Où en est-on de l'histoire des luttes féministes ?
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Le point avec l'historienne Christine Bard
L'Humanité Samedi 6 Mars 2021
Si les luttes des femmes s’affirment, s’imposent et gagnent en force, le contexte reste lourd d’adversité. « Aujourd’hui, c’est l’éradication des violences masculines qui est en jeu. Un combat qui porte au-delà des cercles militants et ne fait que commencer », explique Christine Bard, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre.
Depuis MeToo, depuis la libération de la parole et son écoute, est-on en train de vivre un moment décisif de l’histoire des luttes des femmes ?
CHRISTINE BARD Je le crois. Je n’ai jamais connu une telle intensité militante : les manifestations, les médias, les films, les publications, les collages, les blogs… C’est une immense vague – une « déferlante » pour reprendre le titre d’une toute nouvelle revue féministe – qui porte bien au-delà des cercles militants, partout dans le monde, avec la force que donnent les réseaux sociaux et l’afflux massif de jeunes activistes. Les études féministes ne sont pas étrangères à cette intensité.
#MeToo a donné un coup d’accélérateur à un cycle de mobilisations qui a commencé dans les années 1970 avec les premières actions contre le viol, des groupes de conscience entre femmes qui abordaient ce « tabou », avec des associations comme le Planning familial. Progressivement, la parole s’est libérée, grâce au courage, il faut le souligner, de toutes celles qui ont témoigné à la première personne.
Je pense à Clémentine Autain, notamment. C’était il y a quelques années. Ne les oublions pas. Puis, les « je » se sont additionnés. Ce qui est clairement en jeu, aujourd’hui, est l’éradication des violences masculines. Il reste encore beaucoup de blocages.
Dans quels domaines se situent les blocages ?
CHRISTINE BARD Ils sont déjà politiques, là où la cause féministe est trop peu représentée, trop peu défendue. Je suis frappée par le contraste entre la force du féminisme comme mouvement social et culturel et sa faiblesse dans les lieux de pouvoir. Quelle place le féminisme aura-t-il, par exemple, dans le jeu électoral qui va nous obséder jusqu’à la prochaine présidentielle ?
Je voudrais aussi souligner la frilosité coupable du monde de l’éducation, sans nier les bonnes volontés, souvent trop peu soutenues. L’éducation nationale recule, sous la houlette d’un ministre autoritaire, comme venu d’un autre temps. Il faut changer l’éducation pour espérer changer la société et arriver à plus d’égalité. Or, il ne se passe rien d’important à l’école de ce point de vue. Il n’y a pas de formation des enseignantes et des enseignants dans ce domaine.
L’histoire des femmes est quasi totalement absente des manuels du collège et du lycée. Cela fait quand même cinquante ans que celle-ci existe à l’université ! Des milliers de livres, de thèses, pour quels résultats ? Le contenu des enseignements ne bouge pas ! Dans les programmes en français, combien d’œuvres de femmes étudiées ?
Pourtant, la demande est forte, surtout dans les lycées, mais elle reste sans réponse parce qu’il y a un conservatisme persistant, propre au monde de l’éducation. Il y a un verrou en France. Et que dire à propos d’autres pays où les droites réactionnaires, antiféministes, homophobes sont au pouvoir et tentent de museler la recherche et l’éducation sur le genre !...