Événement. Démocratie
Il y a un an, jour pour jour, le 12 janvier 2011, Christian Picquet, interrogé dans l’Humanité, exposait le défi que
s’était lancé le Front de gauche en proposant de constituer partout ces «assemblées citoyennes»: « Nous voulons aboutir à de vraies assemblées populaires qui drainent largement, au-delà de
la sphère militante influencée par le Front de gauche. Cela ne s’improvise pas, il faut le construire, surmonter les difficultés dues à l’incertitude ambiante. » Un an après, le mouvement
a incontestablement fait boule de neige: plus de quatre cents ont été recensées à ce jour. Quant à la participation, elle varie d’une assemblée à l’autre, mais on y trouve chaque fois plusieurs
dizaines de participants à l’échelle d’un quartier ou d’un canton rural, dont une bonne part, quand ce n’est pas la majorité, de citoyens non membres des partis qui composent le Front de
gauche. L’avantage de ces assemblées, c’est donc l’élargissement du débat politique qu’elles permettent au-delà du cercle militant, démultipliant le bouche-à-oreille et l’échange des arguments,
des idées, à l’échelle d’un quartier. Le pari, c’est de fidéliser progressivement pour élargir sans perdre personne en route lorsque les questions abordées deviennent pointues ou prétendument
réservées aux « experts ». Sacrée tâche, quand les assemblées mêlent militants aguerris par des décennies de militantisme et citoyens dont c’est parfois le premier engagement.
Pour y parvenir, les composantes du Front de gauche ont parié sur l’envie d’un changement réel dans le pays, qui ne se
limite pas «au programme minimum – virer Sarkozy» mais où «les deux campagnes, présidentielle et législatives» seront « l’occasion de déclencher l’entrée en scène politique d’une majorité
de concitoyens, syndicalistes, militants associatifs, élus locaux, citoyens des quartiers », expliquait Pierre Laurent au Conseil national du PCF, le 21 octobre. Et dans les faits,
partout, on constate que cette envie de comprendre, de dénoncer les méfaits du sarkozysme pour empêcher sa réélection, mais surtout, de débattre et de construire des solutions, des arguments
pour crédibiliser une politique réellement alternative auprès de ses voisins, de ses proches, à l’approche des élections.
Comme à Orléans, dans la cité populaire des Blossières, au nord de la ville, lundi dernier. Près de quarante participants
ont répondu à l’invitation au débat sur la dette publique et la répartition des richesses. Comme partout ailleurs, un public mêlé. Jeunes et moins jeunes, salariés, chômeurs, retraités,
étudiants, militants PCF et PG et citoyens non encartés : près de la moitié d’entre eux, observe Mathieu Gallois, responsable du PCF du Loiret, aux côtés de Sylvie Dubois, candidate PCF-Front
de gauche aux législatives sur la circonscription. Au milieu, Jean-Pierre Perrin assure l’animation du débat. La présence de ce militant associatif ultra-connu à Orléans témoigne à elle seule
de l’offre nouvelle que constitue le Front de gauche. « Je n’ai jamais été loin de la politique », dit cet ancien prêtre qui fut même plusieurs fois candidat aux élections locales.
Mais il cherchait un engagement qui « dépasse » le cadre des partis. Son souci : que les assemblées citoyennes ne se transforment pas en club de réflexion, mais soient des
outils pour rassembler politiquement les citoyens, français et immigrés, dans les quartiers, pour les élections mais aussi au-delà.
Et les idées ne manquent pas : difficile parfois de contenir l’enthousiasme qui déborde à se retrouver ensemble.
L’idée de porte-à-porte est lancée, et même celle de tenir les assemblées en plein air, dans les lieux publics, « aux beaux jours »… Un enthousiasme qui ne cède en rien à la pugnacité
du débat : pas question d’« avaler » sans comprendre ni discuter une proposition. Sur les moyens d’enrayer la dette, le programme du Front de gauche est décortiqué, passant en
revue les objections: le chantage du patronat à la fuite des capitaux et les moyens de le contrer, comme celui de récupérer les produits de l’évasion fiscale. Avec une
préoccupation : « Partir des problèmes du quartier, le chômage, les prix, l’avenir des jeunes .»
outils pour rassembler
Mêmes exigences à Thionville (Moselle), mardi. Les préoccupations qui s’expriment dans la discussion plutôt informelle
concernent la crise, l’emploi, la précarité. Rien d’étonnant dans cette ville de Moselle, bassin sidérurgique sinistré. Les suppressions d’emplois ou le chômage partiel, notamment chez
ArcelorMittal, font partie du quotidien. Gandrange et Florange sont voisines. « 1 500 chômeurs en plus à l’automne, on a dépassé la moyenne nationale », rappelle Annie Hackemheimer,
candidate aux législatives. « Aujourd’hui, les guerres ce sont les fermetures d’usines », estime un autre participant tandis que Dominique Méli, l’un des adjoints au maire (PCF),
constate que la crise s’immisce dans les moindres recoins. « Le tonnage des ordures ménagères a diminué de 10%. On ressent la baisse de la consommation jusque-là. » Mais la discussion
porte surtout sur les alternatives. « On a besoin d’industries de base, d’autant qu’on a le savoir-faire », intervient Jean-Marie Drobisz, délégué syndical à Bettembourg. On confronte
les arguments, au besoin on s’appuie sur le programme L’humain d’abord, on essaie de répondre aux interrogations que soulève l’actualité. « Peut-on mettre en place la taxe Tobin ? »
s’interroge-t-on par exemple. « Ceux qui sont déjà venus s’investissent de plus en plus dans le débat », se réjouit Annie Hackemheimer. À quelques kilomètres du Luxembourg et avec
plus de 70 000 travailleurs transfrontaliers en transit tous les jours, la question européenne est dans toutes les têtes. « Le problème c’est la BCE. Elle redistribue des sommes
faramineuses non pas à l’économie mais aux banques. Le maillon qui nous tue, c’est le maillon bancaire. J’aimerais que ça se passe mieux pour les générations qui travaillent et pour la mienne
aussi », confiera Victoria une lycéenne très attentive au débat. En fin d’assemblée, on s’organise pour populariser le meeting de Jean-Luc Mélenchon à Metz le 18 janvier. « Ce n’est
peut-être pas grand-chose mais chacun part avec une centaine de tracts et l’envie de faire. » ,explique le syndicaliste.
Changement de décor à Ganges, à une heure au nord de Montpellier, aux confins de l’Hérault, en zone rurale. « C’est un
bastion ouvrier, explique Gilles. Il y avait l’industrie des bas de soie mais aujourd’hui tout est parti et les gens travaillent où ils peuvent. » Certains à Montpellier, d’autres ici
enchaînant les contrats précaires dans la grande distribution. Une cinquantaine de personnes s’est déplacée lundi pour prendre part au débat, des personnes âgées en majorité. Après la laïcité,
la dette, la gauche face aux crises, le débat de cette soirée est : « La justice est-elle une arme contre les pauvres ? » Gilles Sainati, membre du Syndicat de la magistrature,
apporte son regard. « J’ai tout fait : juge d’instruction, droit des affaires, etc. », explique-t-il en préambule. Un parcours qui lui permet de brosser le portrait judiciaire des dix
dernières années. Depuis l’arrivée de Sarkozy à l’Intérieur puis à la tête de l’État son constat est clair : « Nous sommes passés d’un État social à un État pénal. »
Libertés à l’honneur
Et ce soir, comme à Orléans et à Thionville, l’assemblée veut comprendre. Les questions sont précises à l’image de ce
monsieur qui veut savoir quelle catégorie sociale prédomine chez les prisonniers. « En prison, il y a un taux d’analphabétisation de 30%, la plupart sont sans emploi depuis plus d’un an
avant leur entrée », explique le magistrat. En résumé, on enferme les plus pauvres. D’autres veulent savoir comment se concrétise les partenariats publics privés (PPP) au quotidien. Gilles
Sainati prend l’exemple de la prison de Béziers gérée par Eiffage : « La restauration et l’entretien ont été privatisés. Ce n’est donc plus assuré par les prisonniers qui faisaient du
service commun. Alors, cet été ça a explosé car ils ne faisaient plus rien. Ils sont réduits au rôle de simples détenus. Plus il y a de délinquants, plus ça rapporte ? »,
constate un participant. Un besoin de propositions claires pour en sortir, en revenant sur les lois de sécurité intérieure.
Mélenchon à la télé, écoutes collectives
C’est devenu un rituel : à chaque important passage de Jean-Luc Mélenchon à la télévision, le Front de gauche organise
des écoutes collectives à l’échelle nationale. Aujourd’hui, David Pujadas accueille le candidat à son magazine politique intitulé Des paroles et des actes, qui commence à 20 h 35 et durera plus
de deux heures. Mais, pour que les citoyens ne soient pas de simples téléspectateurs, on crée donc ces écoutes qui permettent de commenter et de débattre les propos entre militants, amis,
voisins ou habitants. Il peut s’agir de rencontres dans des appartements, dans des cafés et des brasseries ou dans les locaux des partis du Front de gauche. Comme à Viry-Châtillon (Essonne), à
Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), dans le 13e arrondissement de Paris, à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ou encore à Saint-Pierre-d’Aurillac (Gironde). Ces initiatives se déroulent
en présence des candidats aux législatives.
Sébastien Crépel
(à Orléans), Julia Hamlaoui (à Thionville) et Nicolas Séné (à Ganges)