Je crois, non pas à des lendemains meilleurs, mais à un aujourd'hui meilleur.
Entretien avec Jacques Higelin à l'occasion de son concert à la Fête de l'Humanité en 1999.
FARA C. ...Selon vous, à quoi sert un artiste ?
Jacques Higelin. À sensibiliser les gens, à laisser la liberté s'exprimer, en plus du côté réjouissance, fête collective. Si, en tant qu'artiste, tu réclames cette liberté, ton devoir est, aussi, de la divulguer, la disséminer. C'est un boulot magnifique. C'est le cour de la vie. Tu ouvres une fenêtre. Je parle souvent d'amour, parce que c'est essentiel. Je l'évoque sans hypocrisie. Ne pas faire du sexe une chose sale, avilissante. Adolescent, j'étais plein de complexes. Une femme un peu plus mûre m'a appris comment faire l'amour. Il n'y a rien de honteux là-dedans. C'est un passage aussi difficile que d'apprendre à mourir. À l'occasion de mes concerts, beaucoup d'adolescents me parlent. Je me souviens d'une fillette venue pleurer dans mes bras. Soudain, tu es un grand frère, un père qui manque. Une jeune fille me disait : " C'est super, à tes concerts, il y a des gens de toutes les générations, c'est rare qu'on puisse être tous ensemble. " Je trouve que c'est important. Lutter contre la ségrégation jeune/vieux. Toutes ces émissions du genre " soyez jeunes " se trompent complètement. Les mômes ont besoin des adultes, de personnes qui leur disent : " Je ne sais pas, allons prendre un dictionnaire. " Quand ma fille, Izia, me pose des colles, je vais consulter des livres.
...Quelle est la meilleure stratégie ?
Jacques Higelin. Déjà, au niveau de la politique du pouvoir, il faudrait revoir quelles sont les priorités. Allouer plus d'argent à la santé, l'éducation, la création d'emplois, le logement. Je lisais, dans l'Humanité, un article donnant un nombre ahurissant de logements libres. L'unique grande internationale qui a été réalisée est celle du fric. L'argent est bloqué dans des endroits où, en revanche, il circule très bien. Et cela, dans tous les pays du monde. Je crois qu'il n'y a qu'une seule solution. Résister par le nombre et par la solidarité des populations.
Vous gardez l'espoir, quand vous voyez ce gigantesque fourbi ?
Jacques Higelin. (Après un long silence.) C'est pas l'espoir que je garde, mais la confiance. Je crois, non pas à des lendemains meilleurs, mais à un aujourd'hui meilleur. Je crois à des millions de petites actions subversives, faites par chacun là où il se trouve. Par de petites gens - lorsque je dis " petites ", ce n'est pas péjoratif, mais parce que, souvent, les petites gens ont gardé quelque chose de l'enfance -, par des héros anonymes. C'est ce qui me fascine, quand je viens à la Fête de l'Humanité. Ces énergies qui se fédèrent, ces milliers de petites bougies qui s'assemblent pour former le grand feu de la solidarité. C'est bouleversant.