Une journée d’action des producteurs de lait a eu lieu ce 11 août, soit deux jours avant l’ultimatum fixé aux
transformateurs par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs pour augmenter le prix du lait de 3,10 centimes le litre. Une somme insuffisante face à la hausse des coûts de production, notamment dans
les zones fromagères.
Comme l’été dernier, la fixation du prix du lait payé aux producteurs oppose les éleveurs laitiers aux entreprises de
l’aval, et notamment les grands groupes que sont Lactalis, Bongrain et autres Bel, qui refusent la modeste augmentation de 3,10 centimes par litre que réclame la FNPL, le syndicat des
laitiers de la FNSEA. Ce dernier, avec l’appui de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, a donné jusqu’au 12 août aux transformateurs pour changer d’attitude. L’Association des producteurs de
lait indépendants (Apli) et les syndicats minoritaires qui avaient entrepris une grève des livraisons de plusieurs jours l’an dernier observent cette fois le dialogue tendu entre le
syndicalisme majoritaire et ses partenaires de l’interprofession laitière. Le ministre de l’Agriculture fait mine d’approuver la revendication de la FNPL. Mais la Fédération nationale des
industries laitières (Fnil) rappelle à Bruno Le Maire qu’elle a, dès le 30 mars 2010, « pris acte de la demande du ministre de l’Agriculture à l’interprofession laitière de mettre en œuvre
un nouvel indicateur prenant en compte, en particulier, l’écart du prix du lait avec l’Allemagne ». Ceci dans le but de limiter l’augmentation promise aux éleveurs en 2010. Ce que conteste
la FNPL, alors que les coûts de production augmentent. Décryptage d’une situation complexe et explosive.
1. CE QUI FAIT DÉBAT DANS L’INTERPROFESSION LAITIÈRE
Il y a déjà longtemps que les éléments à prendre en compte pour le prix saisonnier du lait font l’objet d’une concertation
entre les producteurs, représentés par la seule FNPL, les coopératives de la collecte et la transformation et les entreprises privées qui font le même métier. On tenait à la fois compte du
marché des produits frais et de celui des produits conservables que sont le beurre et la poudre, lesquels servent de variable d’ajustement chez les transformateurs quand se réduisent les
débouchés des produits frais ou quand il y a des pics saisonniers de production laitière.
Mais, en décidant ces dernières années d’augmenter les quotas nationaux de production de 1 % par an, puis l’abandon de cet
outil de gestion après 2015, les ministres européens de l’Agriculture ont soumis la filière laitière aux fluctuations de prix et à la spéculation. Ainsi, les stocks de poudre et de beurre ont
monté en 2009. Les prix de ces deux denrées ont alors chuté sur les marchés internationaux et les industriels ont exigé et obtenu de la FNPL un accord sur la baisse du prix du lait en
juin 2009. La situation du marché du beurre et de la poudre s’étant améliorée depuis, la FNPL veut logiquement améliorer l’accord sur le prix du lait, tandis que les industriels privés font
valoir que le lait allemand est moins cher, qu’il concurrence le lait français dans les grandes surfaces et qu’il convient d’en tenir compte pour la fixation du prix hexagonal.
2. CE QUI FAUSSE LE DÉBAT ENTRE LES PRODUCTEURS
ET LES TRANSFORMATEURS
Ce débat est faussé par le comportement déloyal de la distribution et des grandes entreprises privées. En important du lait
allemand et d’autres produits basiques comme l’emmental d’entrée de gamme, les enseignes de la distribution et leurs filiales du hard discount ne s’approvisionnent pas forcément à moindre coût.
Mais elles se mettent en position de force pour imposer des baisses de prix à leurs fournisseurs hexagonaux. Cette position, fondée sur le racket et le rapport de force, est favorisée par la
loi de modernisation économique voulue par Nicolas Sarkozy et votée par les parlementaires de droite en 2008.
Les distributeurs et les entreprises de la transformation laitière se servent de cette loi comme d’un levier pour faire
baisser le prix du lait. Dans une majorité d’unités de transformation qui ne produisent que peu de beurre et de poudre mais beaucoup de produits frais et de fromages AOC, le prix du lait payé
au producteur est désormais à peine plus élevé que dans les unités majoritairement positionnées sur le beurre, la poudre et les autres produits d’entrée de gamme. C’est notamment le cas en
Auvergne. Dans cette région de prairies d’altitude, le prix de revient du litre de lait est plus élevé qu’en Bretagne. Mais le prix que consent à payer le groupe privé Lactalis n’était que de
305 euros les 1 000 litres le mois dernier alors que ce lait est essentiellement transformé en cinq fromages bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée.
3. LES DÉCIDEURS POLITIQUES
ONT OUBLIÉ LA RAISON D’ÊTRE DES QUOTAS
Dans une Europe alors composée de 12 pays, les quotas laitiers ont été mis en place au printemps de 1984 pour en finir avec
les montagnes de beurre et de poudre qui s’entassaient dans les chambres froides de l’Europe quand les surplus de la production laitière étaient payés aux producteurs pour être mis à
l’intervention publique. En dépit des injustices de départ dans la répartition de droits à produire, les quotas ont longtemps permis une stabilité du prix du lait à un niveau de rémunération
convenable.
La demande d’abandon des quotas est venue de trois directions : des nouveaux pays membres d’Europe centrale, qui
s’estimaient mal servis, de certains pays du Sud, en déficit laitier, mais aussi de pays très excédentaires comme les Pays-Bas et le Danemark, qui transforment en lait des céréales et des
protéagineux importés. Ces pays ont aussi marchandisé les droits à produire, ce qui complique la reprise des fermes laitières à l’occasion des départs en retraite. Du coup, avant même la fin
des quotas, les augmentations de volumes autorisés ont donné des armes aux prédateurs de l’aval pour piller les paysans avec, à terme, le risque de pénurie, de spéculation et de prix élevés
pour les consommateurs.
4. LA FRANCE LAITIÈRE A BESOIN DES QUOTAS POUR RÉPARTIR
LA PRODUCTION
Plus fromagère que dans les autres pays européens, la carte laitière française est unique en Europe. Des Vosges à
l’Auvergne, en passant par le massif alpin, des fromages au lait de vache aussi emblématiques que le munster, le comté, le bleu de Gex, le bleu de Bresse, le reblochon, le beaufort, la tomme de
Savoie, les fourmes de Montbrison et d’Ambert, le bleu d’Auvergne, le cantal, le salers et le saint-nectaire sont autant de produits labellisés ou tracés qui ont une histoire. Ils valorisent
des flores spécifiques sur des terroirs spécifiques, avec parfois des races bovines également spécifiques. L’argument vaut aussi pour la Basse-Normandie et d’autres zones de moindre importance.
Mais ces laits de zones essentiellement herbagères ne sont plus payés à des prix qui permettent aux producteurs de vivre de leur travail alors qu’ils valorisent et entretiennent des prairies
naturelles qui deviendraient des friches sans la présence de l’élevage laitier. Ces élevages maintiennent aussi de l’emploi en milieu rural faiblement peuplé. Avec l’abandon des quotas et un
nivellement du prix du lait par le bas, la production se réduira encore plus dans les régions où elle est la mieux valorisée en produits de qualité.
La politique française de gestion des quotas avec constitution d’une réserve nationale de droits à produire redistribuables
avait contribué à maintenir cette production, bien que cette gestion ne soit jamais allée au bout des possibilités qu’elle donnait aux décideurs politiques et économiques pour une répartition
judicieuse de la production laitière sur tout le territoire. Mais elle reste indispensable et peut être mieux gérée.
5. MICHEL BARNIER ET BRUNO
LE MAIRE SONT LES SIGNATAIRES DE LA CAPITULATION FRANÇAISE
Élu d’un département de montagne et ministre de l’Agriculture de juin 2007 à juin 2009, Michel Barnier connaissait
l’importance du maintien des quotas laitiers. Il a pourtant renoncé à les défendre auprès de ses collègues européens alors qu’il présidait le conseil des ministres de l’Agriculture au cours du
second semestre 2008. Probablement pour ne pas hypothéquer ses chances de redevenir commissaire européen après les élections européennes de 2009.
Né à Neuilly, la ville de Sarkozy, Bruno Le Maire est un énarque qui n’a jamais travaillé qu’au Quai d’Orsay puis dans le
sillage de Dominique de Villepin. Il doit son poste de ministre de l’Agriculture à la volonté de Nicolas Sarkozy d’isoler Villepin. Mais Le Maire ne connaît pas l’agriculture, pas plus que le
chef de l’État. Dès sa nomination, il a refusé de défendre les quotas laitiers et prétendait trouver une autre forme de régulation. Il s’est même rendu aux États-Unis pour voir comment
fonctionnait le marché à terme du beurre et de la poudre afin de le transposer en Europe. Mais il n’a pas trouvé la solution. Et la nouvelle spéculation sur le marché à terme du blé ne risque
guère de lui la donner pour le lait. Car la meilleure régulation possible passe encore par le maintien des quotas laitiers.
Gérard Le Puill