Votre nouveau livre, le Hussard rouge, reprend et rassemble une centaine d’articles et d’interventions
de la
période 1985-2001. Quel
en est le sens en cette rentrée 2011 ?
Patrick Besson. Écrire, c’est faire le pari de Pascal chaque matin. Ou chaque soir, si on écrit la nuit.
Qu’est-ce que ça me coûte de croire que je suis un bon écrivain, et qu’est-ce que ça me rapporterait de penser que je n’en suis pas un ? Si je suis mauvais, quelle importance d’avoir écrit dix
ou cent livres ? Tous disparaîtront. En revanche, si je suis bon, c’est important qu’il y ait cent livres de moi au lieu de dix. Ce n’est pas grave que les quatre-vingt-dix romans de Paul de
Kock soient introuvables, mais quelle chance d’avoir en librairie les deux cent soixante-dix bouquins de Simenon ! J’ai choisi très tôt de considérer, d’un strict point de vue théorique,
technique, que j’étais un bon écrivain – j’aurais préféré de loin être un champion de hockey sur glace – et donc que tout ce que je laissais sortir de mon stylo avait de la valeur. Je
m’applique par conséquent à l’éditer avec soin, que ce soient des romans, des nouvelles… ou des articles. Avec le Hussard rouge, j’ai inventé le recueil des recueils, puisque le livre rassemble
plusieurs recueils déjà parus, entre 1985 et 2001, chez Albin Michel, Orban, le Rocher, Messidor et devenus indisponibles. J’avais déjà inventé, au printemps 1974, la critique du livre de poche
pour l’hebdomadaire Elle, reprise depuis par tous les suppléments littéraires. Nous avons même créé un prix Renaudot poche ! Les textes regroupés dans le Hussard rouge forment, je l’espère, un
tableau assez vivant, rigoureux, carnassier et drôle de la fin du XXe siècle pour justifier une telle édition en 2011. C’est du moins le pari que l’éditeur, Francis Combes, avec qui j’ai
commencé à travailler en 1986 chez Messidor, et moi avons fait.
Ces articles touchent à une actualité très large : politique, littéraire, sociale… Et leur caractéristique commune,
c’est la vigueur, pour ne pas dire la violence, du regard.
Si cela n’est pas vraiment une nouveauté chez vous, on a quand même le sentiment que
ce qui se passe pendant cette période suscite,
plus que de l’indignation, une véritable condamnation.
Patrick Besson. Plutôt la révolte que l’indignation. Il y a quelque chose de bourgeois dans l’indignation.
Je pense à Stéphane Hessel. Décoré par Mitterrand en 1981 (Légion d’honneur), il entre au PS, alors au pouvoir, en 1983 ! S’indigner en 2007 du sort réservé aux Palestiniens, alors qu’ils n’en
connaissent pas d’autre depuis soixante ans, les soixante ans que Hessel a passés comme haut fonctionnaire aux Nations unies. C’est de l’indignation tardive ! Le fait que les lecteurs
révolutionnaires, révoltés, « indignés » en soient réduits à s’accrocher par millions à ce texte montre bien que la crise qu’il y a n’est pas celle de la lecture, mais de l’écriture. De
l’écriture révolutionnaire. Dans le Hussard rouge il y a quelques textes ultraviolents, qui ont « indigné » de nombreux lecteurs bourgeois, justement, et m’ont valu divers ostracismes. Le degré
de subversion se mesure à la cruauté du châtiment. Je suis encore loin des punitions infligées, depuis l’Antiquité, aux révoltés, qu’ils eussent été ou non écrivains. Mais je n’ai pas dit mon
dernier mot, et l’histoire de la censure non plus !
Deux questions semblent fortement vous hanter : celle de l’ex-Yougoslavie et celle
du communisme. Est-ce pour
l’unique raison que l’une et l’autre vous touchent de très près ?
Patrick Besson. La Yougoslavie était le dernier grand pays socialiste d’Europe, il était impératif de le
faire disparaître pour le remplacer par une demi-douzaine de petits États soumis pour les uns à l’Union européenne (Croatie, Slovénie, Serbie) et pour les autres aux États-Unis (Kosovo, Bosnie,
Macédoine). « Après ma mort, disait Tito, vous serez vaincus par l’ennemi extérieur et l’ennemi intérieur. » Mon attachement à la Serbie ne vient pas de ma mère, qui était croate, mais qui
aimait aussi les Serbes, ainsi que je le raconte dans Dara. D’ailleurs, elle a fait un enfant avec l’un d’eux : mon demi-frère Noël, né en 1948. C’est le premier Serbe que j’ai connu et aimé et
il était comme beaucoup de Serbes que je connaîtrais et aimerais par la suite : intelligent, drôle, débrouillard, secourable, calme, désinvolte. Je voudrais que vous puissiez voir la Serbie
aujourd’hui : malgré les difficultés financières et sociales, les menaces que font peser sur elle les nationalistes albanais du Kosovo ou les nationalistes hongrois de Voïvodine, c’est un pays
en ordre et en harmonie, au potentiel humain et intellectuel infini, où règnent l’élégance, l’inventivité, la finesse. Une jeune littérature de premier ordre (Valjarevi´c, Basara, Albahari…).
Tous très anticommunistes, mais je m’en fous complètement.
À propos de la Yougoslavie, on pense en vous lisant à Peter Handke, dont la position,
en rupture complète avec
l’idéologie dominante, apparaît à beaucoup comme scandaleuse.
Patrick Besson. J’ai pour Peter Handke une véritable admiration, ce qui n’était pas le cas quand je ne
l’avais pas lu, enfin, pas d’aussi près. Il fait en effet partie des victimes de Les ai-je bien descendus ?, paru en 2001 et repris dans le Hussard rouge. Depuis, j’ai lu le Poids du monde et
surtout Mon année dans la baie de Personne, l’un des plus beaux romans du XXe siècle. Je ne dresserai pas la liste de toutes les avanies que Peter a subies après les textes souvent superbes et
la plupart du temps peu politiques qu’il a écrits en faveur du peuple serbe. Des intellectuels français se sont salis dans des attaques graveleuses et ineptes contre lui. Il y a même eu un con
pour censurer une pièce de Handke à l’Odéon et d’autres cons, ainsi que plusieurs connes, pour s’en féliciter. Au Salon du livre de Paris consacré aux auteurs de langue allemande, celui de la
Femme gauchère n’était pas invité ! En faveur des Serbes, on a trouvé aussi Harold Pinter et Alexandre Soljenitsyne. Le plus singulier prosateur autrichien, le plus étonnant dramaturge anglais
et le plus célèbre des écrivains russes : les Serbes ont eu de la chance. Il n’y a qu’en France que cela a merdé : ils sont tombés sur moi !
À travers le titre de votre livre, vous désirez manifestement vous inscrire dans deux traditions que tout semble
pourtant opposer. J’imagine que ce n’est pas simplement par
ce goût de la provocation qu’on vous connaît ?
Patrick Besson. Le dogme : les écrivains de gauche écrivent faux des choses justes, les écrivains de
droite écrivent juste des choses fausses, pourquoi ne pas écrire juste des choses justes, qu’on soit de droite ou de gauche ? Le tabou : l’écrivain communiste. Il serait impossible. Le
contre-exemple, gênant et donc haï : Aragon. Parenthèse : le meilleur roman sur la débâcle de 1940 n’est pas Suite française d’Irène Némirovsky, mais les Communistes d’Aragon, ouvrage
proprement inouï et introuvable en librairie, sauf en « Pléiade », où on a eu le culot (cas unique dans cette collection) de le scinder en deux parties. Le Hussard rouge, oui, c’est
une provocation : pourquoi serait-il toujours bleu ?
On voit se développer, depuis quelques années, une littérature « d’intervention »,
qui s’approprie de grands
sujets sociaux
et politiques sans que ses auteurs fassent resurgir la figure de l’écrivain engagé. Vous-même, en 2009 dans Mais le fleuve tuera l’homme blanc, vous affrontiez l’un
de ces
sujets, et non des moindres. Chez vous aussi, l’engagement n’apparaît pas comme la simple reprise d’une ancienne posture !
Patrick Besson. L’avantage de l’engagement, à travers des écrits ou d’autres interventions (je n’oublierai
jamais cette manifestation de 1987, avec trois cents JC dont Jacques Perreux et Sylvie Vassalo, contre l’apartheid, devant l’ambassade d’Afrique du Sud), c’est qu’il libère l’œuvre des
ressentiments de l’auteur ; du coup les sentiments de celui-ci ont toute la place pour se déployer. Dans bien des ouvrages d’écrivains prétendument apolitiques, on trouve sans arrêt des piques,
des sous-entendus, des coups bas, des allusions qui alourdissent le texte : tout ce dont l’action politique, un engagement clair et sans équivoque l’auraient débarrassé. Je mets autant de
tendresse à décrire, dans un livre – ce fut justement le cas dans Mais le fleuve tuera l’homme blanc –, mes ennemis que mes amis, car dans la vie je n’en ai mis aucune ! Le roman,
c’est le lieu du pardon, pas celui de la vengeance. François Truffaut l’a dit avant moi : « Une œuvre d’art ne peut pas être un règlement de comptes. » Il faut régler ses comptes avant d’écrire
ses romans.
L’engagement, c’était aussi souvent
le compagnonnage politique. Vous déclarez avoir toujours été communiste. Vous
avez tenu une chronique dans l’Humanité, mais vous
en avez tenu aussi dans les colonnes
du Figaro, de Marianne, du Point… Cela peut quand même prêter à confusion, non ?
Patrick Besson. J’ai écrit dans de nombreux journaux – vingt ? trente ? – mais toujours d’une
seule manière. Je ne vois pas de différence caractéristique entre mes articles de l’Humanité et ceux du Figaro Magazine. Facile à vérifier : j’ai publié ceux de l’Huma dans la Vie quotidienne
de Patrick Besson sous le règne de François Mitterrand et ceux du Fig Mag dans le Plateau télé (les deux chez Fayard). Ce sont les mêmes idées de gauche et le même style de droite. Idem pour
mes feuilletons littéraires de l’Idiot international et mes critiques ciné de VSD. J’allais oublier Marianne, où œuvrent Guy Konopnicki et Jack Dion. De toute façon, j’ai toujours envisagé le
travail de journaliste avec le même sérieux que celui d’écrivain : je conçois mes articles comme les futurs chapitres d’un livre (mon maître dans ce domaine étant Bernard Franck). Il est hors
de question que je me plie à une quelconque discipline, doxa, de la publication dans laquelle j’écris. J’accepte toutes les modifications qui améliorent le texte, d’où qu’elles viennent à
l’intérieur du journal, et me moque complètement qu’un article ne passe pas : j’en écris un autre. Ce que je ne peux jamais faire, c’est n’écrire qu’une partie de ce que je pense. Il faut
écrire ce qu’on pense. Sinon, ça se voit qu’il en reste.
À cet égard, la parution de votre livre, avec la mise en perspective que celle-ci autorise, n’est-elle pas
précisément destinée
à réaffirmer la permanence d’une conviction, par-delà les brouillages momentanés ?
Patrick Besson. Je me définis, dans la dernière partie du Hussard rouge, comme un communiste non
pratiquant. On ne reproche jamais aux catholiques d’avoir la foi, alors que personne n’a jamais apporté la preuve que le paradis existe. Moi, c’est pareil. Le paradis socialiste ne s’est pas
encore manifesté, mais j’y crois. Il y a juste que je ne suis pas allé à la messe de La Courneuve depuis 1992. Et que je ne me suis jamais confessé dans l’Huma ! Il n’y a que deux côtés d’une
barricade, disait Elsa Triolet. Qui a inventé, elle, les Fêtes du livre. Merci du cadeau : tous nos week-ends niqués. Eh bien, même si 90 % ou 95 % de mes amis, de mes amours et de mes
connaissances se plaçaient du côté non communiste, je serai toujours du côté communiste, avec un tas de gens qui ne sont, à 90 % ou 95 %, ni mes amours, ni mes amis, ni mes connaissances. Mais
des camarades. La camaraderie, c’est un peu au-dessus.
Votre livre a été présenté par votre éditeur, Francis Combes, à la Fête de l’Humanité.
Le geste n’était pas
anodin ?
Patrick Besson. Vingt ans après, comme écrivait Dumas. Avec Auguste Maquet, son nègre. C’est une chose
d’être jeune et c’en est encore une autre, très différente, de ne plus l’être ; et d’avoir néanmoins les mêmes idées, les mêmes colères, le même rire. Et la même femme ! (voir page 87 du
Hussard rouge). Peut-être que le temps n’existe pas. Pauvre Proust qui a consacré sept volumes à essayer de nous prouver le contraire.
Un vrai panorama critique : Le Hussard rouge, de Patrick Besson. Éditions le Temps
des Cerises, 350 pages, 20 euros.
Il y a le style : Patrick Besson est un polémiste
au trait ravageur. Mais il y a, inséparablement, une vision acérée du
monde comme il va : Patrick Besson n’est pas dupe de ce qui se joue depuis 1989 en Europe
et dans le monde. Littérature, politique, société, médias, télévision… rien de ce qui constitue le
présent ne lui est étranger. Ici, il pastiche magistralement Echenoz,
là il règle leurs comptes à Sollers, Ben Jelloun, Berberova et pas mal d’autres. Ou bien il met le cap sur l’ancien
Berlin-Est, Moscou et Zagreb, portant sur tout cela
un regard détonant. Et dresse peu à peu un formidable tableau critique du temps, depuis les fausses valeurs du marketing littéraire
jusqu’aux valeurs prétendument supérieures du capitalisme triomphant. Chez Besson, l’acidité est un régal.
A lire:
Mes années Mitterrand
Entretien réalisé par
Jean-Claude Lebrun