Entretien accordé au journal "Les Echos" du 15 avril 2011
Que pensez-vous
de la réforme de la fiscalité du patrimoine ? Ce
n'est pas une réforme, ce sont des mesures avant la présidentielle, signe du désarroi de l'exécutif. Supprimer le bouclier fiscal est un revirement très symbolique mais l'allégement de l'ISF
réduira encore la progressivité de l'impôt alors qu'il faut la renforcer. J'entends l'argument sur les retraités de l'île de Ré, coincés par l'explosion des prix des terrains. Mais je ne savais
pas qu'ils étaient 300.000 ! La philosophie de Nicolas Sarkozy ne change pas : il baisse les impôts des plus riches.
L'exécutif prône aussi une prime de 1.000 euros pour les salariés...
Je suis ravi que, quatre ans après, le chef de l'État redécouvre l'enjeu du pouvoir d'achat.
Il ne cesse de reculer et on compte de plus en plus de travailleurs pauvres. La crise a de lourdes conséquences pour des millions de salariés mais visiblement pas pour les entreprises et leurs
actionnaires, hormis une parenthèse en 2009. Les dividendes représentent 8,5 % du PIB, contre 3,2 % en 1982. Les patrons du CAC 40 sont les mieux payés d'Europe. La rhétorique du Medef sur
l'impossibilité de mieux partager la richesse créée est indécente. La prime qu'on nous annonce serait exceptionnelle, ne concernerait pas la plupart des salariés et conditionnerait la
rémunération du travail au résultat financier de l'entreprise : ce n'est pas acceptable. C'est bien les salaires qu'il faut augmenter dans le privé et le public. J'invite les salariés à être à
l'offensive sur le sujet.
2012 approche. Quel bilan tirez-vous de l'action du chef de l'Etat ? Aujourd'hui, 75 % des Français sont mécontents de sa politique économique et sociale. Trois Français sur
quatre ! C'était prévisible. Le chef de l'Etat, qui décide de tout dans le moindre détail, est depuis le début bien plus à l'écoute du patronat que des salariés. J'avais dit que le conflit des
retraites aurait des conséquences profondes et durables pour lui. Les élections cantonales en sont la première preuve. Sans doute pas la dernière.
Comment analysez-vous la poussée du FN
?
La majorité a voulu s'inspirer des thèses du FN
pour reconquérir des électeurs. Mais la copie ne remplace jamais l'original. Cette poussée nationaliste, généralisée sur le continent, est aussi le fruit de l'incapacité des dirigeants européens
à donner une dimension sociale à l'Union européenne. Les agences de notation ont plus de poids sur les gouvernements que l'opinion des peuples. Le Pacte pour l'euro, qui grave dans le marbre la
rigueur et des reculs sociaux, en est l'illustration. C'est gravissime. La poussée du FN doit aussi interpeller les partis de l'opposition sur leur capacité à présenter une alternative crédible
dans le domaine économique et sociable.
Le programme du PS constitue-t-il une « alternative crédible » ?
Il est trop tôt pour commenter les programmes
au stade actuel. Nous ne sommes en tout cas pas favorables à la fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, qui porterait le risque que la CSG soit détournée de son objet, le financement de la
protection sociale. Il faut élargir l'assiette de l'impôt aux revenus du capital, intérêts et dividendes, qui en sont exonérés à 80 %. La CGT a refusé de signer les derniers accords sociaux
(Unedic, Agirc-Arrco, emploi des jeunes).
Vous avez fait le
choix politique de lâcher le stylo ?
Absolument pas. Nous avons signé l'accord sur les
fonctionnaires contractuels négocié avec le gouvernement. C'est bien la preuve que nous ne sommes pas dans une posture politique ! Ce qui guide la CGT, c'est le contenu. Les accords avec le
patronat sont vides. Le patronat ne met pas un centime sur la table et ne s'engage à rien. Sur l'emploi des jeunes, tout est financé par redéploiement de fonds. Si le rôle des syndicats est
d'accompagner la pénurie en décidant à qui on supprime des droits pour en donner à d'autres, cela se fera sans nous.
Reste que le repli contestataire de la CGT est
net. Ne vous mène-t-il pas dans une impasse ?
Quand trois Français sur quatre condamnent la
politique de Nicolas Sarkozy, vous croyez que la période est propice à adoucir les mœurs ? La CGT est en phase avec la majorité des salariés, comme elle l'était lors du conflit sur les
retraites.
Vous semblez peu en phase avec les autres
syndicats...
Je regrette profondément que l'intersyndicale n'ait pas été en mesure ces
derniers mois d'être un outil d'organisation et d'expression de la colère des salariés. L'intersyndicale aurait pu et dû donner une impulsion plus forte, sur la question des salaires notamment.
Les conflits actuels dans les entreprises montrent que l'unité et l'action sont nécessaires et possibles pour obtenir des résultats.
Nous avons proposé aux autres confédérations des actions nationales communes,
par exemple le 8 mars, pour s'attaquer ensemble à la discrimination sociale dont les femmes sont victimes. Cela n'a pas été possible. C'est décevant.
Vous visez la CFDT ?
Je constate que nous n'avons pas les mêmes analyses en ce moment. Je note
aussi qu'après avoir appelé à la grève générale pour la retraite à 60 ans, FO a signé l'accord sur les retraites complémentaires qui valide les reculs des âges de départ. C'est savoureux. Il faut
croire que FO a besoin de donner des gages pour assurer son avenir. Il y a deux rendez-vous de mobilisation unitaire, le 28 avril pour la reconnaissance des métiers pénibles et le 1 er Mai; c'est
une bonne chose.
La CGT vient de subir une série de reculs
électoraux, notamment à la SNCF. Comment réagir ?
Il faut relativiser. A la SNCF, on fait 37 %,
15 points devant le deuxième. Je connais des politiques et des syndicats qui signeraient pour un tel score ! Il n'y a rien d'alarmant. La CGT est confrontée, comme les autres, à une recomposition
du salariat et du paysage syndical. Nous travaillons à nous y adapter. Le développement de nos implantations reste la grande priorité de ces prochaines années. Le conflit sur les retraites l'a
montré : nous avions la bonne analyse, la bonne stratégie, la bonne capacité à travailler dans l'unité et une bonne image ; ce dont nous avons manqué, c'est de troupes organisées dans chaque
entreprise.
Des rumeurs ont circulé sur votre départ.
Terminerez-vous votre mandat
(fin 2012)
?
Je souhaite aller au bout de ce mandat et c'est d'abord dans la CGT que nous discuterons des suites.