Sophie de La Rochefoucauld, l’aristo rouge du Front de gauche
ARTICLE PARU DANS RUE 89
rencontre 27/05/2012 à 20h55
Issue d’une famille de ducs et princes vieille de mille ans, cette actrice, candidate aux législatives à Paris, est surtout marquée par l’héritage communiste de ses parents.
Dans la 15e circonscription de Paris, qui couvre une partie du XXe arrondissement, l’attelage du Front de gauche pour les législatives est garanti « vu à la télé ».
Le candidat, Didier Le Reste, est l’ancien patron de la CGT-Cheminots qu’on voyait au 20h à chaque grève de la SNCF, entre 2000 et 2010.
Sa suppléante, Sophie de La Rochefoucauld, comédienne de 46 ans, est surtout connue du grand public pour ses rôles dans des séries policières, comme « Groupe flag » ou « Les Cordier, juge et flic ».
Alors quand on les accompagne pour un porte-à-porte dans une pimpante résidence HLM de la rue de la Chine, des gens les reconnaissent.
« Vous êtes aussi jolie qu’à la télé »
Pas le premier à répondre, au dernier étage, qui dit « surtout pas ! je suis de droite ». Ni ce sexagénaire à l’accent serbe pour qui « le seul communiste, c’était Marchais ».
On descend l’escalier et les candidats, Le Reste avec sa fine moustache, « La Roche » et sa voix rieuse, séduisent la plupart des résidents. Surtout ceux qui les ont vus à la télé.
A Le Reste : « Vous allez manquer au syndicalisme. »
Avec La Rochefoucauld, c’est un peu plus fréquent : « Je vous ai vue à la télé ! Vous êtes aussi jolie. »
Dialogue surréaliste avec une habitante de ce HLM, Nivernaise d’origine comme Didier Le Reste :
« La haute aristocratie française, ça fait plaisir. J’adore l’aristocratie, leur façon de vivre, ces grandes fêtes somptueuses que vous organisez...
– Ah mais non, ce n’est pas du tout ce que vous imaginez ! Je n’ai pas de château, je ne vis pas dans le XVIe, je n’organise pas de grandes fêtes. »
« Une particule peut être une plus-value »
La dame semble un peu déçue. Didier Le Reste, lui, est ravi :
« Dans la mesure où elle est engagée depuis des années à gauche, c’est un bonheur. Ça veut dire qu’on a beau avoir un nom à particule, ce qui compte, c’est les idées.
Ça peut même être une plus-value pour la gauche. »
Comme son nom ne l’indique pas, la suppléante a grandi dans une famille d’extrême gauche. Son père, le comte Jean-Dominique de La Rochefoucauld, scénariste et réalisateur disparu en 2011, fut membre du Parti communiste. Son père à lui, qui a dilapidé la fortune familiale, l’avait envoyé grandir chez les curés.
Sa mère, la productrice Michelle Bessy Podroznik (un des piliers de « Plus belle la vie »), est fille d’immigrés polonais, communistes et juifs. « Quand je dis aux gens que je suis juive, ils éclatent de rire », s’amuse Sophie en se racontant entre deux gorgées de Coca, dans un resto bobo.
« On s’attarde au nom et aux apparences »
Elle est franche, volubile, drôle, charmeuse – ou juste charmante, peut-être. Résignée :
« On s’attarde toujours au nom et aux apparences. »
Elle a grandi en vendant « Révolution » à la sortie de Duruy, le seul lycée public du très chic VIIe arrondissement de Paris, où ses parents habitaient. Chez eux, dans les toilettes, Ho Chi Minh s’affichait au-dessus du trône.
Mais avant son père, il n’y avait pas de communistes chez les La Rochefoucauld. Cette maison (un terme réservé aux plus grandes familles aristocratiques), cumule depuis le XIe siècle les titres de noblesse : princes de Marcillac, ducs de La Rochefoucauld, de La Roche-Guyon, d’Estissac, de Liancourt, de Doudeauville, d’Estrées, d’Anville... parmi nombre d’autres titres et fiefs.
Un ancêtre parrain de François Ier
C’est un La Rochefoucauld qui a donné son prénom au roi François Ier, dont il était le parrain. Un autre, François XII (ce genre de lignée additionne aussi les chiffres), réveilla Louis XVI dans la nuit du 14 au 15 juillet 1789, suscitant l’étonnement du roi :
« Mais c’est donc une révolte ?
– Non, sire, c’est une révolution. »
Pas moins de six membres de la famille étaient députés aux Etats généraux, représentant la noblesse ou le clergé ; une partie a décidé de rejoindre le Tiers Etat.
Certains ont été victimes des massacres de Septembre. D’autres, guillotinés.
« Mes ancêtres méritaient de perdre la tête »
Quand on rappelle à Sophie de La Rochefoucauld que Jean-Luc Mélenchon, le leader du Front de gauche, compte parmi ses modèles Robespierre et Saint-Just, deux des révolutionnaires les plus enragés contre les aristocrates, elle dit à propos de ses ancêtres :
« S’ils ont perdu la tête, c’est qu’ils le méritaient. Je ne suis pas pour la Terreur, mais cette période était mouvementée, complexe. Une révolution ne se fait pas sans quelques dégâts collatéraux. »
On subodore quelques difficultés relationnelles avec sa famille, côté paternel. Elle n’en rejette pas totalement l’héritage – « le duc de Liancourt a créé les premières bourses pour les étudiants », souligne-t-elle.
Pas d’accord avec l’auteur des « Maximes »
Mais voilà : digne fille de son père, à la fois excellent connaisseur de l’histoire familiale et « grand spécialiste de la Révolution » qui a réalisé un téléfilm inspiré de Robespierre, Sophie détonne dans une maison dont le représentant le plus célèbre, mémorialiste au XVIIe siècle, a écrit dans ses « Maximes » :
« Le travail du corps délivre des peines de l’esprit, et c’est ce qui rend les pauvres heureux. »
Sa descendante estime, elle, « anormal que plus de 8 millions de gens vivent sous le seuil de pauvreté, soit 900 euros par mois, en majorité des femmes ». Et qu’à l’école de sa fille, dans le XXe arrondissement, « des mômes prennent du pain à la cantine pour le rapporter à la maison ».
Sa famille paternelle, elle la fréquente peu. Il y a bien ce cousin germain « catho de droite », fils d’une tante qui n’avait pas tourné le dos à son frère, le père de Sophie :
« C’est un humaniste. D’ailleurs, il était à deux doigts de voter Mélenchon à la présidentielle. Mais il a choisi Bayrou. »
Au marché : « La Rochefoucauld ? On se demande ce que vous faites là ! »
Les autres, « je les aime bien, mais la vie est courte : j’ai ma famille, mon métier, la politique... »
Proche à la fois de Jean-Luc Mélenchon, de Marie-George Buffet (qui l’a faite entrer en politique en 2005) et de Pierre Laurent, la jolie comédienne est soupçonnée par certains cousins de se servir de son nom « pour réussir ».
Si ses idées ostracisent Sophie de La Rochefoucauld au sein de sa famille paternelle, en dehors, c’est sa particule qui est souvent « stigmatisante ». En politique, comme dans les milieux de la télé ou de la comédie.
Dans la rue, aussi. Un jour qu’elle tractait sur un marché, une femme s’est offusquée :
« La Rochefoucauld ? On se demande bien ce que vous faites là ! »