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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

« On est devenus les pestiférés de la République »

5 Avril 2011, 21:33pm

Publié par PCF Villepinte

Vendredi, à la mosquée de Tremblay. Lors de son inauguration, François Asensi assurait aux fidèles qu'ils pourraient "vivre (leur) foi dans la sérénité".

Politique - le 5 Avril 2011

Laïcité

 

Reportage. Lundi 28 mars, la ville de Tremblay-en-France en Seine-Saint-Denis inaugurait sa mosquée. En plein dérapage de la droite sur la laïcité, nous avons rencontré des musulmans tremblaysiens, aussi fiers de leur lieu de culte qu’indignés par la tournure du débat. 

À deux pas du Vert-Galant, sur la ligne B du RER, une large avenue bordée d’arbres mène tout droit à la mosquée de Tremblay-en-France. Avec sa petite coupole en verre et son croissant doré flambant neuf, le bâtiment en granit gris côtoie le dojo en tôle rouge vif. Il fait beau et en quelques secondes, l’image des banlieues, territoires coupe-gorge et zones de non-droit, se dissout dans ce cadre chatoyant. Vendredi matin, c’est jour de prière à la mosquée. L’après-midi, la grande salle tapissée de moquette bleu marine accueille quelques fidèles. Assis par terre, appuyés contre des colonnes, certains lisent, d’autres prient.

Sous le puits de lumière, Abdelghani Bentrari, président de l’Union des musulmans de Tremblay-en-France (Umtef) se félicite du déroulement de l’inauguration de la mosquée, le 28 mars dernier. « Il y avait François Asensi, le maire de Tremblay, Christian Lambert, préfet de la Seine-Saint- Denis, des croyants, des non-croyants, plein de Tremblaysiens. Tout s’est très bien passé ! » Trop bien peut-être ? Au point que le reportage prévu dans le journal de France 3 n’a finalement pas été diffusé. « Aux musulmans, on propose toujours le même scénario. C’est toujours le même film, où il faut que les choses aillent mal », lâche Ahmed Taleb, plus qu’amer. Ce commerçant refuse d’entrer dans le débat tel que le pose l’UMP. En fait, il ne se sent pas concerné. « Un débat sur la laïcité ? Mais en quoi est-elle menacée ? Ce débat m’inquiète beaucoup. Ce qui est menacé, ce sont plutôt les vraies valeurs avec lesquelles on a grandi : égalité, liberté, fraternité. » Omar Sonni, jeune trentenaire tremblaysien, refuse lui aussi de débattre dans ce contexte. Avec le livre de Stéphane Hessel Indignez- vous entre les mains, il demande : « Pourquoi maintenant ? Pourquoi de cette façon ? Alors que les vrais problèmes concernent les questions sociales : manger, travailler, vivre… Dès qu’on parle des musulmans, c’est pour les stigmatiser. Jamais on ne réfléchit en termes de ce qu’on peut apporter de bien à la société. On passe notre temps à se définir par la négative. » Usant. Toujours se justifier, montrer patte blanche, encaisser les préjugés et les insinuations racistes. Chacun a une anecdote à ce sujet. Il faudrait donc tout effacer pour bien passer : le nom, la couleur de peau, la religion, le quartier. Ça fait beaucoup. Abderamane Mezrai s’emporte : « Sincèrement, je m’en fous de ce débat. Je suis né en Belgique. Mes parents étaient des mineurs. J’ai toujours vécu en France avec la carte de séjour. Jusqu’au jour où j’ai voulu voter. J’ai fait mes papiers français. Ça a été très rapide. Je cotise, je paye des impôts, mes enfants sont français.»

Les attaques médiatiques sont incessantes. Interdire aux mamans qui portent le voile de participer aux sorties d’école. Pointer du doigt les fidèles qui prient dans la rue. Refuser la construction de nouveaux lieux de culte. À chaque jour, sa nouvelle déclinaison des « manquements » à la laïcité. Omar Sonni, informaticien et sa femme, ingénieur, ont trois enfants. Ils participent activement aux activités de l’école. « On a fait le site Internet de l’école. On apporte notre participation comme n’importe quel citoyen. On essaie d’aider, d’apporter notre plus. L’image que les médias donnent des femmes est affligeante. Et elles en souffrent. » Abdelghani Bentrari, président de l’Umtef, analyse les conséquences profondes de ces attaques : « Interdire à une maman d’accompagner une classe : c’est la désigner comme une personne dangereuse. Vous imaginez ce qui se passe dans la tête de l’enfant ? Pourquoi le gouvernement passe son temps à nous mettre à l’amende ? » Ahmed Taleb, vendeur de fruits et légumes au marché de la porte de Clichy, d’ajouter : « Les dégâts collatéraux, c’est nous… On est devenus les pestiférés de la République. La France est en train de tout perdre. Pour gagner des élections, les politiques sont prêts à sacrifier les citoyens français. Et pendant ce temps-là, on privatise La Poste, EDF, on augmente le gaz…»

Lors de l’inauguration de la mosquée, le prêtre de Tremblay-en-France, Albert Ewald, était présent. Dans son bureau de l’église Marcel-Callo, il explique d’emblée que les catholiques aussi ont bien été obligés de prier dans les caves par manque de place avant la construction de l’église, en 1982. « C’est exactement la même chose que vivent les musulmans aujourd’hui », dit-il simplement. À la messe du dimanche, fréquentée par 200 fidèles, ils sont en majorité africains, antillais ou tamouls. Ce modérateur des quatre églises de la ville a découvert les bidonvilles des banlieues il y a quarante et un ans, à la sortie du séminaire, et peu après « les barricades de 68 ». Pour lui, l’islam et le catholicisme ont des racines et des valeurs communes. « On est très capables de dépasser nos différences, on a envie de s’écouter. On essaie d’être des hommes de paix, dans le but de vivre mieux. » Et ce débat sur la laïcité ? « Ce n’est pas à un parti politique d’organiser cela ! En revanche, les politiques au niveau local peuvent faciliter le rapprochement entre les communautés religieuses. Les maires communistes le font. À Montreuil, Jean-Pierre Brard (ex-maire, député apparenté PCF – NDLR) a oeuvré dans ce sens. À Tremblay, François Asensi le fait également. » Même si ce n’est pas toujours simple pour les chrétiens français d’accueillir des migrants et d’accepter l’autre, Albert Ewald est convaincu que c’est possible. Il a beaucoup apprécié l’invitation lancée par Abdelghani Bentrari à venir visiter la mosquée pendant deux journées portes ouvertes en janvier, où 600 personnes ont pu la découvrir. « Cela voulait dire que nous étions les bienvenus. On a été très bien accueillis. Nous avons discuté, échangé nos idées. C’était important de le faire. » Lors de l’inauguration de la mosquée, François Asensi a rappelé que celleci contribue à embellir le centre-ville de Tremblay, « illustration de la vitalité de la communauté musulmane française ». Avant de conclure par quelques lignes du poète palestinien Mahmoud Darwich, il a lancé, ému : « Vous pouvez être fiers de cette réalisation qui inscrit votre religion, l’islam, de manière paisible et sereine dans le paysage national. Vous pouvez ainsi vivre votre foi dans la sérénité et la tranquillité. »

A lire également notre entretien avec François Asensi: « Une instrumentalisation évidente du thème de la laïcité »

IXCHEL DELAPORTE

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