Le projet adopté mardi en première lecture à l’Assemblée ne permettrait pas de prévenir une nouvelle crise
financière ni de protéger les contribuables, jugent de nombreux économistes.
Empêcher les futures crises financières et protéger les épargnants, c’est l’ambition portée par le gouvernement tout au
long de la discussion sur la loi bancaire qui a été votée hier en première lecture à l’Assemblée nationale, par 315 voix contre 161. «Historique, le texte pourra probablement le devenir à la
condition que la navette parlementaire permette d’enregistrer des modifications plus profondes», a lancé, hier, Nicolas Sansu pour motiver l’abstention des députés du Front de gauche lors du
vote. «Si les amendements adoptés en commission et en séance ont certes permis d’améliorer le projet de loi initial (…), il reste encore trop timide», a-t-il ajouté. Les députés Verts, qui
étaient fortement hostiles au projet initial, se sont contentés d’une amélioration de la transparence pour, in fine, voter le texte.
Porte ouverte à une nouvelle crise
Pour 75 économistes, signataires d’une tribune commune, dont Jacques
Généreux, Jean-Marie Harribey, Alain Lipietz, Frédéric Lordon, Denis Durand, Catherine Mills, Frédéric Boccara et André Orléan, ce « projet de loi ne résout rien », et laisse « une porte
ouverte à une nouvelle crise ». Il ne fait que « loger certaines activités spéculatives » dans une filiale, activités représentant seulement 0,75 à 2 % du produit net bancaire des banques,
expliquent-ils. Alors que seulement 10 % des bilans des banques sont consacrés aux prêts aux entreprises non financières et 12 % aux prêts aux particuliers. Autres chiffres mis en avant par les
économistes : les 200 milliards d’euros d’obligations émises en 2012 par le secteur bancaire, dont seulement 22 milliards sont distribués aux ménages et 27 milliards aux entreprises.
Le système bancaire reste une bombe à retardement
Le risque systémique est toujours aussi grand lorsque quasiment aucune activité spéculative n’est touchée par la réforme.
Seuls le trading à haute fréquence (l’exécution à grande vitesse de transactions financières réalisées par un ordinateur) et la spéculation sur les matières premières agricoles sont montrés du
doigt. Mais immédiatement des précisions en limitent la portée. Et rien sur un encadrement ou un cantonnement des produits dérivés, pourtant au cœur de la crise des subprimes ; rien non plus
sur les marchés de gré à gré qui ne sont soumis à aucune réglementation. Le gouvernement vend le renforcement du pouvoir de l’autorité de contrôle des banques comme un gage de protection. Or,
son rôle reste limité, car le projet de loi ne prévoit pas de sanctions fortes, notamment pénales. Bref, le système bancaire reste une bombe à retardement. « Le secteur français présente un
niveau de risque systémique parmi les plus élevés du monde. Le Crédit agricole prévoit des pertes record en 2012, voisines de 6 milliards d’euros », expliquent les économistes.
Et en cas de risque de faillite, seules deux personnes seront amenées à prendre les décisions : le gouverneur de la Banque
de France et le directeur général du Trésor. Il leur reviendra de déterminer qui devra éponger les pertes, ou de décider la mise en faillite. Il y a de fortes chances que les contribuables
soient invités à mettre la main à la poche, le projet ne stipulant pas que les actionnaires et l’ensemble des créanciers des banques seront, en pareil cas, mis en priorité à
contribution.
Frais: la charge des banques. Les patrons de six grandes banques françaises sont montés
au front, après le vote de l’amendement permettant d’élargir
à tous les particuliers le plafonnement de certains frais liés
aux découverts bancaires (commissions d’intervention).
Dans une
lettre adressée au premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et au ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, la Fédération bancaire française (FBF) a estimé qu’« une telle mesure coûterait des
sommes considérables pour les principales banques (…),
or la banque de détail, une industrie qui emploie plus
de 300 000 personnes en France, doit affronter une conjoncture
historiquement difficile », écrivent les patrons.
La réforme des banques
réformée
La revanche de Marx, par Cynthia
Fleury
Clotilde Mathieu