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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

1789-2019. Révolution française : quels enjeux pour un anniversaire ?(2)

11 Janvier 2019, 15:25pm

Publié par PCF Villepinte

Mardi, 8 Janvier, 2019

L’Humanité Jérôme Skalski

Rappel des faits À l’approche des 230 ans de la célébration de la prise de la Bastille, la Révolution française ne cesse de nous interroger et de faire écho.(2)

La Révolution éclate là où personne ne l’attend

Pierre Serna

Historien, institut d’histoire de la Révolution française à l’université Paris Panthéon-Sorbonne

1789-2019. Que faire de ces dates? Et tout d’abord à quoi sert un historien de la Révolution? Premièrement, s’en tenir modestement à sa compétence et ne pas mélanger les époques en multipliant les comparaisons, au risque de voir la Révolution complètement diluée, instrumentalisée, par exemple lorsque le candidat Macron appelle son livre de campagne Révolution, tournant le dos au sens même du mot.

Ensuite cela sert à ne pas tomber dans le piège de figer le passé en une sorte de mythe paralysant à reproduire, ou à honorer, comme un moment indépassable vers lequel il faut se retourner et rendre hommage de façon docile, commémorative. Ce serait le contraire qu’il faudrait faire pour rendre compte de ce qui arriva en 1789, et se mettre dans les conditions des personnes qui sont un 13 juillet… et ignorent de quoi sera fait le 14 juillet. Par définition la Révolution éclate là où personne ne l’attend, en France, en Russie, en Tunisie, par des forces inattendues, des paysans illettrés en France, un peuple tunisien vanté pour sa soumission et son apathie politique. En revanche, il est du devoir de l’historien de se demander, non pas ce qui dans le passé peut se rejouer, mais ce qui fut l’impensable du passé pour mieux penser ce qui est encore impossible aujourd’hui.

En effet tout le sel de l’histoire de la Révolution, en 1789, est d’avoir ouvert une ère de révolutions qui étaient le futur inconnu de la génération des Mirabeau, Robespierre et Danton. Toute l’exigence intellectuelle que doit s’imposer l’historien consiste à se demander quels sont les rêves de la société dans laquelle il ou elle vit, et quelles sont les luttes à engager pour se retrouver dans les conditions, non de célébrer 1789, mais d’inventer 2019.

En 1789 le statut des personnes, c’est-à-dire l’égalité à la naissance, était une utopie. Par là même l’abolition de l’esclavage réalisée en 1794 était un rêve délirant, la possibilité d’imaginer un autre système économique que celui des taxes multipliées au roi une ineptie, et la pensée qu’une politique universelle une fable de philosophe en chambre. Ce qui nous semble impossible aujourd’hui est l’objet même du rapport de forces à inventer. Les fruits du travail mal distribués et le creusement des inégalités ne sont pas une fatalité.

Il s’agit d’inventer la décroissance en opérant une véritable révolution mentale quant à l’accumulation des biens et des richesses. Ce bouleversement passera par la mise à plat de toutes les contributions, à commencer par la déconstruction des lois sur l’héritage qui durcissent toujours davantage les inégalités depuis l’ère Sarkozy, faisant de la richesse de la nation la proie avide d’une minorité, refusant à chaque génération la redistribution équitable des biens produits par toutes et tous. L’égalité ensuite entre les hommes et les femmes. Là encore sortons de l’hypocrisie de la parité, dont on nous rebat les oreilles, pour imaginer un nouveau rapport de forces, où il faudrait bien céder un peu plus que la parité aux femmes pour que justice soit réellement faite.

Impossible? C’est à voir. Si les masculins ont le courage de cette révolution mentale qui les verra non à égalité consentie, mais désormais dirigés par les femmes, car si Marx a appris quelque chose, c’est que le rapport de forces, ce n’était pas l’égalité mais la victoire d’un des deux à la fin, avant qu’un autre équilibre ne s’établisse. Il faut accepter cette révolution du genre ou renoncer à la révolution avec ce qu’elle implique.

Enfin il faut penser les esclaves du XXIe siècle: on ne fait pas seulement allusion aux travailleurs exploités par centaines de millions en Chine, en Inde, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe, sans même parler de l’Afrique, mais aux autres esclaves, toutes les matières premières, la nature, actrice dépouillée, colonisée par la logique marchande et commerciale de ce monde. La défense et la conquête des droits naturels de l’homme furent l’objet de la révolution de 1789. La protection et les droits fondamentaux de la nature seront le cœur de la prochaine révolution.

1789 n’apprend qu’à penser une seule chose, rendre possible l’impossible. La révolution à venir sera antilibérale, œuvrera à la fédération des peuples, aura un visage féminin, et fera du monde du vivant un acteur à part entière de la cité politique.

Ne nous laissons pas intimider par ceux qui n’ont à la bouche que la peur du désordre. Imaginons-nous tant de cordialité et de non-violence quand il s’agit de licencier des ouvrières et des ouvriers, de repousser à la mer des migrants, d’envisager de sang-froid la fin des services publics et l’ubérisation de toute une génération? «Vouliez-vous une révolution sans révolution?» demandait Robespierre en novembre 1792, quelques semaines après la naissance de la République.

A suivre…

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