Paris 2024 : lignes sous tension, stations fermées, bombe sociale à venir...
Paris 2024 :
les transports tiendront-ils le choc ?
L’Humanité 1 avril 2024
© Infographie L’Humanité
Le plan de transports de Valérie Pécresse prévoit une hausse moyenne de 15 % des métros et RER. Mais, selon des documents consultés par l’Humanité, les Franciliens affronteront des lignes proches de la rupture et une offre dégradée même après l’événement.
« Il ne faudra pas avoir peur de faire un peu de marche. »
Lundi 25 mars, lors de la présentation du plan transports pour les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), Valérie Pécresse a semé le doute auprès des usagers des transports publics. Comment seront-ils contraints dans leurs déplacements durant les épreuves, du 26 juillet au 11 août, puis du 28 août au 8 septembre ?
Sur le papier, la présidente d’Île-de-France Mobilités (IDFM) se veut rassurante : « On ne va pas empêcher les Franciliens d’aller travailler. » En amont d’un conseil d’administration d’IDFM ce mercredi 3 avril, les éléments de langage sont rodés. En partant « des besoins de travail des Franciliens entre le 1er et le 12 août », assure la présidente LR de la région, IDFM a modélisé les nécessités de transport en « fonction des épreuves ». L’offre sera ainsi rehaussée de 15 % en moyenne dans les métros et RER, 23 % pour les lignes desservant les sites et même 60 à 70 % sur le métro 9 et les RER A et C.
Mais, derrière ce plan de communication, les prévisions sont moins clinquantes. Valérie Pécresse ne cache pas que des difficultés sont attendues sur les lignes 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, les RER B, C et D ainsi que les Transilien N, U, J, L et P.
Alors que le réseau est au bord de la rupture, ces lignes devront avaler 1 million de voyageurs supplémentaires par jour, rien que sur le réseau RATP, soit une hausse de trafic de 15 % les jours ouvrés et 30 % les week-ends par rapport à un été classique. Pour les sites aux abords de Saint-Denis (stade olympique, piscine…), reliés par les lignes 13 et 14, les RER B et D et le transilien H, le pic de flux anticipé est de 1 000 personnes par minute.
La 14, « colonne vertébrale des Jeux », augmentée de… 3 %
L’offre de transports constituait un des points forts du dossier de candidature de Paris 2024, déposé en 2017. Sept ans plus tard, sur les quinze nouvelles lignes ou prolongements promis, seule une poignée sera prête à temps. C’est le cas de la ligne 14, « colonne vertébrale des Jeux », selon Valérie Pécresse. Or, selon les plans de transports détaillés, consultés par l’Humanité, cette ligne automatique ne verra sa fréquence augmenter que de 3 % « par rapport à un été sans les JO ».
Contacté, IDFM assure que « ce renfort vient en complément des trains à 8 voitures », soit 30 % de capacité supplémentaire, « la ligne 14 étant l’une des lignes les plus capacitaires et les plus régulières du réseau ». Sauf que, de l’aveu même de Valérie Pécresse, la ligne reliant l’aéroport d’Orly, au sud, et la zone Stade de France-Village olympique, au nord, devra transporter quotidiennement un million de voyageurs, soit le double de la fréquence actuelle.
Le RER B, desservant la zone Stade de France-Piscine olympique et l’aéroport Charles-de-Gaulle, sera elle aussi sous tension. Alors que Valérie Pécresse annonçait une hausse de l’offre de 23 %, cette dernière ne sera, selon nos informations, que de 14 %.
Les efforts se concentreront principalement sur la branche Aulnay-sous-Bois–Aéroport CDG, qui sera pleinement renforcée (+ 47 %). Un comble. Jusqu’alors, les travaux de rénovation de cette ligne du quotidien qu’est le RER B sont passés après le projet à 2,2 milliards d’euros du CDG Express. Une liaison directe en 33 minutes de l’aéroport et la gare de l’Est, vantée dans le dossier de candidature de Paris 2024, qui ne sera prête que… fin 2025.
Déjà 9 stations de métro fermées
« Nous devons enlever aux Franciliens leurs automatismes de transport. » La phrase lâchée par Valérie Pécresse, lundi 25 mars, laisse entrevoir le désordre à venir. « C’est assez lunaire de prendre autant de légèreté alors que le quotidien des usagers sera grandement bousculé, mesure Céline Malaisé, présidente du groupe PCF à la région. Manifestement, le plan transports n’est pas prêt et les habitants n’ont comme garantie que l’allongement des temps de transport. »
Début mars, une liste de 6 stations (Champs-Élysées-Clemenceau, Concorde, Tuileries, Colette-Besson, Porte-d’Issy et Porte-de-Versailles), fermées pour certaines d’entre elles jusqu’au 21 septembre, avait été rendue publique. Selon nos informations, trois autres fermetures s’ajoutent : Michel-Ange-Molitor, Boulogne-Jean-Jaurès et Boulogne-Pont-de-Saint-Cloud. Toutes sur la ligne 10, elles se trouvent à proximité immédiate du Parc des Princes et de Roland-Garros.
Contacté, IDFM fait savoir « qu’en raison de l’afflux de personnes attendues dans le secteur sud-ouest, (ces) stations sont fermées entre 16 heures et la fin de service le 24 juillet, du 27 juillet au 3 août et du 9 au 10 août ». Malgré ces précautions, la 10 devrait circuler certains jours, selon des documents internes à la RATP, à flux tendu, avec la mise en service de l’ensemble du parc de rames dès 17 heures. Interrogé sur un allongement à venir de cette liste de stations fermées, IDFM botte en touche et fait savoir qu’elles résultent « de demandes classiques de la préfecture de police. »
Pouvoir se rendre au travail, mais pas en revenir ?
De manière concrète, les Franciliens devront « anticiper les impacts sur leur quotidien », prévient Valérie Pécresse, grâce au site anticiperlesjeux.fr. « Il donnera les plans de transport les plus adaptés », poursuit la présidente d’IDFM. Comprendre : des parcours de délestement pour laisser la place au public des sites olympiques.
Les spectateurs, eux, bénéficieront d’une application dédiée. IDFM mise aussi sur une généralisation du télétravail dans les entreprises pour désengorger le réseau, tablant sur une baisse de 20 % de la fréquentation aux heures de pointe.
« Le télétravail ne résout pas tout. De nombreux emplois feront tourner les jeux Olympiques », note Céline Malaisé. Tout en « refusant les faux procès faits à l’État et à IDFM », Valérie Pécresse prévient : « Les problèmes ne seront pas aux heures de pointe du matin, mais du soir. Les Franciliens doivent s’organiser. » Pouvoir se rendre au travail, mais pas en revenir ? Une épreuve olympique en soi… Autre bémol, les jeux Paralympiques se tiendront en parallèle de la rentrée scolaire.
« Il manque 1 700 chauffeurs de bus à la RATP »
C’était la grande annonce de la présidente d’IDFM : 10 lignes de navettes gratuites pour les spectateurs, notamment pour rejoindre le Parc des Princes et Roland-Garros, seront mises en place, à l’aide de 300 bus articulés. Un moyen de remédier aux difficultés structurelles des lignes 9 et 10, non dimensionnées pour desservir simultanément les deux sites.
Mais qu’en est-il du réseau de bus RATP, durant les épreuves et pour les voyages du quotidien ? Aucune information ne figure dans le plan transports dévoilé le 25 mars. Des pistes devraient être avancées d’ici à mai.
Le dossier est sensible. Initialement, l’ensemble du réseau, découpé en 13 lots, devait être livré à la concurrence à partir du 31 décembre 2024. LR et les macronistes ont décalé cette échéance au 31 décembre 2026. « Les appels d’offres des deux premiers lots de bus sont infructueux car les objectifs financiers sont inatteignables.
Valérie Pécresse agit en bonne libérale : elle veut financer les transports publics en baissant les salaires et en dégradant les conditions de travail des salariés. Mais cela ne fonctionne pas parce que les agents refusent et quittent l’entreprise », insiste Jacques Baudrier.
L’administrateur PCF d’IDFM l’assure : « Il manque 1 700 chauffeurs de bus à la RATP », pour fournir l’offre nominale. Selon des documents internes à la RATP1, que nous avons pu consulter, le nombre d’employés pour le réseau de surface (RDS) (c’est-à-dire les bus), est passé de 18 405 à 16 811 entre 2021 et 2023. Pour les salariés « transports » (conducteurs), la baisse est de 10,1 %.
S’agissant des navettes gratuites pour desservir les épreuves, les appels d’offres ont été attribués à des concurrents de la RATP. Mais, selon Céline Malaisé, « il semblerait que les opérateurs choisis par IDFM soient dans l’incapacité d’aligner le personnel ». Pour la présidente du groupe communiste à la région, « le risque est qu’une partie de la production soit sous-traitée par la RATP ou des entreprises privées. Notre grande crainte est que la banlieue soit déshabillée de ses agents au profit des lignes dédiées aux JO ». Contacté, IDFM réfute ces hypothèses.
Usagers et agents paieront la facture sociale
« Nous sommes complètement mobilisés, à la manœuvre sans triomphalisme mais sans défaitisme », assurait Jean Castex, président de la RATP, mardi 26 mars. L’opérateur historique constituera la clef de voûte du bon fonctionnement de ces Jeux 100 % décarbonés en matière de transport. Quelque 19 000 salariés de la RATP seront mobilisés sur la période olympique et paralympique.
Mais qu’en sera-t-il de l’offre, lorsque les agents de la RATP devront nécessairement rattraper leurs congés, après les épreuves ? Interrogé au sujet de l’offre globale régionale, IDFM assure que « 300 conducteurs (de métros) ont été recrutés pour les Jeux, justement pour répondre à la hausse de la demande pendant les compétitions, mais aussi pour pallier la baisse de l’offre post-JO ». Un chiffre déjà avancé par Valérie Pécresse, le 25 mars.
En réalité, selon l’avenant au contrat, que nous avons pu consulter, liant l’organisateur de la mobilité et l’opérateur, ces recrutements ne sont que de 200 conducteurs, quand bien même la RATP estimait les besoins à 250. Cependant, la mise en service d’une rame de métro dépend d’une chaîne de métiers plus large que les simples conducteurs, notamment dans les ateliers.
De fait, le gros des efforts sera consenti par les agents en poste, sur la base du volontariat, assure l’entreprise. Mais, selon des documents internes que l’Humanité a pu consulter, les autorisations d’absence pour congés d’été seront limitées de 20 à 33 % des effectifs, selon les services et les lignes.
Les agents avaient jusqu’au 15 février pour demander des congés pour la période estivale. « Généralement, les taux d’absentéisme pour des congés d’été sont entre 30 à 50 %. Mais, à l’heure actuelle, dans mon dépôt, aucun agent ne s’est vu accorder ses congés », nous soutient une source.
« À ce jour, nous n’avons aucune garantie que le droit légitime aux congés des salariés des opérateurs ne conduise pas à une réduction de l’offre de transport avant ou après les épreuves », prévient Céline Malaisé. Pour les Franciliens, les jeux Olympiques et Paralympiques risquent de se poursuivre au-delà du 8 septembre.
1 Contactée, la RATP n’a pas répondu à nos questions. ↩︎