Á Antraigues, toute sa France est venue
à Jean Ferrat.
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Antraigues (Ardèche), envoyée spéciale. Par grappes successives, les gens sont arrivés depuis le matin, et ont grimpé la dernière rue qui débouche sur la place du village d’Antraigues. Place de la Résistance. Le cercueil de Jean Ferrat est exposé là, sur la place du village au nom si évocateur, tout simplement. Chacun y dépose un bouquet de fleurs, des œillets, des roses rouges. Il faisait beau ce jour-là. Ils sont venus de partout. Du pays d’ici. De là-bas. De Lorraine, de Lyon, de Lille, de Marseille, de Saint-Étienne. Seuls ou en bandes de vieux copains pour qui Ferrat était un ami, un camarade, un compagnon de toute une vie. Tiens, une môme de Saint-Ouen… Il y a ceux qui connaissent les chansons par le menu, les fredonnent en souriant. Parfois, un refrain roule dans la foule qui le reprend en chœur, en cœur, puis ça s’arrête. On se sourit, « Que la montagne est belle… » Ils sont venus à pied, en navettes affrétées pour l’occasion, à vélo, à moto. Les plus prévoyants déballent les casse-croûtes maison, on mange à la bonne franquette, sur un bout de banc ou adossé à un tronc d’arbre, et toujours au soleil qui réchauffe les corps mais n’adoucit pas la peine.
C’est le peuple de Ferrat qui est là, sa France. À nouveau une chorale populaire, de ce côté-ci de la place, entonne la Montagne. En voilà un qui dissèque chaque parole, chaque vers de ses chansons préférées : « Tu aurais pu vivre encore un peu… », « Nul ne guérit de son enfance », c’est celle-là, sa préférée. Ses amis acquiescent. « Il n’y a plus personne pour parler au cœur des gens. Plus d’artistes. Plus de politiques. Plus de philosophes », dit cet autre qui a partagé sa vie entre l’Ardèche et Aix-en-Provence et Jean Ferrat depuis qu’à une fête de l’Huma, en 1964, il l’avait vu chanter. C’est bien le peuple de Ferrat qui est là. Pas les mondains-mondaines, les m’as-tu-vu qui posent dans les magazines. Des gens simples, de simples gens. Certains ont revêtu leurs plus beaux atours. D’autres ont tombé le blouson et portent ce chapeau que le paysan ardéchois arborait fièrement. Une jeune femme fredonne Ma France à l’oreille de son compagnon. Un autre montre un album de photos avec Ferrat à une bande de veilles copines. Un bruit d’hélicoptère couvre celui du torrent. Il se dit que c’est l’engin de Michel Drucker. Peut-être. Et si sa famille politique de cœur est bien là, côté autorités officielles, on ne s’est pas bousculé au portillon. Le ministre de la Culture a prétexté un voyage quelque part à l’autre bout du monde et s’est contenté d’envoyer son directeur de cabinet. Pas très élégant tout ça. Mais peut-être pas si étonnant.
La place de la Résistance bruisse de confidences que le vent léger emporte. L’église du village est bien vide et sonne désespérément les heures et les demies. Vers 14 heures, la foule se rapproche, se resserre. On a dressé une petite estrade. Le silence se fait lorsque Michel Pessenti, le maire d’Antraigues, Pierre Tanenbaum, le frère de Jean Ferrat, ses filleules, Francesca Solleville et Isabelle Aubret, prennent place. L’émotion se fait palpable et nul ne retient ses larmes lorsque son frère prend la parole (lire ci-contre). Et lorsque Francesca entonne a cappella Ma France, cet hymne humaniste et révolutionnaire salué par des applaudissements à l’évocation de Robespierre, de la Commune, du Front populaire ou de mai 1968, on serre le poing au fond de sa poche trouée. Isabelle Aubret a chanté C’est beau la vie, cette chanson que Ferrat lui avait composée et que la foule murmure avec elle.
Comme le souhaitait Ferrat, l’inhumation s’est déroulée dans la plus stricte intimité. On a séché nos larmes, ravalé notre peine, refait la route à l’envers tandis que la voix de Jean Ferrat chantant la Montagne nous accompagne et s’envole vers les sommets lointains encore enneigés. Ferrat aurait aimé cet instant. Un instant parmi tant d’autres qu’il nous reste à partager avec ses chansons qui nous parlent d’amour, d’utopies et autres chants du possible. Sa droiture, son honnêteté, cette douceur qui émanait de lui en même temps que la force de ses convictions, tout ça et bien plus ne nous quittent pas. On était Beatles ou Rolling Stones. On restera Ferrat. Éternellement.
MARIE-JOSÉ SIRACH
Parmi les personnalités, on notait la présence de : Marie-George Buffet, Alain Bocquet, Georges Gosnat, Jack Ralite, Julien Lauprêtre, Roland Leroy, Gérard Meys, Paco Ibanez, Allain Leprest, Shirley et Dino. L’Humanité était représentée par Patrick Apel-Muller, Patrick Staat, Lin Guillou et Sylvère Magnon.
La Maison de la poésie de Paris rend hommage à Jean Ferrat dimanche 21 mars à partir de 18 heures en présence de Francesca Solleville, Ernest Pignon-Ernest, Pierre-Louis Basse et de Claude Guerre.