COP26. Dérèglement climatique : les États vont-ils enfin agir ?
/image%2F0554604%2F20211031%2Fob_aed1b0_90759-hr.jpg)
Samedi 30 Octobre 2021
L'Humanité Marie-Noëlle Bertrand
Alors que démarrent les négociations de la COP26 ce 1er novembre à Glasgow, l’enjeu est désormais de limiter au maximum le réchauffement climatique. Une lutte qui n’est pas (encore) perdue, et qui pourrait même tirer vers le haut l’ensemble de la société, en matière de santé, de travail, d’autonomie alimentaire...
DOSSIER La COP26 se tient du 1er au 12 novembre à Glasgow, en Écosse. Découvrez nos articles sur le sujet :
- Climat. Pourquoi la COP26 est-elle si décisive ?
- Daniel Tanuro : « Les luttes sociales et écologiques sont nos seules sources d’espérance »
- Dérèglement climatique : des adaptations aussi pour le meilleur
- Îles Marshall : le combat de l’archipel des gens sans terre à la COP26
- Regard sur l’état du monde à trois jours de la COP26
Insatisfaisantes, pas assez ambitieuses, trop loin du compte et pour tout dire décevantes : les commentaires qui collent au train des COP (Conférences des Parties) se suivent et bien souvent se ressemblent. Rares sont les conférences internationales sur le climat qui échappent à la règle. Et quand bien même : l’euphorie que ces exceptions génèrent laisse souvent place, dans les années qui suivent, à une désillusion au moins équivalente.
La COP26, qui s’ouvre ce 1er novembre à Glasgow, en Écosse, se défera-t-elle de ce sort qui, sommet après sommet, pollue l’espoir placé dans les négociations internationales ? Oui, si elle est réussie. Mais, au final, qu’est-ce qu’une COP aboutie ? « Au début, tout était plutôt bien parti », se rappelle le paléoclimatologue Jean Jouzel, ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (Giec).
Depuis les années 1960, une multiplication des alertes
Le début, c’est le sommet de la Terre de Rio, en 1992. Réunis dans la capitale culturelle du Brésil, près de 170 pays prennent la résolution d’attaquer à bras-le-corps les enjeux environnementaux. Trois conventions internationales y voient le jour. L’une porte sur la préservation de la biodiversité. La deuxième sur la lutte contre la désertification. La troisième, dite convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), focalise toutes les attentions.
Depuis les années 1960, les alertes scientifiques se sont multipliées sur les risques d’un réchauffement possiblement lié aux émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines. Le gaz carbonique (CO2) émis par les énergies fossiles est dans leur ligne de mire. « En 1979, le rapport Charney établit très clairement le risque que la température globale se réchauffe de plusieurs degrés par rapport à l’ère préindustrielle », reprend Jean Jouzel. L’alarme monte en puissance durant les années 1980, tandis que les réunions politiques et scientifiques se multiplient.
1990 : le premier rapport du Giec
En 1988, le G7 valide la création du Giec, placé sous l’égide de l’ONU et de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). En 1990, il publie son premier rapport d’évaluation du changement climatique.
« Il dit clairement que l’activité humaine est susceptible de produire un réchauffement sans précédent », reprend Jean Jouzel. Reste à savoir si ce constat peut conduire à une action politique. À Rio, la communauté internationale dit oui, et décide que les parties de l’ONU y travailleront dans le cadre de COP (Conferences of Parties, en anglais), lesquelles se réuniront tous les ans.
La première a lieu en 1995, à Berlin ; 120 gouvernements se retrouvent dans une Allemagne fraîchement réunifiée. Placés sous le feu des projecteurs, les enjeux climatiques endossent une portée politique internationale.
Deux ans plus tard, en 1997, les pays valident le protocole de Kyoto (PK). Premier accord international sur le climat, il affiche l’ambition de réduire de 5 % à 6 % les émissions de GES mondiales avant 2012 et applique à la lettre les principes de la CCNUCC. Celle-ci reconnaît le droit au développement des pays les plus pauvres. Elle reconnaît aussi le principe de « responsabilité commune, mais différenciée » des États, selon lequel les pays industrialisés ont très majoritairement contribué au réchauffement. Seuls eux se voient soumis à des objectifs de réduction d’émissions, lesquels sont fixés par le protocole, sous une forme qui se veut contraignante. Tout semble bien parti, donc.
2001 : les États-Unis se retirent du protocole de Kyoto
Mais, au début des années 2000, la géopolitique est sur le point d’être bouleversée. En 2001, l’administration Clinton laisse place à celle de Bush fils. Celui-ci s’empresse d’annoncer la sortie des États-Unis du protocole de Kyoto, qu’il juge contraire aux intérêts économiques de son pays. Ce retrait du pays le plus émetteur de GES au monde est une détonation, dont le souffle balaye les négociations. À la même période, l’essor de la croissance chinoise prend tout le monde de court. « Personne n’avait imaginé que les émissions de CO2 de la Chine doubleraient durant la décennie », assure Jean Jouzel. Toutes les cartes sont redistribuées. Les COP qui suivent œuvrent à réorganiser le jeu.
En 2009, lorsque se réunit celle de Copenhague, on pense y être parvenu. Censée reconduire le protocole de Kyoto jusqu’en 2020, cette COP15 nourrit tous les espoirs, exacerbés par l’élection récente de Barack Obama. On la dit « COP de la dernière chance ». Elle se conclut par un échec monumental.
La Chine et les États-Unis s’y affrontent fiévreusement, refusant l’un et l’autre de se voir contraints à des efforts. La confiance explose entre pays dits du Sud et pays dits du Nord, au point que le processus multilatéral bat de l’aile. Il mettra six ans à se reconstruire, au prix de lourds compromis.
2011 : le retour de la communauté internationale
En 2011, la communauté internationale s’engage à construire un accord impliquant tous les pays du monde, pauvres ou riches, mais sans imposer de contraintes d’objectifs. Chacun sera libre de se choisir le niveau d’ambition qui lui convient. Cet accord est conclu en grande pompe lors de la COP21, en 2015 : c’est l’accord de Paris sur le climat. Côté plus : les États s’y engagent à limiter le réchauffement à un maximum de + 2 °C, voire de + 1,5 °C. Côté moins : ils ne se voient pas contraints à un objectif de réduction d’émissions. Cinq ans après, le succès est mitigé.
Lire aussi : Frédéric Neyrat : « Nous n’empêcherons le réchauffement planétaire qu’en changeant les institutions »
Alors que le Giec estime nécessaire de réduire les émissions de GES de 45 % d’ici à 2030 par rapport à 2010 pour parvenir à tenir les objectifs, l’ensemble des engagements volontaires des pays, dits NDCs, conduisent, à ce jour, à les augmenter de 16 %, estime la CCNUCC. En suivant le plus optimiste des calculs, cela débouche sur une perspective de réchauffement global de 2,7 °C d’ici à la fin du siècle. Tout le travail de la COP26 va être de rattraper le coup.
« Des leviers d’action dont il faut se saisir »
Nouvelle COP de la dernière chance, donc ? « À demander monts et merveilles à ces conférences, on crée de la déception », prévient l’économiste Maxime Combes, qui suit les négociations climat pour Attac depuis 2007. Le réchauffement climatique est le résultat d’un capitalisme qui s’est globalisé sous l’action des États qui, aujourd’hui, ont les rênes des COP en mains, rappelle-t-il. « Nous ne pouvons pas attendre d’elles qu’elles bouleversent le système marchand et rétablissent l’équilibre Nord-Sud. C’est une bataille à mener auprès des États. » Le cadre de l’accord de Paris, en outre, n’est pas idéal, quand il ne pose aucune limite à l’exploration et à l’exploitation de charbon, de pétrole et de gaz. « Mais il ne changera pas de sitôt », reprend Maxime Combes.
Lire notre entretien : Maxime Combes : « La procrastination des gouvernements est un crime climatique »
Cela dit, entre le tout et le rien, il existe le un peu et le beaucoup, explique-t-il en substance. « Dans le contexte actuel de replis nationalistes, le fait qu’une COP se tienne dans le cadre de l’ONU, dont la charte est de donner la même voix à tous les peuples, est à saluer », note-t-il. La COP26, surtout, « offre plusieurs leviers d’action dont il faut se saisir ».
En 2009, les pays riches avaient promis de soutenir les pays pauvres face aux bouleversements climatiques à hauteur de 100 milliards de dollars par an à compter de 2020.LOLA VALLEJO Directrice de l'Iddri
Les règles d’application des marchés carbone doivent y être rediscutées, « sur lesquelles il est possible d’agir de façon qu’elles soient moins permissives », estime l’économiste. La question de la coopération internationale sera également centrale. « En 2009, les pays riches avaient promis de soutenir les pays pauvres face aux bouleversements climatiques à hauteur de 100 milliards de dollars par an à compter de 2020 », rappelle Lola Vallejo, directrice de l’Institut de développement durable et des relations internationales (Iddri). « Pour l’heure, l’OCDE estime que seuls 80 milliards sont sur la table, dont 70 % sous forme de prêts à rembourser. » Glasgow est l’occasion pour les États d’aller au bout de leurs promesses.
Le poids de la jeunesse
Cela vaut également pour leur engagement à tenir la limite de + 1,5 °C de réchauffement. « L’accord de Paris prévoit qu’ils révisent leurs ambitions tous les cinq ans », rappelle Henri Waisman, coauteur du 6e rapport du Giec et chercheur à l’Iddri. L’heure a sonné, et des mouvements de fond y poussent. À l’échelle des États, plusieurs coalitions se sont formées ces derniers mois pour s’engager dans une sortie des énergies fossiles, par exemple entre le Danemark et le Costa Rica. « On peut réussir à faire entrer par la fenêtre ce qui n’est pas passé par la porte », reprend Maxime Combes.
Lire aussi : Le climat, la cause qui donne un bol d’air à la démocratie
Les mouvements citoyens, surtout, ont enfoncé des coins. « Les jeunes mobilisés depuis 2018 ont fait avancer beaucoup de choses dans l’opinion publique autant que dans les politiques. Sans leur pression, l’Europe n’afficherait pas un objectif de réduction de 55 % de ses émissions de gaz à effet de serre en 2030. » Alors que de nouvelles mobilisations se préparent, pas de raison que la COP26 ne bénéficie pas de la même influence.
Lire aussi : Génération climat : « On ne peut pas se permettre de perdre ! »