatique de sa mort.
Ce travail de fondation, qui donnait un sens à parler d’individu pour qui se réclamait de Marx, s’est appuyé sur le commentaire, s’étendant sur plus de cinquante ans, de sa sixième thèse sur Feuerbach : « L’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité effective, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Et cette thèse s’oppose de manière frontale à cette conception largement dominante aujourd’hui, d’une nature humaine éternelle, qui trouve dans l’individualisme méthodologique des économistes néoclassiques son illustration la plus extrême. Si « l’homme » ne s’autorise que de lui-même, si seul son « libre-arbitre » est générateur de ses actes qui débouche sur le calcul rationnel de l’homo-œconomicus, si la société n’est que le résultat de ces volontés individuelles qui s’agrègent pour poursuivre leur propre intérêt, « l’ensemble des rapports sociaux » n’est au mieux que le décor où ces calculs rationnels se font et où ces volontés individuelles, toujours-déjà là dès la naissance (voire dès la conception) s’expriment.
Or ce que nous apprend le confinement, évidemment nécessaire dans la situation actuelle pour limiter l’expansion de la maladie, c’est qu’il a aussi de lourds effets négatifs. Une recension d’études faites par des psychologues du King’s College London souligne que « globalement, la plupart des études montrent une prévalence élevée de symptômes de détresse psychologique et de troubles mentaux chez les personnes confinées stress, des troubles de l’humeur, l’irritabilité et la colère, l’insomnie et le syndrome de stress post-traumatique ».
Autrement dit, les humains redécouvrent qu’ils peuvent difficilement vivre longtemps loin les uns des autres. Et on peut aussi constater en surfant sur le net avec quels trésors d’imagination, de créativité, ils tentent de préserver un minimum de rapports sociaux, via les écrans, les vidéos qu’ils réalisent et s’envoient ou les interactions à distance directes, comme ce parisien qui, tous les jours, organise un jeu entre les habitants de sa rue qui viennent à leurs fenêtres.
Et il y a plus que ces interactions spontanées qui se font pour retrouver une vie sociale « normale ».
Il y a aussi le travail qui se poursuit ou pas dans cette période de confinement, travail qui tient une place fondamentale dans les rapports sociaux qui font « l’essence de l’homme » puisque c’est dans ce rapport particulier que les hommes créent les bases matérielles de leurs conditions d’existence. Or, avant la crise, le travail, pour une grande partie de ceux qui en avait, loin d’être une activité enrichissante (sauf pour ceux qui le mettait en œuvre à leur profit), était marqué par des conditions de plus en plus dures (tendance à l’augmentation sur la vie active, horaires décalés, pression du management, baisse des indemnités chômage et de la protection donnée par le code du travail, …), mais aussi par des productions dont on commençait de plus en plus à questionner l’utilité réelle et dont on voyait de mieux en mieux les effets sur l’environnement et la santé.
Avec le confinement, quels sont les travaux qui perdurent ? Évidemment tous ceux qui concernent la santé, (des soins hospitaliers au ramassage des déchets ménagers ou la recherche de vaccins) et ceux qui les font s’y adonnent sans compter leur peine et sans calculer les risques qu’ils prennent, alors même qu’ils ont été mis sous tension par des politiques de santé criminelles pour des salaires indignes. Mais aussi tous ceux qui sont dans le ravitaillement (commerçants, caissières, manutentionnaires, chauffeurs, …) ou dans la sécurité (pompiers, policiers) indispensables à l’intégrité physique.
Et ce qui caractérise tous ces travaux en ce moment si particulier, c’est que ce qui les valorise, ce n’est pas d’abord une valeur d’échange source d’un profit qu’il faudrait maximiser, mais au contraire la valeur d’usage qu’ils apportent à la collectivité en maintenant les conditions minimales d’une vie désirable. Ce n’est pas le salaire (trop faible) qui motive ceux qui travaillent à continuer, c’est la conscience qu’ils sont indispensables à l’humanité dont ils sont membres. Le « travail » qui continue change de finalité et redonne un sens à des activités qui l’avaient perdu. L’un des enjeux de la sortie du confinement sera de ne pas retomber dans l’organisation sociale qui prévalait avant la crise sanitaire. Ce n’est pas gagné.
Les dernières années de sa vie, Lucien Sève alertait dans le vide sur la catastrophe anthropologique que nos modes de production et de consommation étaient en train d’engendrer, en sus de la catastrophe climatique en cours. Paradoxalement, le Covid-19 nous montre combien il avait raison. Il n’est peut-être pas trop tard pour éviter ces deux catastrophes, et les réactions de ceux qui travaillent encore laissent une lueur d’espoir. Y arriver serait le plus bel hommage que l’on puisse rendre à ce grand philosophe si injustement méconnu.
Il y a urgence ! Le billet du Dr Christophe Prudhomme. Pénibilité
L'Humanité Vendredi, 29 Mai, 2020
Christophe Prudhomme est médecin au Samu 93.
Les personnels hospitaliers sont confrontés à une pénibilité inévitable du fait de la nécessité d’assurer la continuité du service public, 24 h sur 24 et 365 jours par an. Les horaires décalés constituent aujourd’hui un des premiers facteurs influant négativement sur la santé des travailleurs. Nos métiers sont très féminisés et il faut savoir par exemple que le travail de nuit modifie notamment les cycles hormonaux, ce qui représente un facteur de risque du cancer du sein. Des pays comme le Danemark reconnaissent même celui-ci comme une maladie professionnelle pour les salariées soumises à ces contraintes.
Il est possible de soulager le travail en aménageant et en réduisant les horaires. La réduction du temps de travail à 32 heures par semaine pour les équipes de nuit constitue une avancée. Mais ces dernières années, la compensation par ce qu’on appelle la catégorie active, c’est-à-dire le fait de bénéficier d’un départ en retraite anticipé de 5 ans quand on a travaillé pendant 15 ans dans les métiers concernés, a été mis à mal. Une première fois par Roselyne Bachelot qui a vendu le passage en catégorie A, c’est-à-dire cadre, pour les infirmières avec comme contrepartie la perte de la catégorie active. La deuxième lame est constituée par la réforme des retraites votée en catastrophe juste avant le début de l’épidémie. Elle prévoit la suppression pure et simple de ce droit : il s’agit donc de travailler 5 ans de plus sans contrepartie. Cette mesure est particulièrement injuste quand on sait par exemple que plus de 30 % des aides-soignant.e.s partent aujourd’hui en retraite, en général vers 60 ans, avec un pourcentage plus ou moins important d’invalidité.
Pour le fameux « monde d’après », nous demandons l’abrogation de la loi sur les retraites, le maintien de la catégorie active pour les salarié.e.s qui en bénéficient encore, son rétablissement pour les infirmier.e.s qui l’ont perdue et son extension aux métiers qui en étaient jusqu’à présent injustement exclus.
Trop tard
Christophe Prudhomme est médecin au Samu 93.
Nous disposons maintenant de tests en quantité suffisante, mais la stratégie est difficilement compréhensible par les citoyens. Faut-il faire une recherche virale par prélèvement nasal ou un test sérologique ? Les dépistages systématiques ont-ils un intérêt et, si oui, dans quelles circonstances ? Tout un dispositif complexe de traçage a été mis en place avec les services de l’assurance-maladie dans le cadre des fameuses brigades sanitaires. Des chambres d’hôtel ont été mises à disposition en masse par les groupes hôteliers, qui voyaient là un espoir de remplir leurs établissements. De multiples applications numériques nous sont proposées, dont la très controversée StopCovid.
Voir aussi : StopCovid, un gadget présenté comme un outil miracle
Oui, mais visiblement – et heureusement –, l’épidémie semble marquer le pas et le nombre de nouveaux cas est faible, y compris dans mon département, la Seine-Saint-Denis, très durement touché. C’est bien beau, mais tout cela arrive trop tard. Nous aurions aimé avoir des tests, ainsi qu’un dispositif de traçage et d’isolement ciblé, simple, dès le début de l’épidémie. Cela n’a pas été le cas et c’est regrettable. Nous aurions pu sûrement éviter des morts… Vous allez me dire, vous n’êtes jamais content et vous critiquez tout. Je vous réponds non, car face à une épidémie de ce type, il faut savoir s’adapter au jour le jour et modifier sa stratégie pour mettre les bons moyens au bon endroit, au bon moment.
Voir aussi : Assemblée nationale. Les macronistes donnent le feu vert à StopCovid
Aujourd’hui, l’activité reprend et il faut mettre en place des dispositifs simples, avec les ressources locales, au plus près de la population. Il faut que le gouvernement soit cohérent dans ses décisions, pour rétablir la confiance perdue auprès des citoyens. Une des mesures emblématiques dans ce domaine est le maintien de l’interdiction de se promener dans des lieux ouverts, comme les parcs et jardins dans les grandes villes ou encore les plages. Il ne sert à rien, et c’est contre-productif, de stigmatiser ensuite les rassemblements dans les seuls lieux « autorisés », dont le nombre est restreint ! Faisons confiance aux citoyens, qui se sont montrés disciplinés, car, à la différence de certains pays qui ont connu des manifestations contre les mesures de confinement, cela n’a pas été le cas dans notre pays.
Monsieur le ministre, à quand un plan de sauvetage pour la culture ?
LR et LREM complices pour annuler la commission d'enquête des députés PCF sur le Covid 19
Publié le 28/05/2020 par PCF
Alors que les député-es communistes avaient déposé une proposition de commission d’enquête sur le Covid 19 le 8 avril dernier dans le cadre de leur droit de tirage, les deux groupes LR et LREM par la voix d’Eric Ciotti et de Richard Ferrand ont annoncé, hier à 20H30, qu’ils souhaitaient en mettre une autre en place, qu’ils dirigeraient, annulant de fait celle du groupe GDR.
C’est une manœuvre grossière pour empêcher le travail parlementaire d’un groupe, indépendant de la majorité, sur la gestion de la pandémie dans notre pays.
C’est encore une violation pure et simple des droits des député-es qui se voient ici privés de leur « droit de tirage » qui confère à chaque groupe parlementaire le droit de constituer, une fois par session, une commission d'enquête de leur choix.
Par un simple jeu de calendrier, sur lequel seule la majorité à la main, le Président Richard Ferrand va réussir à priver nos concitoyen-nes d'une commission d'enquête qui ne soit pas portée à la fois par le juge et les parties.
Fort de l'expérience de la commission d'enquête au rabais de l'affaire Benalla qui avait sérieusement écorné l'image de l'Assemblée nationale, nous souhaitions une commission d'enquête impartiale pour mettre à jour tous les dysfonctionnements révélés par la crise et empêcher qu'ils ne se reproduisent. Est-ce parce que la majorité le craignait qu'elle a déployé tant d'ingéniosité pour en empêcher les député-es communistes ?
C'est la question que nous leur poserons aujourd'hui même en provoquant un débat sur la création de la commission d'enquête menée par la République en Marche et les Républicains. Nos concitoyens qui souffrent tant de cette crise ont le droit de savoir.
Le cercle des conformistes
Chaque année, en début d’été, le « cercle des économistes », qui regroupe la petite armée des gestionnaires bien-pensants, se réunit pour sa grand-messe libérale, à Aix-en-Provence, entre platanes et opéra. Cette année, crise oblige, cette légion de conformistes et de gourous de la « vie d’avant » se rabat début juillet sur Paris, à la Maison de la radio (merci au service public pour la salle !).
Tous les « grands patrons » seront là (Valeo, Total, Orange, Société générale, Solvay, Axa, Moody’s, Airbus, Sanofi), épaulés par Bruno Le Maire, Christine Lagarde et l’inévitable Laurent Berger, toujours disponible pour ce genre de raout. Un raout pour quoi faire, au fait ? « Pour faire des propositions pour éviter une crise sociale », dit au Figaro Jean-Hervé Lorenzi, le chef du Cercle en question. Comme quoi la pétoche travaille les nantis et leurs amis.
Gérard Streiff
27 mai : journée nationale de la Résistance – La modernité du programme du CNR
27 mai : journée nationale de la Résistance – La modernité du programme du CNR
Ce mois de mai 2020 marque le 75e anniversaire de la chute du nazisme. La fin de ce fléau unique dans l’histoire de l’humanité est d’abord due au courage de tous ces soldats des armées alliées : Royaume-Uni, États-Unis, Union soviétique… À celui de tous ces Français qui s’y sont engagés, mais aussi, nous ne saurions l’oublier, de tous ces hommes issus des colonies, notamment africaines, ces « hommes noirs tombés en Flandres Dans la neige de chez nous » que chantait Aragon en 1949, demandant aux esprits oublieux : « Qui pour parler à vos cendres Se met jamais à genoux » ?
Aux côtés de ces armées régulières, la Résistance joua un rôle de premier plan : rôle militaire bien sûr, rôle politique aussi. Par les armes ou par les tracts, ces hommes et ces femmes, souvent jeunes, ont donné à voir une autre France que celle acclamée par Pétain et voulue par Hitler. Une France qui n’abdiquait pas l’ambition des Lumières et des révolutions.
On connait pourtant la chanson, doucereuse et hypocrite : tout cela est bel et bon mais appartient à l’ancien monde. Respect formel à ces combattants de l’ombre, mais ils n’ont rien à nous dire pour penser aujourd’hui et construire demain. Petit discours et fermez le ban !
Et pourtant, parce que la pandémie de Covid-19, dans toute sa brutalité, remet au cœur des discussions publiques les grandes questions, les grandes voix de la Résistance gagnent à être écoutées de nouveau. Quelle société voulons-nous être ? Celle où quelques « féodalités économiques » décident du sort commun ? Celle où un trader gagne mille fois plus qu’une infirmière ? Celle où le profit d’une poignée prime la santé de tous les autres ?
Bien sûr, hier comme aujourd’hui, certains chemins peuvent séduire quand s’aiguisent les difficultés ; mais la Résistance nous apprend qu’il s’agit d’impasses quand ils ont nom xénophobie, délation, nationalisme, abdication des libertés. L’extrême droite n’a jamais de solution viable. A contrario si on parcourt le programme du Conseil national de la Résistance avec les questions que nous nous posons aujourd’hui… Ne nous faut-il pas construire, pour relever les défis du présent, cette « véritable démocratie économique et sociale impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », comme y appelait le programme de 1944 ? À l’heure des profits indécents et des risques insensés, ne faut-il pas « une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » ? Et, pourquoi ne pas le dire, alors qu’on a dépecé des décennies durant l’appareil productif national, ne faut-il pas le « retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » ?, « le droit au travail et le droit au repos », « un rajustement important des salaires et la garantie d’un niveau de salaire […] qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine » ? On pourrait citer encore longuement ce programme dont la modernité frappe tant dans notre monde qui chemine depuis bien des années sur une pente directement opposée.
Bien sûr, tout n’est pas dans ce programme, lui-même objet de compromis entre des forces différentes. (Après tout, c’est bien de Gaulle qui, en 1967, porte un des plus rudes coups à cette fille aînée de la Libération, la Sécurité sociale.) Même le projet qui servit de base aux discussions communes, proposé par le communiste Pierre Villon, était écrit dans cet esprit mêlant exigence de répondre aux questions objectivement posées par la situation du temps et recherche d’un accord large permettant une mise en œuvre effective. Mais justement, là réside peut-être une des plus stimulantes réussites de la Résistance : allier exigence, cohérence et rassemblement. Cela ne se décrète pas, s’inscrit dans des configurations nationales et internationales très particulières, mais cela n’interdit pas de réfléchir.µ
Guillaume Roubaud-Quashie, membre du CEN.
IL Y A URGENCE ! LE BILLET DU DR CHRISTOPHE PRUDHOMME. ESPÉRANCE
L'Humanité Mercredi, 27 Mai, 2020
Christophe Prudhomme est médecin au Samu 93.
Espérance est aide-soignante en Ehpad. Elle était en grève ce lundi (voir notre article - NDLR). Dans un groupe privé lucratif, ce n’est pas facile de se mobiliser. Mais depuis deux ans, avec la CGT, un syndicat a été créé et la solidarité du petit groupe lui a donné le courage de sortir devant l’établissement avec sa chasuble rouge pour demander le versement de la fameuse prime promise par le gouvernement mais qui, dans le privé, est laissée au bon vouloir des patrons. Elle préférerait une augmentation de salaire car, avec 1 400 euros, les fins de mois sont difficiles avec ses deux enfants. Alors une prime de 1 500 euros, ce sera un ballon d’oxygène.
Mais la liste des revendications est longue dans son établissement. D’abord, des effectifs supplémentaires. Car il n’est pas possible de faire la toilette d’un résident confiné au lit en 10 minutes. Et que les résidents qui ne peuvent se laver seuls n’aient droit qu’à deux douches par mois, cela la révolte. Il faudrait aussi une infirmière la nuit, car, quand un résident va mal, il faut appeler le Samu et il est difficile de donner tous les éléments utiles au médecin régulateur. Même si Espérance a de l’expérience, sa formation médicale est limitée.
Si Espérance se bat, c’est pour ne pas être oubliée. Le gouvernement a annoncé une revalorisation des salaires, mais surtout pour les infirmières. Mais une infirmière sans une aide-soignante ne peut pas prendre en charge seule un patient. Elles travaillent ensemble, forment une équipe. Et puis, on parle beaucoup des hôpitaux. Mais les Ehpad, ce sont 800 000 résidents, souvent très dépendants, dont il faut s’occuper tous les jours. Nous réclamons depuis plus de deux ans des embauches pour atteindre le ratio d’un personnel soignant par résident, c’est-à-dire ce qui existe dans plusieurs autres pays européens.
Alors oui, Espérance est pleine d’espoir ! C’est pour cela qu’elle lutte avec le syndicat, car elle aime son métier et ne veut pas l’abandonner comme un certain nombre de ses collègues qu’elle a vu partir ses dernières années, lassées par la dureté des conditions de travail et la faiblesse des salaires.
HÔPITAL. UN LANCEMENT CHAOTIQUE DU SÉGUR DE LA SANTÉ
L'Humanité Mercredi, 27 Mai, 2020
La CGT AP-HP appelait à un rassemblement, ce mardi, devant l’hôpital Saint-Antoine pour acter le retour des « mardis de la colère » et dénoncer l’ouverture ratée de la grande concertation pour rénover le système de santé.
Le premier jour du Ségur de la santé ne restera pas dans les annales. La CGT de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a dénoncé ce mardi, lors d’un rassemblement d’une centaine de personnes devant l’hôpital parisien de Saint-Antoine, l’absence d’ambition et les modalités de lancement par Édouard Philippe de ce mois de concertation.
Faisant suite à la promesse du président de la République en mars dernier, le démarrage ce lundi de la discussion, qui sera menée sur la base de quatre piliers – « transformer les métiers et revaloriser ceux qui soignent », « définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins », « simplifier radicalement les organisations et le quotidien des équipes », « fédérer les acteurs de la santé au service des usagers » –, n’a pas convaincu. « Ce Ségur est un grand show, avance Christophe Prudhomme, de la fédération CGT santé action sociale, nous voulons de vraies négociations avec, sur la table, la question des emplois, des rémunérations et aussi l’arrêt des fermetures de lits. Il faudrait acter une bonne fois pour toutes la fin du secteur privé lucratif dans la santé comme dans le médico-social. »
Un passage de l’allocution du premier ministre n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Le plan Ma santé 2022, lancé par Agnès Buzyn, serait ainsi poursuivi et amplifié alors qu’il devrait avoir pour conséquence, entre autres, la fermeture de 300 hôpitaux de proximité… « C’est la continuité de l’hôpital entreprise, s’agace Rose-May Rousseau, secrétaire générale de l’Usap CGT. 4 700 collègues ont été malades du Covid à l’AP-HP, certains ont aussi perdu la vie, et c’est tout ce que le gouvernement trouve à dire ? »
Les méthodes douteuses de l’exécutif
Entre les prises de parole, des « Même si Macron ne le veut pas, nous on est là » retentissent devant l’entrée de l’hôpital. Lundi, les méthodes douteuses de l’exécutif ont également mis le feu aux poudres. Alors que les expressions individuelles n’étaient pas censées être autorisées pour le lancement du Ségur, le ministre de la Santé a sollicité quinze interlocuteurs, dont la CFDT (troisième syndicat dans la santé), des associations de médecins, la Fédération hospitalière de France ou des représentants de cliniques privées… entraînant la déconnexion de la fédération CGT, qui a estimé dans un communiqué : « Ce choix nous interroge au plus haut point sur les liens entre la nomination de la pilote des concertations (la contestée ex-secrétaire générale de la CFDT Nicolas Notat – NDLR) et cette stratégie qui vient nier la représentativité syndicale, légale et légitime. »
Pour le secrétaire général de SUD santé sociaux, Jean-Marc Devauchelle, l’incompréhension est totale : « La CGT est le premier syndicat et on fait parler la CFDT qui n’a jamais beaucoup fait pour la défense de l’hôpital public… » Ce mardi, les discussions sont entrées dans le vif du sujet. Les thématiques principales ont été balayées avant un focus, l’après-midi, sur les carrières et les rémunérations. « Nous n’avons été convoqués que sur cette thématique, j’ai écrit au ministère pour avoir un calendrier de la suite. J’espère bien que nous ne sommes pas invités que sur ce point car nous avons plein d’autres choses à dire », souligne Jean-Marc Devauchelle.
Pour tous, la meilleure réponse aux effets de communication est la montée en puissance des mobilisations dans les hôpitaux avec notamment la reprise des « mardis de la colère ». Des représentants de différents établissements de l’AP-HP se sont joints au rassemblement. D’autres manifestations se tenaient également à l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), à Édouard-Herriot, à Lyon (Rhône), ou encore à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais).
Pour Aurélie Jochaud, infirmière à Saint-Antoine et déléguée syndicale CGT, « si on veut que les choses changent, on ne peut compter que sur nous-mêmes. On a vu que le gouvernement a garanti un prêt de 5 milliards à Renault et, pour la santé, il ne peut même pas annoncer tout de suite un montant précis d’augmentation de salaire ? C’est quand même pas compliqué ! On réclame toujours 400 euros par mois pour tous les métiers de l’hôpital ».
Cécile Rousseau
ÉRIC BOCQUET : « NOUS DEVONS NOUS AFFRANCHIR DES TRAITÉS EUROPÉENS POUR EFFACER LA DETTE
L'Humanité Mercredi, 27 Mai, 2020
L'élu communiste du Nord, vice-président de la commission des Finances du Sénat, dénonce le processus qui a conduit à la mise sous tutelle des États par les marchés financiers. Il considère qu’il n’y a pas de fatalité à vivre dans la dette si l’on change complètement les règles du jeu. Entretien.
La question de la dette est au centre du débat public depuis bien longtemps. Quelles sont vos craintes avec la crise qui vient ?
Éric Bocquet L’explosion de la dette risque d’être utilisée à nouveau comme argument renforcé pour imposer aux Français des réductions des dépenses publiques et des casses des services publics. C’était déjà la règle depuis plusieurs décennies. Depuis 1975, le budget de la France est en déficit. C’est au nom de la dette que l’on impose l’austérité et la réduction des dépenses publiques. On l’annonce à 115 % du produit intérieur brut (PIB) après la crise sanitaire, alors qu’elle était à 99 % il y a un an.
La dette, c’est de l’argent que l’on doit. Comment répondez-vous à cet argument martelé par les néolibéraux ?
Éric Bocquet C’est toute la perversion du discours. Pour un ménage, il faut payer ses dettes et prendre toutes les dispositions pour être en capacité de rembourser. Pour un État, la logique n’est pas la même. On nous fait croire depuis des années que la dette publique serait due à un excès de dépenses publiques. Or, si on examine l’histoire et la construction de cette dette, on constate qu’il y a plein d’autres paramètres. D’abord, l’abaissement délibéré des recettes fiscales de l’État. Nous l’avons organisé, par exemple en supprimant l’ISF. Nous avons évité de mener comme il le faudrait la bataille contre l’évasion fiscale qui, je le rappelle, coûte entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année au budget de la République. Nous avons créé des crédits d’impôts, comme le Cice qui a coûté des dizaines de milliards d’euros. Les 400 niches fiscales, dont certaines sont justifiées et d’autres pas, coûtent 80 milliards d’euros par an.
Tous ces cadeaux accumulés ont fait que l’État a vu ses recettes fondre comme neige au soleil. L’affaiblissement a été tel que ce sont les marchés financiers qui financent les États aujourd’hui. Ils leur dictent les politiques à mener grâce à la dette. Aujourd’hui, la Banque centrale européenne (BCE) s’est affranchie des règles lui interdisant de financer les États. Elle vient de racheter des titres de dette de tous les pays de l’Union européenne. Quand il y a le feu à la maison, toutes ces règles néolibérales inscrites dans le marbre volent en éclats. C’est donc une décision politique, un choix de société.
Avec la crise, la question de l’effacement de la dette revient également dans le débat politique. Comment cela serait-il possible ?
Éric Bocquet Lorsque la BCE prête de l’argent, elle le crée. Ses deux missions principales sont de veiller à ce qu’il n’y ait pas trop d’inflation dans la zone euro et l’impression des billets de banque. Mais les banques privées pouvant elles-mêmes prêter de l’argent en créant des lignes de crédit, nous avons en réalité privatisé la création de monnaie. La BCE a commencé à y remédier, mais elle doit aller plus loin : reprendre dans son bilan tous les titres de dette publique et les effacer, ou les étaler dans la durée.
Nous pouvons étaler la dette sur trente ou quarante ans. Compte tenu des défis que va poser la crise que nous vivons, il faut des mesures innovantes, presque révolutionnaires. En somme, s’affranchir des traités européens, revoir les règles du jeu. La dette de la France, en 1945, était de 200 % du PIB. Avec la croissance, des investissements, de bons salaires, en construisant un état protecteur, nous en étions venus à bout. Il n’y a pas de fatalité. Nous ne sommes pas condamnés à vivre dans la dette pour l’éternité.
Entretien réalisé par Diego Chauvet