Printemps des poètes 2010
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Pourquoi avez-vous choisi d’être la marraine de la 12ème édition du Printemps des poètes, consacré, cette année, aux
femmes poètes ?
DOMINIQUE BLANC : Cela s’est passé de façon très simple : en juin de l’année dernière j’ai reçu un coup de téléphone de l’écrivain Jean-Pierre Siméon qui organise cette manifestation nationale depuis 12 ans (1). Lorsqu’il m’a expliqué que cette année était consacré aux femmes et m’a proposé le rôle de marraine, j’ai été très touché. J’ai accepté cette responsabilité. Je connais peu la poésie contemporaine féminine, j’ai donc pensé que ce serait une occasion formidable de me plonger là dans cet univers. Puis si ma petite renommée peut aider à faire connaître ces femmes poètes qui restent dans l’ombre, il faut y aller !
Que révèle le fait qu’il existe une journée pour les femmes, des manifestations dédiées aux femmes, un
« créneau », somme toute, consacré aux femmes, sur la place de celles-ci dans notre société ?
DOMINIQUE BLANC : Certains sont un peu consternés et d’autres en colères qu’il y ait justement une journée ou une semaine dédiée aux femmes. On ne consacrera jamais assez de temps aux femmes. Je ne veux pas dire que cela fait vingt siècles que l’on s’occupe des hommes mais un peu tout de même ! Il y a un éclairage des cultures au masculin dans toutes les régions du monde, alors il serait, désormais, assez passionnant de s’intéresser tout d’un coup, pour de vrai et concrètement au continent féminin. J’ai été très touché par l’exposition sur les artistes femmes mise en scène au Centre Pompidou à Paris [1] : j’y vois comme le signe de quelque chose de neuf dans nos sociétés. Il est et il sera toujours important de s’intéresser et d’être positif à ce type de démarche. Car on sait pertinemment qu’en cas de crise, la première population touchée, la plus vulnérable et la plus fragile économiquement, c’est les femmes. Il ne faut donc jamais cesser de s’y intéresser, de s’enthousiasmer, de se passionner.
Selon vous, ce type d’initiatives peut-il faire progresser les mentalités et la condition des
femmes ?
DOMINIQUE BLANC : J’écoutais ce matin encore la revue de presse de France Inter, qui citait une étude à paraître prochainement dans la revue du CNRS. Cette enquête révèle qu’une entreprise à l’environnement très féminin est beaucoup plus performante qu’une autre très masculine : la différence est de près de 100%… Et en terme de créations d’emplois, la différence est de plus de 150% ! Donc, sans vouloir toujours mettre les chiffres en avant, il est évident que tant que la parité n’existera pas, à la fois dans le monde politique, économique, industriel et culturel que dans le celui des salaires, notre société ne se sera pas vraiment accomplie…
Quel serait votre idéal de société justement ?
DOMINIQUE BLANC : Je rêve toujours d’une société comme celle qui existe en Europe du Nord, en Suède, ou j’ai tourné, on se rend compte que les femmes sont très engagées dans le gouvernement, à quasiment 50%, au même titre que dans la société, très égalitaire, où les hommes sont eux très engagés dans l’éducation des enfants, puisqu’il y a des congés paternels qui peuvent durer deux ans. Il existe une vraie parité. Dans les entreprises, il y a aussi plus de femmes occupant des postes à hautes responsabilités. Il est magnifique de voir comme la vie est équilibrée pour les deux sexes. Je suis certainement quelqu’un de très utopique mais je rêverai d’une telle harmonie. En France, quand on regarde le taux de représentation des femmes dans l’Assemblée nationale ou au Sénat, on voit à quel point l’univers politique est élitiste, très retiré sur lui-même : c’est désolant.
Et vous, en tant que femme, justement, à quelles difficultés avez-vous été confronté pour obtenir un premier
rôle ?
DOMINIQUE BLANC : J’espère que vous avez du temps ! Les choses ont été très très longues pour moi, au théâtre comme au cinéma. Je ne sais plus qui disait : « ce qui est intéressant, ce n’est pas d’obtenir l’étoile, c’est le chemin lorsqu’on est en route pour l’étoile qui est passionnant ». Maintenant qu’il semblerait que la situation soit un peu plus stable pour moi, et encore on n’est jamais sûr de rien dans ce métier, je ne regrette pas du tout que ce parcours ait été difficile, je crois que cela m’a aidé à quantifier mon désir et à le préciser. Cela a été difficile au théâtre parce que je ne connaissais personne. J’ai d’abord été remarquée et engagée par Patrice Chéreau pour jouer dans la pièce d’Ibsen « Peer Gynt », mais ensuite je suis retournée au néant.
Comment vous en êtes vous sortie ?
DOMINIQUE BLANC : J’ai écris à plusieurs metteurs en scène, j’ai eu des petits rôles au théâtre jusqu’à ce qu’on me propose pour la première fois de jouer Suzanne, dans « Le mariage de Figaro », mise en scène par Jean-Pierre Vincent, avec les comédiens André Marcon, Didier Sandre… J’ai été complètement stupéfaite qu’il me propose ce rôle, car je n’avais pas fait le conservatoire. Cela faisait une dizaine d’années que je rêvais d’un premier rôle, j’avais un peu galéré, fait beaucoup de petits boulots, et je trouvais incroyable que cet homme, administrateur de la Comédie Française à l’époque et qui pourrait choisir toutes les jeunes premières du conservatoire, se tourne vers moi : « la self-made woman » ! Avec le personnage de Suzanne, j’ai eu l’impression que j’accédais à mon premier rôle, pour de vrai au théâtre, et ça a été le début du merveilleux. Je me suis tout de suite renseigné pour savoir si les comédiens André Marcon et Didier Sandre avaient fait le conservatoire… et ce n’était pas le cas, alors cela m’a rassuré ! Puis, j’ai été incroyablement gâtée, j’ai joué les personnages de Célimène dans le Misanthrope de Molière, Nora dans « Une Maison de Poupée » d’Ibsen, Phèdre, puis « La Douleur » de Marguerite Duras… Au théâtre, j’ai eu des rôles magnifiques.
Et au cinéma ?
DOMINIQUE BLANC : Mon parcours a été plus long. J’ai commencé par le bas de l’échelle en faisant de la figuration à l’ANPE , puis des petits rôles et des seconds rôles. La première fois qu’on m’a offert un rôle principal, c’était dans « l’Affut » de Yannick Bellon, un film de 1992 qui est sorti en pleine explosion écologiste dans le milieu politique. Ce film a été probablement l’un des plus grands bides de l’histoire du cinéma ! J’ai alors pensé que j’allais probablement retourner dans la pénombre d’où je venais…
Puis vous avez eu de très beaux rôles, des rôles difficiles, de femmes abandonnées, trahies, désemparées, blessées… L’un
d’eux, dans le film « Stand-By » vous a valu un César de la meilleure actrice en 2001, et plus récemment vous avez reçu le Prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise pour
« L’autre » de de Patrick-Mario Bernard et Pierre Trividic. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces personnages en souffrance ?
DOMINIQUE BLANC : C’est très étrange. Il y a plusieurs choses. D’une part, je pense que j’aime la difficulté, j’aime donc aller vers des rôles forts, et les femmes qui souffrent sont des rôles forts. J’ai tendance à choisir des rôles de femmes qui sont dans une certaine aliénation et vont s’en libérer, car j’aime défendre ces personnages. Ils me touchent. J’ai longtemps été attirée par la souffrance, je ne le suis plus. Puis j’ai une façon de travailler qui a évolué, désormais je ne souffre plus lorsque j’incarne un personnage en souffrance. Quand je joue « La Douleur » sur scène, les spectateurs viennent souvent me dire, à la fin, que cela doit être éprouvant : certes c’est éprouvant, mais en même temps je reçois énormément car incarner un personnage qui a été courageux, résistant pendant la guerre, ça vous grandit ! Alors pourquoi les metteurs en scène et réalisateurs me proposent-ils souvent des rôles de femmes en souffrance ? Je ne sais pas, il y a une part de mystère là-dedans, une part d’étrangeté que je ne maîtrise pas. Maintenant, c’est vrai que j’aimerais aller vers la comédie parce que c’est un terrain que je n’ai pas encore tout à fait fréquenté. Et le peu que j’en ai fais m’a beaucoup plus.
Remarquez-vous une évolution de la représentation des femmes dans le cinéma,
aujourd’hui ?
DOMINIQUE BLANC : Oui ! Un bel exemple positif : à soixante ans, Meryl Streep vient de faire deux succès planétaires au cinéma avec les films « Mamma Mia » de Phyllida Lloyd et « Pas si simple » de Nancy Meyers. Donc, tout d’un coup, cette femme de soixante ans redevient « bankable ». Et si ce projet a été possible, elle le dit elle-même, c’est parce que des femmes ont produit ces films. Certes des femmes ont été à l’origine de ces projets, elles ont écrit les scénarios et réalisé les films, mais le plus étonnant c’est que ce sont aussi des femmes qui ont financé ces long-métrages. Je pense, et j’espère, que cette même situation va bientôt arriver chez nous. Car, aujourd’hui, dans le cinéma français, nous avons la chance d’avoir beaucoup de femmes réalisatrices, scénaristes, chef-opérateur, ingénieurs du son, et même certaines qui veulent devenir machinistes, le métier se féminise beaucoup… mais, en revanche, il existe encore beaucoup de résistance pour laisser aux femmes les postes de pouvoir, de production. Alors quand les chaines de télévision, les radios, privées ou publiques, seront dirigées aussi par les femmes, quand tous ces postes clefs de pouvoir économiques seront largement partagés par des femmes, je pense que les scénarios bougeront et qu’on se mettra à écrire davantage de rôles pour les femmes de cinquante, soixante, soixante-dix ans, et plus.
Quel souhait voulez-vous faire aujourd’hui ?
DOMINIQUE BLANC : J’aimerais qu’il y ait plus de rôles féminins au cinéma et dans le théâtre contemporain, des rôles qui ne se situent pas forcément entre « la maman et la putain » ! Il serait juste que les femmes poètes que l’on ne connaît pas puissent être éditées, cela pourrait créer de nouvelles vocations chez les filles. Il serait bénéfique pour tous que les artistes au féminin puissent s’exprimer davantage, qu’elles soient reconnues dans leur différence. Actuellement, nous subissons encore une tradition gauloise déplorable : nous sommes l’un des pays d’Europe où les femmes travaillent le plus, sont à la fois femme au foyer, mère parfaite, salariée, responsable des tâches domestiques, c’est toujours aussi consternant. Alors, tant qu’on parlera des femmes, cela fera avancer cette cause… qui concerne tout de même la moitié de la population ! Il ne faut donc pas cesser de s’engager. Il s’agit de pouvoir construire avec les hommes pour vivre ensemble.
Entretien réalisé par Anna Musso