santé
Publié le 02 mai 2024
Monsieur Attal veut taxer les patients qui manquent leur rendez-vous d’une pénalité de cinq euros afin, dit-il, de permettre aux Français de trouver plus facilement un rendez-vous.
Du côté des médecins, cette pénalité ne fait pas l’unanimité, car dans la plupart des cas, connaissant ces patients, l’explication directe est suffisante et c’est sans grande conséquence sur leur activité…
Montrer du doigt les assurés sociaux alors que de plus en plus de patients sont sans médecin traitant, que l’hôpital est dans une situation catastrophique, que l’accès aux soins est de plus en plus difficile, est-ce bien raisonnable ?
Dans le même discours le Premier ministre annonce plus sérieusement vouloir former à l’horizon 2027 16 000 médecins au lieu de moins de 10 000 actuellement. Tant mieux, c’est ce que nous demandons depuis longtemps !
On remarquera que cela engage peu le pouvoir actuel, la rentrée universitaire 2027 c’est loin et... c’est après la prochaine présidentielle... Mais surtout, si cette annonce n’est pas accompagnée d’un plan ambitieux pour mettre en place rapidement des moyens pour l’université et les lieux de stage, cela risque de n’être qu’un effet d’annonce.
Gabriel Attal affirme vouloir former 12 000 médecins/an à partir de 2025, mais on peut se demander pourquoi ne pas commencer par une augmentation significative en 2024 ? Car il y a vraiment urgence…
Or, rien n’indique que le gouvernement ait pris la mesure de la tâche, alors même qu’aucune disposition concrète (hormis quelques vulgaires raccommodages) et surtout pas de moyens financiers supplémentaires n’ont été ne serait-ce qu’évoqués dans les documents prospectifs officiels, la Stratégie nationale de santé 2023/2033 ou les Plans régionaux de santé 2023/2028…
Impéritie ou volonté assumée de laisser aller, en se désintéressant de la réalité vécue par le commun de nos concitoyens, peu importe, dans tous les cas c’est irresponsable, car depuis longtemps on sait que la question de la pénurie de professionnels de santé est le point clé de la politique sanitaire du pays.
Quarante ans de numerus clausus ont détruit l’équilibre de notre système de santé. On a formé en moyenne 20 % de médecins en moins chaque année, soit un déficit sur l’ensemble de la période de 70 000 médecins, ce qui a asséché la démographie médicale.
Aujourd’hui, pour 50 000 médecins de plus de 60 ans il n’y a que 16 000 médecins de moins de 34 ans ! Et ce déficit de professionnels est 2,5 fois plus élevé si on intègre la hausse de la population et son vieillissement. Depuis le début des années 80 la population a augmenté de 20 %, et le nombre de plus de 60 ans a doublé, comme celui des plus de 75 ans.
Malgré cela, les gouvernements successifs depuis plus de vingt ans ont décidé... de ne rien faire. Il en a été de même depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, alors que nul ne pouvait ignorer que la pénurie allait s’aggraver mécaniquement d’ici 2030 et perdurer au-delà si aucune mesure d’anticipation n’était prise.
Au bout de cette logique mortifère, la décennie actuelle est bien celle de tous les dangers pour les malades ; et la décennie suivante, avec un quota de formation rehaussé mais encore tout juste équivalent à celui de 1972 (où il y avait 30 % de population en moins) ne permettra pas de rattraper cet énorme retard...
La situation est encore plus critique s’agissant des dentistes dont le quota de formation est resté inférieur à 1972. C’est d’autant plus dommageable que l’on connaît les effets de la santé bucco-dentaire sur la santé tout court. C’est un signe fort que de constater que les effectifs sont déjà insuffisants pour couvrir un recours aux soins dentaires très faible en France (41 %), nettement inférieurs à la moyenne européenne (71 % en Allemagne et au Royaume‐Uni)...
Si pour les autres professionnels de santé c’est plus contrasté, c’est tout aussi préoccupant, et pour certains, infirmier·es, aides soignant·es, se posent aussi les questions de niveaux de rémunération peu attractifs et des conditions de travail qui épuisent et découragent… En santé comme ailleurs, ce sont les travailleurs qui créent les richesses, et la formation de professionnels en nombre et en qualité permet seule de répondre aux besoins sociaux.
Certes, il faut aussi réformer, démocratiser les études médicales, mieux répartir les spécialités et les effectifs, permettre l’évolution des pratiques des paramédicaux, réorganiser les soins primaires, etc. Mais sans volonté ferme, réelle et concrétisée de former beaucoup, beaucoup plus, tout cela restera lettre morte.
Mettre en place un grand plan de formation est urgent et primordial, notamment en commençant à former avec les moyens nécessaires tout de suite 15 000 médecins et 1 900 chirurgiens-dentistes/an. Pour cela il faut aussi rendre à l’hôpital les moyens d’assurer le rôle formateur qui est le sien et cesser cette casse du service public qui renvoie les assurés sociaux vers le secteur privé lucratif et ses dépassements d’honoraires. Cette sélection par l’argent en matière de santé est injustifiable, sauf pour enrichir les actionnaires.
Il faut revenir sur les reculs de prise en charge de la Sécurité sociale - le seul système apte à assurer un accès universel et égalitaire aux soins - au profit des assurances privées inégalitaires et, pour certaines, de leurs dividendes. Il faut également revenir sur les exonérations de cotisations sociales qui assèchent les ressources de l’ensemble du système de protection sociale qui est notre bien commun…
Notre système de santé est passé en vingt ans de la 1re à la 20e place mondiale. Il serre la vis à l’hôpital, réduit les remboursements, et la question de la désertification médicale génère des angoisses existentielles, alors qu’il se révèle incapable de maîtriser les dépenses considérables que l’industrie pharmaceutique impose à la Sécurité sociale.
Les Français ne peuvent plus se permettre cette politique qui fait reculer la santé publique, tant il est vrai qu’en la matière, l’égalité est une condition de la qualité, que le soin apporté à chacun, du plus pauvre au plus riche, conditionne l’état de santé de tous.
La responsabilité du gouvernement et de tous ceux qui mettent en place cette politique est engagée ; il s’agit de non-assistance à une population dont la santé, la vie sont en danger !