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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

Sorcière, de la créature maléfique à l’icône féministe

30 Juillet 2022, 06:56am

Publié par PCF Villepinte

De Salem à Édimbourg, le mouvement de réhabilitation de milliers de femmes persécutées et exécutées pour «sorcellerie», entre les XVe et XVIIIe siècles, marque des points. Quelle est la modernité de ce combat? ANALYSE

Samedi 30 Juillet 2022

L'Humanité Christophe DeroubaixThomas Lemahieu

Marche dans les rues d’Istanbul en Turquie pour la Journée internationale des droits de femmes. © Bulent Kilic/AFP

Elle était la dernière des sorcières de Salem… non graciée. Son nom s’était perdu dans les limbes de l’Histoire. Ce sont des collégiens qui l’en ont sorti. Célibataire sans enfant, Elizabeth Johnson avait 22 ans lorsqu’elle fut dénoncée comme sorcière et condamnée à la pendaison. Sans être acquittée, elle a échappé à la potence après que le gouverneur royal de l’État du Massachusetts, un certain William Phips, a mis fin à l’hystérie presque générale qui saisissait, à la fin du XVIIe siècle, cette partie de la Nouvelle-­Angleterre. 

Une « pécheresse » examinée lors de son procès, « créature » forcément insensible à la douleur puisque protégée par le diable. La puissante vague misogyne a culminé en Europe au XVIIe siècle.

En mai dernier, Elizabeth Johnson a finalement été réhabilitée par le Sénat de ce même État, trois cent vingt-neuf ans après sa condamnation. Au cours d’une recherche sur les fameuses «sorcières de Salem», des collégiens de North ­Andover ont découvert son nom, un an plus tôt. Ils n’ont dès lors cessé de plaider sa cause auprès des élus de l’État, qui ont pris l’affaire en mains, comme un point final au mouvement de vérité et de réhabilitation concernant cette tache – une de plus – dans l’histoire des États-Unis. En quelques mois, 20 personnes de Salem et des villages environnants avaient été tuées (19 par pendaison et une par lapidation) et des centaines accusées durant une grande crise puritaine.

Les théocrates conduisent la chasse

Nous sommes en 1692. Soixante-douze ans plus tôt, à bord du « Mayflower », les «pères pèlerins» ont accosté à Plymouth, à une centaine de kilomètres au sud de Salem. Persécutés en Angleterre pour leur croyance religieuse, ils ont traversé lAtlantique afin dy trouver une «nouvelle Jérusalem» et dy installer sur terre le royaume de Dieu. Ils sont puritains. Leur présence na quun but: instaurer une théocratie. Alors que le siècle tire à sa fin, la jeune colonie nest toujours quune enclave ­anglaise en territoire indien mais trop éloignée de sa maison mère pour être protégée. 

Tout a commencé par des jeux de ­divination de la fille et de la nièce – respectivement âgées de 9 et 11 ans – du révérend Samuel Parris. Lors d’une séance, l’une des deux gamines assure avoir eu la vision d’un spectre, accompagnée d’une angoisse et d’une respiration coupée. Un médecin diagnostique une possession satanique. D’autres «cas» de fillettes prises de convulsions et de troubles du langage sajoutent. Pressées par les adultes, elles évitent de dire qu’elles se sont elles-mêmes adonnées à ce qui peut s’apparenter à de la sorcellerie et, de peur de contrevenir à la norme chrétienne de la communauté, donnent les noms de trois femmes: une mendiante, une vieille femme alitée et lesclave barbadienne du pasteur…

Le parti républicain et le «bloc évangélique»

La mécanique est enclenchée. Les arrestations se multiplient mais en dehors de toute légitimité ­judiciaire, un vide que le gouverneur comble en instituant une cour ad hoc. Cette dernière condamne à la chaîne, évitant seulement la mise à mort pour celles qui avouent. Elizabeth Short, condamnée alors qu’elle est enceinte, est pendue juste après avoir donné naissance. Quatorze femmes – presque toutes vieilles et pauvres – sont assassinées, ainsi que cinq hommes: un ministre du culte respecté, un ancien policier qui a refusé d’arrêter davantage de prétendues sorcières, et trois personnes disposant d’une certaine fortune. La microcommunauté­ se vide de ses habitants injustement accusés ou ­effrayés de l’être. Sans doute est-ce cela qui oblige le gouverneur à stopper le délire collectif.

Les historiens se disputent encore sur l’origine de ce sombre épisode – de l’ergotisme (mal provoqué par l’ergot de seigle, qui contient une substance voisine du LSD) à l’hallucination collective d’une communauté enfermée dans le puritanisme. En tout état de cause, selon l’historien George Lincoln Burr, «la sorcellerie de Salem a été le roc sur lequel la théocratie s’est brisée». Lorsque les États-Unis se fondent, ils établissent, selon la formule de Thomas Jefferson, rédacteur de la déclaration dindépendance, un «mur de séparation»… que le «bloc évangélique» et le Parti républicain, avec leur bras armé, s’efforcent aujourd’hui d’abattre, criant, à la première résistance, à… la «chasse aux sorcières» !

En Europe, les premiers mouvements vers une réhabilitation des sorcières persécutées au nom de l’humanisme et de la science en pleine Renaissance émanent des périphéries, ou de nations sans État comme la ­Catalogne et l’Écosse. Dans les deux cas, ce sont les formations indépendantistes de gauche au pouvoir qui ont, l’an dernier, remis le sujet sur la table.

Sur la table du Parlement écossais

À Édimbourg, où les autorités ont, en 1563, trois ans après avoir épousé le protestantisme, édicté une loi déclenchant une chasse aux sorcières particulièrement sanglante – près de 4000 femmes, dans leur écrasante majorité, avaient été poursuivies, torturées et, pour une bonne part, exécutées –, le principe général d’une réhabilitation est désormais en cours d’examen au Parlement écossais.

Selon Natalie Don, députée du Parti national écossais (SNP) à Holyrood – le nom de l’assemblée locale – et promotrice de la proposition de loi, tout échec dans la tentative de rendre enfin justice à ces milliers de personnes ne ferait que «prolonger une misogynie ancestrale». Plusieurs textes de loi du même acabit se sont déjà heurtés à un veto des plus réactionnaires au début des années 2000. Mais le sens de l’Histoire a tourné, semble-t-il.

Au printemps dernier, la première ministre indépendantiste écossaise Nicola Sturgeon a pris les devants en formulant des «excuses officielles» à toutes celles qui ont pu être frappées à travers la «misogynie profonde» qui inspirait la loi sur les chasses aux sorcières. «La seule manière davancer contre le patriarcat, cest de réparer une fois pour toutes ces injustices de notre passé, ajoute encore Natalie Don. La plupart des femmes ont été visées parce qu’elles étaient un peu différentes, qu’elles étaient pauvres ou bannies. De nos jours, même si leurs caractéristiques peuvent ne pas être les mêmes qu’à l’époque, on continue de constater que, quand les femmes cherchent à être différentes ou indépendantes, cela met les hommes dans une rage folle.»

Résolution solennelle en Catalogne

Inspirés au départ par la campagne initiée par des féministes écossaises, rassemblées dans le collectif Witches of Scotland (Sorcières d’Écosse), les parlementaires catalans ont été plus rapides que leurs homologues d’Édimbourg et de Glasgow. Le 26 janvier dernier, une large majorité des députés membres de l’assemblée régionale ont adopté une résolution visant à réhabiliter la mémoire de plus de 700 femmes torturées et mises à mort en tant que sorcières.

«Jadis, ils nous appelaient sorcières, maintenant ils parlent de nous comme des “féminazies, des hystériques, des frustrées ou des mal baisées, dénonce Jenn Diaz, journaliste féministe et députée de la Gauche républicaine catalane (ERC) à lorigine du texte législatif catalan. Les chasses aux sorcières qu’ils menaient portent un autre nom ­aujourd’hui. On les appelle des féminicides.»

D’après «Sapiens», une revue scientifique qui a, avec les recherches de l’historien Pau Castell, servi de base pour l’exposé des motifs de la résolution votée par l’assemblée locale, la Catalogne a été l’une des premières régions d’Europe où ont eu lieu des actes antisorcellerie, à partir de 1471. Elle est aussi considérée comme l’une des régions où ont eu lieu le plus grand nombre d’exécutions de femmes ­accusées d’être des sorcières. «Les accusations à notre encontre nont pas disparu au XXIe siècle, prolonge Jenn Diaz.

 Elles se sont adaptées au climat, à l’environnement. Nous traiter de sorcières, ce n’est que légitimer un discours qui veut voir des femmes dociles, belles et silencieuses… Et si nous refusons de nous taire, on veut nous le faire payer cher. Les bûchers d’aujourd’hui auront une forme différente selon l’endroit où vous êtes née, mais ce sont les mêmes. Ce qui a changé, en l’occurrence, c’est nous, les descendantes, les héritières des ­sorcières et des guérisseuses. Nous ne sommes plus isolées et nous sommes organisées.»

 

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