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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

HISTOIRE DE LA SEMAINE 24 heures dans la vie de celles et ceux qui font tourner l’aéroport de Roissy

30 Juillet 2022, 06:37am

Publié par PCF Villepinte

Un an après la crise, le trafic aérien a remis les gaz.

Sur la zone aéroportuaire nord-parisienne de Roissy, la demande explose mais les bras manquent.

Soumis aux cadences extrêmes, les 80000 salariés de la plateforme saturent, épuisés, tandis que leurs salaires restent cloués au sol.

Samedi 30 Juillet 2022

L'Humanité Marie ToulgoatLuis Reygada

 © Laurent Grandguillot/REA

Après un arrêt presque total pendant la crise du Covid, l’activité de l’aéroport parisien a aujourd’hui retrouvé des niveaux similaires à ceux de 2019. Mais, alors que les 800 entreprises de la plateforme aéroportuaire s’étaient séparées de nombreux salariés pour absorber le choc de la chute d’activité liée à la pandémie, avec la promesse de réembaucher dès la reprise du trafic aérien, les travailleurs restés en poste n’ont rien vu venir depuis.

Un vide qui rend leurs tâches infiniment plus compliquées. Qu’ils soient salariés d’entreprises historiques de l’aviation ou de sous-traitants, ils sont nombreux à s’être mobilisés en juin et juillet pour voir leurs mini-salaires s’envoler et recevoir ainsi une marque de reconnaissance pour leurs métiers pourtant très réglementés et dont dépendent chaque année la sécurité de millions d’usagers.

Car, si Roissy ne s’endort jamais, c’est que des travailleurs font vivre nuit et jour la deuxième plateforme aéroportuaire d’Europe, la neuvième au monde. Suivez le guide.

6 heures.  Imad Dachroune, agent de piste

Le jour se lève sur le tarmac. Au loin, un avion amorce sa descente, approche de la piste et se pose enfin. Au sol, la discrète chorégraphie d’Ihmad Dachroune commence. Il a été informé par un collègue régulateur de l’engin à prendre en charge et de sa place de parking.

Une fois l’avion stationné, c’est à lui de jouer. « On commence par le mettre en sécurité. On arrive avec le matériel, on le bloque, on met les cales, on dispose l’escabeau, explique l’agent de piste. C’est une grande responsabilité. » Une fois les moteurs coupés, ce sont 35 minutes chrono pour assurer les manœuvres et vider les soutes. «Je travaille sur de petits avions, donc il faut sagenouiller dedans, voire sallonger. Au total, on manipule trois à quatre tonnes de bagages par jour. C’est difficile», dit-il, à raison de cinq à six avions dans la journée.

Un labeur d’une grande intensité que sa rémunération peine à récompenser. Au bout de vingt-cinq ans d’ancienneté chez Gibag, société sous-traitante de la filiale de court-courriers d’Air France, HOP!, son salaire net ne dépasse pas 1700 euros, hors primes.

D’autant plus qu’à la pénibilité viennent s’ajouter des risques très concrets: «Le taux daccident du travail est cinq fois plus important que la moyenne chez les agents de piste», explique celui qui est aussi délégué syndical SUD aérien.

7 heures.  Willy Plantier, agent de tri chez FedEx

À l’autre bout de la piste, au nord-ouest de la zone aéroportuaire, l’entreprise américaine FedEx s’étend sur 45 hectares: cest le plus grand hub hors États-Unis du spécialiste du transport international de fret, qui fait office de porte dentrée et de sortie européennes des colis en provenance et vers le monde entier. Willy Plantier y occupe un poste d’agent de tri, un de plus dans la fourmilière FedEx qui compte 3200 salariés. Tous y jouent un rôle essentiel pour maintenir à flot la mécanique bien rodée qui traite plus de 60000 colis et enveloppes par heure, soit un volume de 1200 tonnes qui transitent tous les jours ici.

«Je suis aussi agent de piste: nous sommes plusieurs à avoir cette double casquette parce quil manque du personnel. Mais cest aussi la volonté de lentreprise davoir du personnel polyvalent», précise celui qui est aussi délégué CGT. «

Polyvalent et flexible », ajoute-t-il: «Le statut dintérimaire est souvent préféré car les contrats sont de 35 heures par semaine, contre 25 pour ceux qui se font embaucher. Certains travaillent comme ça depuis huit, parfois dix ans. Nous sommes déjà montés à 900 intérimaires sur une même journée.»

Charger, décharger, dispatcher, parquer, sécuriser, tracter les containers, aller et revenir au centre de tri déployé sur 72000 m²… « Cest très physique, avec beaucoup de manutention», précise-t-il en rappelant que les déclarations d’accidents du travail oscillent ici entre 700 et 900 par an.

Toutefois, les payes restent clouées au sol: après vingt années dancienneté, Willy Plantier touche un salaire de base (hors primes et majorations heures de nuit) de 1700 euros net par mois. «Cest peu, vu la difficulté du travail, les horaires de nuit» À 7 heures et demie du matin, il rentre enfin chez lui. Derrière lui, la flotte de 340 avions de FedEx poursuit son ballet incessant.

10h20.  Nourdine Sghiri, chauffeur super poids lourds, Transdev

À 5,5 kilomètres de là, retour en plein cœur de la zone aéroportuaire, au terminal 2F. Nourdine Sghiri s’affaire autour d’un Airbus A350 d’Air France. L’avion décollera dans une heure pour emmener ses 324 passagers de l’autre côté de l’Atlantique. Le chauffeur super poids lourds transporteur de fret aérien est employé d’Aero Piste, filiale de la multinationale Transdev qui sous-traite pour la compagnie française.

Peu de monde le sait: les vols long-courriers d’Air France emportent parfois dans leur soute jusqu’à 15 tonnes de fret, en plus des bagages des passagers. «Cest une activité très rentable», assure celui qui est aussi délégué du personnel «non syndiqué», avant de dénoncer le sous-effectif: «Ils se sont servis de la crise du Covid pour se défaire de personnels; aujourdhui, on est à 100 % de lactivité mais avec deux fois moins de salariés. Les cadences sont trop élevées. Logiquement, ça se répercute sur la sécurité et sur la qualité du service.»

Difficile de ne pas se plaindre quand le salaire de base plafonne à 1800 euros net. Charger, décharger les palettes, conduire les engins de plusieurs tonnes sur les pistes. «Beaucoup de stress et de responsabilité, mais peu de sentiment de valorisation, d’autant plus que nous travaillons en horaires décalés, le week-end. On finit tard le soir… C’est éreintant pour la santé», complète le chauffeur. 

14 heures.  Sylvia, agent de sûreté

Dans le hall du terminal, à l’entrée des points de contrôle qui ouvrent les portes de la zone d’embarquement, la file d’attente s’allonge et les passagers commencent à perdre patience. Les longues minutes à attendre provoquent de plus en plus souvent des invectives, des bousculades. « Il y a de plus en plus de tension », confirme Sylvia, agent de sûreté syndiquée FO.

Derrière le portique où s’enchaînent les voyageurs, elle et ses collègues s’assurent qu’aucun d’entre eux n’apporte en vol d’objets interdits ou dangereux. Mais depuis le Covid, les effectifs de sa société, le sous-traitant ICTS, ont fondu alors que le nombre de passagers a quasiment retrouvé son niveau d’avant la crise. Conséquence: les agents de sûreté sont sommés de mettre les bouchées doubles, au péril, parfois, de la sécurité. «On nous dit quil faut que les passagers passent coûte que coûte, quitte à mal faire notre travail. Mais si un couteau ou une bombe passe, cest nous qui sommes responsables», souffle la salariée, dans l’entreprise depuis vingt-huit ans.

Son employeur chercherait à recruter, mais à 1500 euros net sans les primes pour une si grande responsabilité, les candidats ne se bousculent pas. Dautant plus que les agents, même après trente années de fidélité, nont pas la garantie de lemploi: tous doivent passer une certification tous les trois ans et risquent le licenciement en cas d’échec.

15h30.  Makan Dembele, agent de manutention

Voilà dix-huit ans que Makan Dembele s’occupe du nettoyage et de la manutention de pièces d’avion comme des moteurs, qu’il transporte et met à disposition des mécaniciens chargés ensuite de les monter sur les aéronefs. Un travail minutieux dont se chargeaient auparavant les salariés d’Air France, «mais lentreprise a préféré sous-traiter pour faire des économies».

Aujourd’hui employé par Acna, Makan Dembele a vu défiler plusieurs patrons au gré des marchés remportés à chaque fois par la société qui affichera les prix les plus bas en rognant sur tout. «En réalité, nous sommes des CDI intérimaires, car tous les trois ans, à chaque nouvel appel doffres, nous ne sommes pas sûrs d’être repris. À chaque fois, cest la même angoisse et avec une seule certitude: à nouvel employeur, nouvelle perte de salaire», dénonce cet élu CGT qui gagne aujourdhui 1500 euros par mois alors quil en gagnait auparavant 1800.

«Cest dû aussi aux accords que certains syndicats ont signés pendant le Covid. Sur la plateforme, beaucoup ont perdu leur treizième mois, dautres leurs primes Il y a un gros malaise à Roissy.» Pour ce syndicaliste, sous-traitance et appels doffres sans critères sociaux fixés par les donneurs d’ordres, qu’il s’agisse d’Air France ou d’ADP, ne peuvent qu’avoir des conséquences négatives sur les salaires et les droits des travailleurs. 

23 heures.  Samira Abdallaoui, employée de restauration

Dans n’importe quel autre restaurant, les fours seraient déjà éteints, les tables nettoyées. Mais Samira Abadallaoui, hôtesse de salle dans une brasserie de l’aéroport Charles-de-Gaulle, n’a pas encore fini sa journée de travail. Ses clients arrivent par les airs et leur vol est en retard. «On travaille avec Aéroports de Paris (ADP), il nous arrive de faire des heures supplémentaires et de rester lorsque les vols sont retardés», explique-t-elle.

Les horaires décalés font partie du travail. Mais depuis quelque temps, l’employeur demande également aux salariés de multiplier les missions, pour faire face au manque de personnel. «Avant, on faisait ce pour quoi on était payés: servir le client et débarrasser la table. Aujourdhui, le patron nous demande aussi de faire laccueil, la plonge, de nous occuper du bar. Il ny a pas assez de personnel», déplore la salariée de SSP, société spécialisée dans la restauration en aéroports et gares.

Pour la travailleuse, syndiquée à la CGT, ce sont les salaires qui dissuadent les candidats de venir grossir leurs rangs. «Ici, on commence au Smic. On n’arrive pas à joindre les deux bouts. Certains de mes collègues dorment dans leur voiture. Nos salaires ont été augmentés de 2 %, mais ce n’est même pas 100 euros brut. Les jeunes ne veulent plus venir, et je les comprends.»

Ce soir-là, ses heures supplémentaires l’emmènent jusqu’à tard. Alors qu’elle finit sa «journée», Imad Dachroune, sur les pistes, et Willy Plantier, dans son hub, sapprêtent à commencer la leur.

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