Responsable au syndicat Jeunes agriculteurs, Mickaël Poillion était face à Nicolas Sarkozy sur TF1 pour
défendre sa vision d’une politique alimentaire commune.
Vendredi dernier, on ne vous a laissé que quatre minutes pour parler. Qu’auriez-vous développé si vous en aviez eu
le temps ?
Mickaël Poillion. Je n’ai pas cherché à interpeller le président, mais à exprimer mes attentes en termes
de politique alimentaire face aux téléspectateurs. Je dis bien alimentaire, parce que parler de politique agricole ne suffit plus. Elle a rencontré ses limites dès lors que la sphère publique
s’en est retirée. En une dizaine d’années, l’Europe a fait le choix de liquider tous ses outils de régulation des marchés. D’abord les stocks, puis les taxes à l’import et à l’export, et enfin
les quotas… On s’est contenté de maintenir des aides publiques, avec l’idée qu’elles pourraient, seules, constituer un filet de sécurité. Aujourd’hui que le marché fluctue sévèrement, nous ne
sommes plus en mesure d’assurer une régulation, un prix, un revenu. Là où l’Europe, il y a encore dix ans, contribuait peu à la fluctuation des prix, elle y participe aujourd’hui doublement, en
laissant faire des échanges surréalistes, véritables appels d’air pour ceux qui veulent faire de l’argent.
Par exemple ?
Mickaël Poillion. Ce qui se passe entre l’Europe et le bassin méditerranéen est éloquent. Nous, les
Français, nous leur refourguons des céréales dumpées aux aides publiques, dont l’Algérie ou le Maroc sont devenus dépendants faute d’avoir développé des politiques agricoles ad hoc ; eux nous
renvoient des fruits et des légumes pas chers, hors saisons, sur un marché que les boîtes privées et la grande distribution organisent de façon à casser les prix. Cela n’a plus rien à voir avec
de l’échange ou de la coopération : c’est du commerce pur et dur. Je trouve aussi surréaliste que l’Europe écoule ses céréales de qualité, destinées à l’alimentation humaine, sur le marché
mondial, et importe, dans le même temps, des céréales fourragères et 80 % de ses protéagineux (soja, etc.) destinés à l’alimentation animale. C’est absurde. Cela place tout le monde en
situation de dépendance. Les éleveurs français – de façon plus ou moins forte, cela dit, selon qu’il s’agisse d’élevage hors sol ou classique – comme les pays récipiendaires. L’Europe doit et
peut nourrir son propre bétail.
Quelles perspectives peut-on donner ?
Mickaël Poillion. Il faudra beaucoup de temps avant que la sphère publique ne se réinvente sur ces
questions. Mais d’ici là, nous pouvons avancer. En créant, par exemple, des lieux où elle pourrait intervenir, à l’échelle mondiale, européenne ou régionale. Il peut s’agir de définir cinq ou
six grands ensembles, à échelle continentale, entre pays confrontés à des problématiques similaires. C’est une réflexion que nous développons, à JA, depuis 2001. Cela déboucherait in fine sur
une nouvelle gouvernance, via une organisation mondiale de l’alimentation. Il peut aussi s’agir d’ensembles plus petits, sorte de bassins de consommation et de production. Paris, Londres,
Bruxelles en serait un, à mon sens, dans la mesure où la population y est dense et les possibilités de produire nombreuses. Ce serait une façon de reconstruire du lien et de la cohérence entre
consommation et production. Un moyen d’en finir avec cette absurdité, qui veut que j’exporte ma production alors que je vis au milieu de 4 millions d’habitants, qui n’ont pas tous accès à
l’alimentation. Définir la production en fonction, prioritairement, des besoins et des capacités d’un territoire, et non plus des échanges avec l’extérieur, est une première étape
essentielle.
Vous parlez de relocalisation ?
Mickaël Poillion. Oui, mais d’une relocalisation qui ne soit pas béate et ne nie pas le besoin d’échanges
mondiaux. Alors que l’urbanisation s’accroît, nous serons obligés d’importer. Mais encore une fois, commençons par produire ce que nous sommes capables de produire. Que l’Europe se donne les
moyens de nourrir son bétail est une priorité pour le maintien de son élevage. Au lieu de quoi, elle s’apprête à signer des accords, lesquels prévoient que l’on importe massivement de la viande
bovine d’Amérique latine. C’est là où je me fais un peu dur avec le président de la République, lorsqu’il me dit que seule la France, au G20, pousse pour une régulation des marchés. Avant de
faire le tour de la planète pour expliquer comment il convient de réguler, qu’il aille voir M. Barroso et lui intime d’arrêter de sacrifier l’élevage français.
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Entretien réalisé par Marie-Noëlle Bertrand