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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

tribunes et idees

Neutralité(s)

4 Mars 2022, 07:47am

Publié par PCF Villepinte

Le sport russe au ban des nations : un moment d'histoire…

Historique.

 Quelques jours auront suffi pour que le sport russe se retrouve au ban des nations et que la pseudo-«neutralité» de ce monde si particulier reste, pour une fois, au vestiaire. Depuis quelques jours, beaucoup n’y voient qu’un «symbole», un «aspect secondaire» des sanctions tous azimuts qui frappent le pays de Poutine, depuis le déclenchement de sa sale guerre en Ukraine.

Il n’en est rien, même si le bloc-noteur n’oublie pas que, pendant ce temps-là, l’épouvante se poursuit sur les théâtres d’opérations militaires, avec leur lot de pilonnages, avec leurs bombes, avec ce chaos de fer et de feu qui menace l’équilibre du monde entier et fauche des vies. Ne comparons donc pas ce qui ne saurait l’être.

Néanmoins, en recommandant de mettre massivement à l’écart la Russie et la Biélorussie et leurs sportifs, le Comité international olympique (CIO) a décidé de s’engager dans une voie inédite, par laquelle se sont immédiatement engouffrées les instances du football, sport global. L’UEFA et la Fifa lui ont emboîté le pas, suivies par de nombreuses autres, dont l’athlétisme, sport roi de l’olympisme, et le patinage sur glace, spécialité russe.

Franchement, qui aurait imaginé semblable cataclysme, voilà une semaine encore? D’autant que la Russie – déjà frappée de plein fouet par les affaires de dopage – a permis, ces dernières années, avec la Chine, de combler un manque de candidatures planétaires pour organiser de grands événements sportifs. Partant, ces conséquences s’avèrent d’une importance historique, capables de chambouler le sport mondial pour des décennies.

Peuples.

 Si les fédérations internationales sont aussi le fruit de la globalisation, traversées par de très nombreuses tensions politiques et/ou religieuses, elles s’alignaient toujours, plus ou moins, sur le plus faible dénominateur. Une sorte de tradition qui octroyait à «la politique d’apolitisme» un poste de non-instrumentalisation. Les temps ont changé. Non seulement les opinions sont elles aussi mondialisées, avec leur lot de «pressions», mais les fédérations, avec au sommet le CIO et la Fifa, se voient soumises, bien plus que jadis, aux regards des peuples et des instances onusiennes.

Ne prenons qu’un exemple: la décision d’offrir la Coupe du monde au Qatar a laissé des traces… Vincent Duluc, dans l’Équipe, suggère sans détour: «Chacun sait que la Fifa et le CIO n’ont pas toujours été dans le camp de la démocratie, défilant joyeusement aux côtés de quelques dictateurs, avec un penchant régulier pour la lâcheté et la compromission.»

Valeurs.

 Qu’on réfléchisse à la portée historique du moment. Pour les amateurs de football, la prochaine soirée de Ligue des champions ne débutera pas par les notes devenues familières du Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski, véritable bande-son depuis 2012 du spot de Gazprom, sponsor officiel de la plus prestigieuse compétition européenne de clubs et dont l’État russe est l’actionnaire majoritaire, parfait exemple de soft power assumé et théorisé par ses dirigeants.

L’UEFA a rompu «avec effet immédiat» son partenariat avec le géant du gaz. Les joueurs russes ne verront pas le Qatar et ses stades climatisés. Comme l’écrit Vincent Duluc: «Certes, l’urgence peut justifier que le sport oublie ses principes et sa place, ou qu’il les redéfinisse. Mais on peut également espérer que ce nouveau courage, remonté par capillarité du cœur vers la tête, le place enfin à la hauteur de ce qu’il représente, et qu’il ne l’oublie plus.»

 Le principe de neutralité était jusque-là une règle d’or vantée par Thomas Bach, le président du CIO: «Nous ne pouvons accomplir notre mission d’unification du monde que si les JO transcendent toutes les différences politiques. Pour parvenir à cette universalité, le CIO et les JO doivent être neutres sur le plan politique.» Cette doctrine s’étant effondrée, les nouveaux principes s’appliqueront-ils ailleurs, pour d’autres conflits, et dans des situations similaires, quand il ne s’agira pas seulement des «valeurs» occidentales?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 mars 2022.]

Publié par Jean-Emmanuel Ducoin

 

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Valeur(s)

11 Février 2022, 08:39am

Publié par PCF Villepinte

Le monde du travail, ou l’atomisation contrainte des formes collectives.

Effritement. 

La question sociale revient donc en force, tandis qu’un vent mauvais souffle sur le modèle français – du moins, ce qu’il en reste. Un peu de mémoire. Au mitan des années 1990, nous portions le diagnostic prédictif d’un «effritement» généralisé du monde salarial pour caractériser les effets d’ensemble des transformations qui ne cesseraient de se généraliser: une société des «individus» s’installait massivement, avec son corollaire crépusculaire, la montée des incertitudes, jusqu’à l’édification d’une «société du risque» pour la majorité du peuple soumis aux aléas des temps incertains.

À l’époque, certains doux rêveurs parlaient encore d’«effondrement» possible en prophétisant la fin du salariat (rien de moins), voire la fin du travail. Ces discours n’existent plus, seule reste une espèce d’hystérisation de la «valeur travail». Autrement dit, trente ans plus tard, nous sommes de plain-pied dans cette nouvelle réalité.­ Et cette constellation de risques s’organise essentiel­lement autour de la notion de «risque social» en tant qu’émiettement dramatique des structures du monde du travail.

En 1995, nous pouvions et nous devions souligner l’importance de la précarisation des relations de travail qui était, avec le chômage de masse, la manifestation principale de la dégradation en cours des conditions salariales. Désormais, nous avons assisté à l’installation d’une précarité qui constitue un registre permanent des relations de travail. Une sorte d’infra-­salariat au sein du salariat lui-même.

Avenir.

Le constat s’avère ainsi éloquent. Mais personne ne peut affirmer où s’arrêtera ce processus, à qui profitera cette forme d’atomi­sation contrainte des formes collectives, et surtout si nous traversons – ou non – une période charnière qui pourrait déboucher sur des moments de «destruction créatrice». Avenir imprévisible, de toute évidence. Transposons-nous un instant à la place des observateurs sociaux de la première moitié du XIXe siècle, au moment de l’implantation du capitalisme industriel en Europe occidentale, lorsque l’exploitation maximale des travailleurs paraissait s’imposer comme la contrepartie nécessaire de l’industrialisation.

Le «paupérisme» d’alors était décrit et combattu, mais personne n’aurait imaginé un futur meilleur aux prolétaires, sauf à s’appeler Karl Marx et prôner la nécessité­ de détruire le capitalisme naissant et d’abolir le salariat. Rien ne se produisit. La Révolution n’a pas eu lieu en Europe de l’Ouest. Et le salariat n’a pas été éradiqué. En revanche, le prolétaire a arraché le statut de salarié protégé des années 1960.

Conclusion: la construction de la société salariale fut une ruse de l’histoire du capitalisme, imprévisible un siècle avant qu’elle ne s’impose.

Classe. 

Le bloc-noteur constate amèrement que la nouvelle conjoncture de l’emploi au XXIe siècle, dans un espace globalisé et financiarisé à outrance, creuse les disparités entre les différentes catégories de salariés, au détriment des strates inférieures du salariat. Toutes les inégalités se sont creusées. Et les individus déjà placés «au bas de l’échelle sociale» ont vu saccroître leur subordination. Une nouvelle inégalité a dailleurs surgi, celle entre salariés de même statut, qui a brisé les «solidarités intracatégorielles» qui reposaient sur lorganisation collective des travailleurs.

Question dérangeante: cette transformation paraît-elle de nature à remettre profondément en cause la notion de «classe», en ce quelle entraîne une décollectivisation des conditions de travail et des modes de lutte des salariés? Ou, au contraire, aide-t-elle à une redéfinition totale du concept de classe en son évidence, qui appelle, sinon une Révolution, au minimum une transformation sociale radicale.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 février 2022.]

Publié par Jean-Emmanuel Ducoin

 

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Zemmour contre l'histoire. Ép.4/

6 Février 2022, 08:05am

Publié par PCF Villepinte

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Enfumage(s)

5 Février 2022, 09:42am

Publié par PCF Villepinte

Selon le démographe Hervé Le Bras, la carte du vote pour l’extrême droite est bel et bien décorrélée de la présence de populations étrangères.

Statistiques.

 «L’immigration est beaucoup plus présente dans la tête des gens que dans leur existence quotidienne.» Ainsi parle Hervé Le Bras, dans un long entretien accordé au Monde à l’occasion de la publication de son nouvel essai, "le Grand Enfumage. Populisme et immigration dans sept pays européens" (éd. de l’Aube-Fondation Jean-Jaurès). Les derniers travaux du démographe documentent ce qu’une analyse constante des résultats électoraux nous montre depuis longtemps: la carte du vote pour l’extrême droite est bel et bien décorrélée de la présence de populations étrangères.

Tout le contraire du discours des nouveaux réacs. Implacables statistiques. D’après Hervé Le Bras, «en 2017, en France, il y avait, selon l’Insee, 3,8% d’immigrés dans les communes de moins de 2500 habitants, alors que le vote pour Marine Le Pen y avait atteint 27% au premier tour de l’élection présidentielle». Plus éclairant, la situation des grandes villes. Dans celles «de plus de 20000 habitants, on comptait 15% d’immigrés et 14% de votes pour la candidate frontiste.

À Paris, il y avait 23% d’immigrés et seulement 5% de votes pour Le Pen.» Deux autres exemples disent tout. «La Seine-Saint-Denis, département avec la plus forte proportion d’immigrés (30,6%), avait voté Le Pen à 13,6%. L’Aisne, département où le vote frontiste était le plus fort (35,7%), ne comptait que 4,4% d’immigrés.» Deux pôles d’une réalité électorale contre-intuitive. Que ce soit en France ou dans six autres pays d’Europe (Allemagne, Suisse, Autriche, Espagne, Italie, Royaume-Uni), jamais les deux cartographies ne se recoupent…

Manipulable. 

Thème chéri des Fifille-et-Zemmour-les-voilà, l’immigration reste le sujet qui les porte. Sauf que l’éventuel voisinage immédiat de cette population supposée n’existe pas. Pour le démographe, «c’est d’abord ce que l’on dit et ce que l’on montre des immigrés, telle une réalité fantasmée qui sert de carburant à l’extrême droite», elle-même accrochée à la fiction d’un peuple homogène et à une revisitation inventée d’un passé identitaire français.

Cité par France Inter cette semaine, un récent sondage Ifop sur le vote dans les quartiers populaires avait permis à certains de conclure que les «pauvres» votaient majoritairement RN. À un détail près: il ne s’agit que des quartiers résidentiels populaires blancs. Conclusion, l’analyse du rapport immigration/vote d’extrême droite demeure extrêmement piégeuse et facilement manipulable…

Peuple.

 Après plus de trente années à vivre dans les quartiers populaires, le bloc-noteur n’est pas le plus mal placé pour le savoir. Les zones dites «difficiles», associées à des villes stigmatisées, ne ressemblent en rien à ce qui est décrit du matin au soir sur les chaînes de Bolloré. Des modèles de vie pacifiés se sont installés depuis des lustres, dynamiques, plutôt jeunes, ambitieux et fiers, de l’autre côté du miroir médiacratique: celui où les femmes et les hommes de toutes les couleurs, de toutes origines, ne veulent pas se laisser réduire à des gros titres racoleurs, mais vivent, saignent et souffrent, aiment et se mélangent banalement pour former un tableau que nous pourrions tout simplement intituler ''le peuple''.

Là où la dignité collective possède encore un sens puissant. Là où, ne l’oublions jamais, se concentrent toutes les complications sociales de l’existence, toutes les mixités, mais là où, précisément, l’extrême droite est quasi inexistante. En somme, tout l’inverse des théories de l’archipélisation des démagogues hors cadre.

Hervé Le Bras le répète: «La répartition du vote populiste renvoie à des découpages géographiques anciens.» Et il ajoute: «La crainte du “grand remplacement” est stupide. Nous sommes dans un fantasme entretenu par le mépris des statistiques, qui est inséparable du populisme, pour qui, systématiquement, le cas particulier devient le cas général.» L’opportunisme politique n’a pas de limites, quand le vieux monde, conservateur et réactionnaire, continue de sévir en s’adossant aux fractures immémoriales. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 4 février 2022.]

Publié par Jean-Emmanuel Ducoin

 

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Zemmour contre l'histoire Ép.3/ Sylvie Thénault. Le massacre du 17 octobre 61

2 Février 2022, 23:01pm

Publié par PCF Villepinte

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Zemmour contre l'histoire ép.2/ Nicolas Offenstadt. Instrumentaliser les mutins de 1917 pour glorifier la guerre.

2 Février 2022, 07:30am

Publié par PCF Villepinte

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Cyril Hanouna « entrepreneur loyal des idées de Bolloré »

1 Février 2022, 08:41am

Publié par PCF Villepinte

Médias Qu’on le veuille ou non, la présidentielle passe aussi par les plateaux de l’animateur star de C8. Claire Sécail étudie les contenus politiques de Touche pas à mon poste depuis la rentrée. Verdict: lextrême droite y est comme à la maison.

Publié le Mardi 1 Février 2022

L'Humanité Cyprien Caddeo

 

© C8/Philippe Mazzoni

De son propre aveu, il s’est «fait manœuvrer». Jean-Luc Mélenchon et ses équipes ont en travers de la gorge le passage du candidat FI chez Cyril Hanouna dans Face à Baba, le 27 janvier. Ils crient au traquenard, à cause entre autres d’un face-à-face avec Éric Zemmour taillé pour le polémiste, qui a duré une heure dix au lieu des vingt minutes prévues. Surprenant, sur la chaîne de Vincent Bolloré? Pas vraiment, répond Claire Sécail.

La chercheuse au CNRS scrute et répertorie les contenus des émissions de Cyril Hanouna depuis le mois d’août, et notamment le temps d’antenne consacré aux questions politiques (17 % en moyenne). Avec environ 1,5 million de téléspectateurs quotidiens, Touche pas à mon poste ( TPMP) a bien grandi depuis sa création en 2010, où il occupait une obscure case horaire sur France 4.

Douze ans plus tard, TPMP est devenu un espace fréquenté de la bataille culturelle, qui se décline avec les autres shows de Cyril Hanouna: lhebdo Balance ton post et le plus événementiel Face à Baba. Or, selon l’universitaire, ces émissions, sous couvert d’un esprit cool, pluraliste et détendu revendiqué par l’animateur, déroulent le tapis rouge aux idées nationalistes et identitaires.

D’après vos résultats, est-ce qu’on peut conclure que l’extrême droite joue «à domicile» chez Hanouna, comme semble sen rendre compte, un peu tard, la France insoumise?

53 % du temps d’antenne politique de TPMP est consacré à l’extrême droite. Je dis ça, mais il faut noter que sur C8, comme sur CNews, on ne présente jamais les invités comme d’extrême droite, ce qui contribue à banaliser leurs idées. Éric Zemmour a la meilleure part. C’est autour de lui que se construisent les contenus, les débats, comme a pu l’apprendre à ses dépens Jean-Luc Mélenchon dans Face à Baba.

 Cela démontre d’ailleurs qu’il y a une stratégie idéologique au sein du groupe Bolloré dans son ensemble, et non pas seulement sur CNews. Non pas que Cyril Hanouna soit d’accord avec Éric Zemmour. Mais il est le loyal entrepreneur des idées de Vincent Bolloré, qui lui a signé un contrat à 250 millions d’euros sur cinq ans. Hanouna a par ailleurs de bonnes relations avec les insoumis, mais ils ne lui servent qu’à être des contradicteurs idéaux face à la parole d’extrême droite qui, elle, cadre le débat, dans la logique du clash. Cela permet ainsi de faire croire à un pseudo-pluralisme interne.

Et les chroniqueurs, non plus, n’assurent pas la contradiction…

Le 27 octobre, Juliette Briens, influenceuse identitaire, pro-Zemmour, invitée régulière de TPMP, peut tranquillement dire que «grâce à la France libre de Pétain, grâce à Vichy, il y a des juifs qui ont pu s’échapper de France» sans que personne ne la reprenne sur cette énormité historique. Cela tient à la constitution du plateau: les chroniqueurs nont pas les savoirs historiques pour lui répondre, ils sont pour la plupart issus du divertissement ou de la téléréalité.

Il ne faut pas perdre de vue auprès de qui ce discours est diffusé. LAudimat de TPMP est constitué d’un public jeune, issu des milieux populaires, avec un niveau d’éducation moindre qu’ailleurs. C’est redoutable. TPMP, en ce sens, acculture son public, en plus de dévoyer tous les principes traditionnels de production de l’information. Je pense par exemple aux consultations Twitter présentées à l’antenne comme des sondages fiables, qui rythment l’émission. Je ne comprends pas comment des ex-journalistes comme Gilles Verdez ou Isabelle Morini-Bosc peuvent participer à ce dévoiement, tout en se permettant d’accuser en plateau des confrères, comme Élise Lucet, de faire du journalisme à charge…

Quand est-ce que Touche pas à mon poste a muté en émission «politique»?

TPMP s’est politisée par étapes. En 2013, le premier homme politique d’envergure nationale à s’y rendre a été Jean-Luc Mélenchon, alors que l’émission ne s’intéressait pas du tout à la politique. Puis, en 2017, Nicolas Dupont-Aignan était venu se plaindre chez Hanouna qu’il n’était pas invité à un débat sur TF1. Le basculement, c’est la crise des gilets jaunes, qui conduit à la création de Balance ton post (BTP), plus orienté sur les sujets de société. Cyril Hanouna se targue alors d’être le seul à inviter des figures gilets jaunes, ce qui n’est pas vrai, puisque BFM propose des dispositifs similaires.

Comment résumer la ligne éditoriale de Cyril Hanouna?

Le récit qu’entretient Hanouna sur ses émissions, c’est l’idée que lui donne la parole à tout le monde, sous-entendu à ceux qui ne l’ont pas ailleurs. Mais TPMP est surtout la pierre philosophale du populisme. Sous couvert de pluralisme, toutes les questions objectivables y sont présentées comme des opinions, sans vérification des faits. C’est un café du commerce permanent, à l’heure de l’apéro, où on construit une vérité alternative, avec un esprit de communauté – Hanouna et ses «fanzouzes», qui lui sont tout dévoués.

TPMP peut-elle être vue comme l’héritière de ce que Tout le monde en parle était dans les années 2000? Thierry Ardisson aussi a eu des invités peu recommandables, comme Alain Soral ou le conspirationniste Thierry Meyssan.

En partie, à ceci près que cette émission était hebdomadaire et que ce genre d’invités ne constituait pas une ligne éditoriale, mais des coups médiatiques et provocateurs que se permettait, de temps en temps, Thierry Ardisson. Chez Hanouna, cela fait système, au service d’un projet politique qui est clair quand on regarde l’ensemble des chaînes de Bolloré.

En dehors de la FI, la gauche a-t-elle voix au chapitre sur TPMP et consorts?

La gauche représente environ 12 % du temps d’antenne, insoumis compris. La gauche hors FI est soit invisibilisée – c’est le cas du PCF, qui n’existe tout simplement pas, ou des Verts (1,8 % du temps d’antenne) –, soit évoquée de manière systématiquement négative. Anne Hidalgo est victime d’un bashing permanent, en tant que maire de Paris. Cela tranche avec la bienveillance d’Hanouna envers ses invités d’extrême droite, comme Stanislas Rigault, de Génération Z, qu’il contribue à rendre sympathique.

Les propositions de gauche ne font par ailleurs jamais l’objet de débat en plateau, là où le moindre fait politique ou parapolitique autour de Zemmour est commenté. Le 6 décembre, l’émission s’est même mise au service de sa propagande électorale, alors qu’il se lamentait d’avoir du mal à réunir ses signatures. Sa vidéo d’appel aux élus, produite exprès pour l’émission, a été relayée telle quelle.

La majorité, aussi, est un bon client…

Oui, il y a une sorte de bénéfice mutuel entre les macronistes et Hanouna. À partir du «happening» de Macron sur TPMP, pendant l’entre-deux-tours de 2017, va s’enclencher une logique de renvoi d’ascenseur entre Hanouna et le gouvernement. Marlène Schiappa a largement contribué à transformer l’animateur des nouilles dans le slip en un incontournable du débat politique, en allant régulièrement sur son plateau, et en déclarant qu’il devrait animer le débat du second tour en 2022.

Il devient une courroie de transmission de la communication gouvernementale. Prenez Jean-Michel Blanquer. Il ne voulait pas aller sur TPMP par peur de la grossièreté ou d’être trop bousculé. Résultat, son passage s’est tellement bien passé, les questions étaient si inoffensives, que ses équipes n’ont qu’une envie, c’est d’y retourner.

 

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Zemmour contre l'histoire ép.1/ Mathilde Larrère. Salir Simone de Beauvoir pour salir les femmes

1 Février 2022, 08:35am

Publié par PCF Villepinte

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Héritage(s)

22 Janvier 2022, 10:15am

Publié par PCF Villepinte

Vingt ans après, l’histoire a tranché. Même mort, Pierre Bourdieu continue de faire peur aux puissants. 

Action. 

«Il n’est sans doute pas faux de considérer la sociologie comme une conquête sociale», écrivait Pierre Bourdieu dans un texte inédit que nous avions publié en 2012. Sans accorder une confiance excessive au pouvoir des discours, il avait cependant la conviction que la connaissance sociologique pouvait produire des raisons et des moyens d’agir sur la réalité sociale.

De quoi l’œuvre de Bourdieu est-elle le nom? Lors de la publication de la Misère du monde (1993), il emprunta à Spinoza cette formule qui tenait lieu sinon de définition du moins de ligne conductrice: «Ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre…» 

De quoi son héritage intellectuel est-il le signe? Dans Méditations pascaliennes (1997), le professeur au Collège de France évoquait «la pression ou l’oppression, continues et souvent inaperçues, de l’ordre ordinaire des choses, les conditionnements imposés par les conditions matérielles d’existence» et il mettait à nu ce qu’il nommait «violence symbolique» comme pour nous rappeler que l’un de ses soucis constants fut bien sûr de participer de l’action, mais que, si urgente soit-elle, celle-ci ne saurait se passer de l’effort théorique et de l’analyse des mécanismes de «domination». Domination: le maître-mot bourdieusien par excellence…

Engagé.

 Le bloc-noteur réalise à peine: vingt ans, déjà, que Pierre Bourdieu a succombé à un cancer et nous ne nous lassons pas – moins que jamais – de puiser à la source du sociologue et de «l’intellectuel critique», dont il acceptait et assumait toutes les acceptions. Le meilleur penseur n’est-il pas celui qui pense d’abord contre lui-même? Et à quoi sert l’intellectuel, sinon à déconstruire le discours dominant et permettre la production d’utopies réalistes?

Car la révolution Bourdieu restera cette manière nouvelle de voir le monde social qui accorde une fonction majeure aux structures symboliques. L’éducation, la culture, la littérature, l’art, les médias et, bien sûr, la politique appartiennent à cet univers. Il disait: «Il faut, pour être un vrai savant engagé, légitimement engagé, engager un savoir.» C’est sans doute pour en avoir tiré les conséquences et avoir participé, plus que n’importe quel autre intellectuel, aux luttes symboliques et politiques de son temps qu’il fut considéré comme l’ennemi numéro un, unanimement reconnu et ouvertement désigné, de tous les défenseurs de l’ordre néolibéral.

Radicalité. 

Deux décennies ont filé sous nos yeux et une question s’impose: l’injonction politique et l’engagement total sont-ils victimes de notre temps? Chacun peut en témoigner: attention à l’éventuelle tentation pourtant impossible de domestication de lIdée et des concepts bourdieusiens. À la faveur dun anniversaire tout rond, certains ne manqueront pas de le revisiter à leur plus grand profit, nous imposant un Bourdieu inoffensif, tentant même une neutralisation de son œuvre interprétée comme une soumission aux déterminismes sociaux, alors qu’elle ne fut qu’un chemin de libération dans le processus de compréhension de l’émancipation humaine.

Sa radicalité intrusive en aura exaspéré plus d’un, parfois même chez ceux qui louaient son travail et s’employaient publiquement à l’honorer, à le diffuser, à le transmettre. Sa radicalité d’homme libre, portée au plus haut degré de l’intelligence, nous manque aujourd’hui. Comme nous manque son invitation à ce que «la gauche officielle» sache «entendre et exprimer» les aspirations de «la gauche de base». Il était une sorte d’ennemi numéro un de tous les libéraux qui, depuis sa disparition, tirent à boulet rouge sur la sociologie et la mémoire bourdieusienne. Les «gestionnaires», de gauche comme de droite, ne l’aimaient pas. Vingt ans après, l’histoire a tranché: même mort, Pierre Bourdieu continue de faire peur aux puissants !

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 21 janvier 2022.]

Publié par Jean-Emmanuel Ducoin 

 

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La sociologie de Pierre Bourdieu est-elle toujours un sport de combat ?

21 Janvier 2022, 11:22am

Publié par PCF Villepinte

L'Humanité Vendredi 21 Janvier 2022

Jérôme SkalskiPierre Chaillan

RAPPEL DES FAITS L’œuvre et la pensée de l’auteur de la Distinction conservent aujourd’hui une grande fécondité, tant sur le plan de la recherche scientifique que sur celui de l’analyse critique de la société néolibérale et des rapports de domination au sein de la globalisation capitaliste. De nombreuses études et d’éminents travaux en témoignent au niveau international. Petit aperçu avec -nos trois chercheurs invités, qui soulignent l’apport toujours actuel de sa pensée.  

CHERCHEURS INVITÉS
Arnaud Saint-Martin Sociologue, chargé de recherche au CNRS, spécialiste de l’histoire des sciences
Gisèle Sapiro Directrice d’études à l’EHESS et directrice de recherche au CNRS, Centre européen de sociologie et de science politique(1)
Monique Pinçon-Charlot Sociologue, directrice honoraire de recherche CNRS et autrice (2) 

Arnaud Saint-Martin, en quoi l’œuvre de Pierre Bourdieu reste-t-elle vivante aujourd’hui?

 

ARNAUD SAINT-MARTIN

 L’œuvre de Pierre Bourdieu est une œuvre éminemment vivante. Elle continue de vivre à travers les recherches des autres, dans le sens où elle a été et reste un programme de recherche. Plusieurs aspects me paraissent importants pour qualifier cette proposition scientifique, et j’insiste sur la dimension de la science qui est décisive pour la caractériser. La première, c’est sa dimension cumulative. La dimension du progrès est très importante chez Pierre Bourdieu. Il insistait beaucoup sur la nécessité de l’avancement des connaissances, contre des formes de relativisme qui ont pu se développer dans les années 1980 et 1990. Cette espèce de vision un peu défaitiste de la science sociale selon laquelle toutes les théories se vaudraient et seraient définies seulement par leur relation à un auteur et des intérêts situés.

Icon QuoteIl incarnait une éthique de la science et une capacité à se renouveler.

ARNAUD SAINT-MARTIN

On a, à l’inverse, plutôt affaire à un programme qui veut faire progresser la connaissance de la société et qui assume son caractère heuristique, soit qui sert à la découverte. Il le fait sur la base de concepts éprouvés sur une grande variété d’objets et qui, au fur et à mesure, sont consolidés et deviennent toujours plus robustes. L’autre dimension qui me semble importante, c’est la construction d’un système théorique. Les concepts marchent ensemble. On ne peut pas les désolidariser: champ, capital, habitus, pratique, violence symbolique, etc.

Tout cela participe d’un vocabulaire unifié, dont il faut à chaque fois faire fonctionner les divers composants ensemble. Cela produit un regard qu’il s’agit d’appliquer et de mettre à l’épreuve, et cela fournit une vision globale qui permet de ne rien oublier et de monter en généralité. Le danger, quand on décrit une réalité sociale, c’est de se limiter à la description des phénomènes, de se laisser écraser par la collection de données purement empiriques.

Un autre aspect qui me paraît décisif dans ce programme de recherche, c’est la réflexivité. C’est-à-dire que c’est une sociologie qui se prend aussi comme objet, une sociologie qui est critique d’elle-même et qui avance dans la critique de ses propres concepts et aussi des objections qui lui sont faites au fur et à mesure. Une sociologie qui, en d’autres termes, suppose la sociologie de la sociologie. L’objectivation s’accompagnant de l’objectivation du sujet de l’objectivation. Autre point essentiel, cette sociologie s’éprouve comme combat par moments sur certains objets «chauds».

Lire aussi : Spécial «vingt ans après». Pierre Bourdieu, le sens commun

Cette dimension du combat a été vulgarisée par l’expression «la sociologie est un sport de combat». Plus précisément, face à des évidences très internalisées dans certains champs sociaux, par exemple dans la culture, les arts, la science ou la politique, exercer le regard sociologique – qui consiste à rompre avec le sens commun – est un procédé qui peut apparaître assez brutal pour les enquêtés, qui peuvent alors résister à l’analyse. Forcément, cela met à l’épreuve de procéder ainsi. Enfin, dernière dimension: cest lexemplarité de Bourdieu comme savant. Il a mis en œuvre, au sein du Centre européen de sociologie, une façon de faire de la science collectivement, en équipe. Il incarnait une certaine exigence théorique, scientifique, très forte, une éthique de la science et, en même temps, une capacité à constamment se renouveler.

 

GISÈLE SAPIRO

 Je souscris à tout ce qu’a dit Arnaud Saint-Martin. J’ajouterai que l’œuvre de ­Bourdieu est aussi un garde-fou contre l’individualisme méthodologique. Elle met l’accent sur les déterminations sociales sans être un fatalisme social. C’est un déterminisme méthodologique, comme toute science, mais qui met l’accent sur la dimension relationnelle du monde social. Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est qu’il s’agit d’une approche objectivante et objectiviste qui prend en compte le point de vue des individus. L’objectivation ne veut pas dire la neutralité. C’est important parce que l’on confond souvent les deux. Ce qu’on appelle aujourd’hui la neutralité axiologique est en réalité une couverture pour des idéologies qui ne se disent pas comme telles.

 

MONIQUE PINÇON-CHARLOT

 Je voudrais aborder un autre aspect: Pierre Bourdieu est un auteur vivant au-delà même de son œuvre. Bourdieu, c’était des étincelles en tous sens. Ce quil y avait dextraordinaire, quand nous étions avec lui, c’est qu’il avait l’art de rendre ses interlocuteurs intelligents. ­Michel a eu la chance de l’avoir comme professeur à Lille dès sa première année de sociologie, au début des années 1960. Pierre Bourdieu l’a invité une quinzaine de jours, avec d’autres étudiants, à venir travailler à Paris durant l’été avec lui pour faire notamment des fiches de lecture et participer à des échanges.

Ces travaux lui ont vraiment permis de faire de la sociologie le centre de sa vie professionnelle. C’est ainsi que Michel a pu introduire le système théorique de Pierre Bourdieu dans le domaine de la sociologie urbaine au début des années 1970. Nous avons alors lu, Michel et moi, l’Esquisse d’une théorie de la pratique, qui fut pour tous les deux une révélation intellectuelle mais aussi existentielle.

Nous ne découvrions pas seulement des concepts et un système théorique de la domination, mais des lunettes pour voir et comprendre le monde social. Une véritable explosion de joie partagée à deux. Nous sommes devenus fans de Pierre Bourdieu parce qu’il nous a donné la possibilité de faire de la recherche dans un bonheur quotidiennement renouvelé. Notre dette à son égard est donc immense car nous n’aurions jamais pu mener, sinon, nos enquêtes dans la classe dominante.

Pierre Bourdieu a été un des grands sociologues à s’attaquer aux processus de la domination sociale. Gisèle Sapiro, que nous apporte-t-il dans ce domaine?

GISÈLE SAPIRO 

Pierre Bourdieu a pensé les formes de domination à partir de Marx et de Max Weber, tout en empruntant à Durkheim. Pas seulement sur le plan économique, comme Marx, mais en réfléchissant aux formes symboliques de domination, notamment en travaillant sur les sociétés précapitalistes. La notion de violence symbolique est un concept central de son œuvre pour comprendre ces formes de domination symbolique. La violence symbolique, c’est une violence douce qui s’exerce avec la complicité des dominés parce que les dominés ont intériorisé les manières dominantes de penser et de juger le monde. Ils les ont intériorisées au cours de leur socialisation familiale mais aussi à l’école.

C’est d’abord à propos de l’école qu’avec Jean-Claude Passeron, Bourdieu a développé ce concept de violence symbolique, dans la Reproduction. La violence symbolique fonctionne par le fait qu’elle masque les mécanismes de domination et qu’elle les légitime en les masquant: cest la méconnaissance-reconnaissance, termes clés pour penser cela. Bourdieu a ensuite développé ce concept à propos de la domination masculine, puis la théorisé dans Méditations pascaliennes.

Monique Pinçon-Charlot, en quoi cette violence symbolique se dévoile-t-elle dans le cadre de votre travail, Sociologie de la bourgeoisie française, avec Michel Pinçon?

MONIQUE PINÇON-CHARLOT

 Elle s’exprime dès l’arrivée dans les beaux quartiers par cette confrontation des différentes formes du social que Pierre Bourdieu a si bien théorisée. Le social intériorisé est si puissant qu’il modèle les esprits mais aussi les corps, de telle sorte que ceux des bourgeois sont fins, droits avec un port de tête altier. Le contraste est saisissant avec les silhouettes malmenées par des conditions de vie dures des habitants que je viens de croiser pour venir vous retrouver Carrefour-Pleyel, où est situé le siège de l’Humanité. Le social intériorisé est en cohérence avec le social objectivé dans des formes urbaines et architecturales, avenues larges et ombragées pour les uns, rues étroites et encombrées pour les autres.

Icon QuoteNous découvrions des lunettes pour voir et comprendre le monde social.

MONIQUE PINÇON-CHARLOT

Aussi, lorsqu’on organise des promenades sociologiques pour des élèves de milieux défavorisés dans les beaux quartiers, l’accompagnement est indispensable, comme l’a fait Nicolas Jounin dans son très beau livre Voyage des classes, pour apprivoiser collectivement la violence symbolique. Comme l’a dit très justement Gisèle Sapiro, cette violence, qui a l’apparence de la douceur, est en réalité dure et terrible, parce qu’elle est intériorisée au plus profond de l’individu, qui en conclut que «cela nest pas pour moi, je nen suis pas digne»!

Les méthodes et les concepts de Bourdieu sont impliqués aujourd’hui au niveau de réalités sociales internationales ou transnationales. Gisèle Sapiro, quelle est leur fécondité théorique?

GISÈLE SAPIRO

 Bourdieu lui-même avait commencé par travailler sur l’Algérie et sur les effets de la colonisation sur ce pays. Il a d’abord réfléchi sur l’internationalisation du champ économique et la formation d’un champ mondial de l’économie. Une conférence qu’il a donnée en 1989 sur les conditions sociales de la circulation internationale des idées est devenue un programme de recherche très important. Depuis la fin des années 1990, au Centre européen de sociologie et de science politique, nous avons développé des travaux en ce sens.

On compte toutes sortes de travaux sur l’international. je citerai la thèse et le livre de Pascale Casanova, la République mondiale des lettres. Des travaux sont en cours sur la construction européenne, sur la manière dont se recrutent les élites européennes et les types d’opposition qui se dessinent entre ceux qui ont des profils plus internationaux et ceux qui ont des profils plus nationaux, par exemple. Il y a eu des études, aux États-Unis, utilisant le concept de champ pour penser les formes de colonialisme, qui distinguent les modes de domination économique, culturelle et politique dans les colonies.

Lire aussi : Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin. Héritage(s)

Toute une réflexion est actuellement menée aussi sur la division internationale du travail avec les délocalisations, mais aussi en termes de division internationale du travail de domination. Plus spécifiquement, des travaux sur les échanges culturels internationaux ont été engagés dans le sillage de cette réflexion sur la circulation des idées. La sociologie de Bourdieu permet de dépasser l’alternative entre, d’un côté, la vision irénique de la globalisation, comme des échanges libérés des contraintes, des frontières nationales, des frontières linguistiques, des frontières culturelles et, de l’autre côté, une réduction de la mondialisation à l’impérialisme états-unien. Comment dépasser cette alternative entre la vision irénique de compréhension mutuelle et la vision d’une hégémonie à sens unique?

En étudiant précisément les instances et les acteurs de la mondialisation, mais aussi les formes d’opposition et de lutte de celles et ceux qui leur opposent des résistances. Bourdieu s’est engagé lui-même, on le sait, contre l’idéologie néolibérale en grande partie diffusée depuis les États-Unis, et dont on ressent les effets délétères à l’hôpital, dans l’enseignement et dans la recherche, où elle a été imposée par le biais du new public management, qui transpose aux institutions publiques les principes de gestion du privé, orientés vers le profit. Là-dessus, des travaux ont été entrepris pour montrer comment cette idéologie importée a été transposée dans ces institutions.

MONIQUE PINÇON-CHARLOT

 La grande bourgeoisie, l’aristocratie de l’argent ou l’oligarchie – peu importe comment on appelle cette classe au sommet de la richesse et des pouvoirs – exerce sa domination à l’échelle nationale, mais aussi, depuis longtemps, à l’échelle internationale. Le cosmopolitisme de classe se construit dès la petite enfance, avec des amis et des membres de la famille élargie, aux quatre coins du monde.

La vraie patrie des gens de pouvoir et d’argent ne connaît pas les frontières nationales, par exemple, en évitant la solidarité avec les plus démunis ou en ne payant pas des impôts à la hauteur de leur fortune. Leur vraie patrie, écrivait Norbert Elias, c’est «leur» société. D’ailleurs, quand les dominants parlent d’eux-mêmes, ils disent «la société».

Ils sont donc parfaitement en phase avec la mondialisation et la globalisation capitaliste, comme le renard dans le poulailler planétaire, maîtrisant plusieurs langues étrangères, avec des camarades de classe de partout et toujours prêts à prêter main-forte pour tout investissement financier à dividendes juteux.

Monique Pinçon Charlot, vous avez utilisé, dans votre œuvre, le concept de «communisme» pour la caractériser. La grande bourgeoisie serait donc aussi une classe internationaliste?

MONIQUE PINÇON-CHARLOT

 Oui, c’est cela. Nous avons rencontré dans les beaux quartiers une forme de «communisme de luxe et de pouvoir» avec une solidarité de classe qui se construit dès la petite enfance, grâce à un entre-soi soigneusement entretenu. Chaque membre de cette petite caste reçoit la charge d’en défendre les intérêts en tous lieux et dans les nombreuses institutions ad hoc. Pierre Bourdieu parlait magnifiquement d’une orchestration sans chef d’orchestre. Cela n’empêche pas des concurrences interindividuelles, ni à certains de subir les affres de la justice.

Mais, même dans ces cas-là, le soutien pourra se manifester par la médiation de l’un des leurs pour négocier une sortie de crise ou, dans le cas d’un procès, par la promesse que tout sera fait pour éviter la prison à celui qui s’est fait prendre! Tout se passe donc comme sil y avait des stratégies conscientes pour que, au final, cette classe sociale puisse sapproprier les titres de propriété lui permettant, grâce au système capitaliste, d’exploiter toutes les formes du vivant.

ARNAUD SAINT-MARTIN

 Sur la dimension de l’internationalisation, je dirais un mot à partir de mon objet, certes un peu exotique: lastronautique. Sil y a bien un lieu où cela marche à fond, cest dans le spatial! Par exemple, on constate sans peine la circulation internationale dun mot dordre obstinément pro-capitaliste, résumé par lexpression «New Space». Aujourdhui, des créateurs de start-up et des gros patrons multimilliardaires, par exemple Elon Musk ou Jeff Bezos, pratiquent une forme sophistiquée d’évasion cosmique, connectée à l’évasion plus terre à terre: celle de fortunes échappant largement à limpôt et profitant des infrastructures et dépenses publiques.

Le «New Space» universalise une vision située d’un point de vue culturel, politique et idéologique, charriant les valeurs d’une oligarchie états-unienne qui impose ses standards d’existence au reste du monde. Ce que je trouve intriguant mais en fait assez prévisible, c’est la banalisation de cette vision entrepreneuriale mercantile, par exemple sur le Vieux Continent. En France, en particulier, depuis Bercy, le pouvoir de la «start-up nation» prône une «Space Tech» inféodée au credo de l’«astro-capitalisme».

On retrouve, vaguement francisés, les mêmes standards: start-up, entrepreneuriat, marchandisation des usages de lespace par laccaparement privé des ressources spatiales, en violation du traité de lespace de 1967 qui prône une vision internationaliste de lexploration de lespace. Ainsi s’affirme une incarnation contemporaine spectaculaire du capitalisme globalisé, qui suppose aussi une classe sociale d’entrepreneurs hantés par la croissance exponentielle des marchés de l’espace, qui circulent partout où leurs affaires peuvent prospérer.

J’observe ces évolutions à distance critique, en les documentant le plus objectivement possible, avec le regard d’un ethnologue curieux et parfois désarçonné. Il n’est pas rare, en effet, de croiser des astro-capitalistes millénaristes qui, au bout du compte, vous disent: «La Terre est foutue, dépêchons-nous de nous en évader!»

(1) Elle a dirigé, avec Franck Poupeau, le Dictionnaire international Pierre Bourdieu (CNRS Éditions), 2020 et a publié Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur? (Seuil), 2020. (2) Dernier ouvrage paru, avec Michel Pinçon, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (Zones, La Découverte), 2021. Et à voir À demain mon amour! le film de Basile Carré-Agostini qui sortira en salles le 9 mars.

 

 

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