Manifestation de parents et d'enseignants devant le Rectorat de Paris, le 3 février dernier
Le même rituel se joue tous les mardis matin. Les parents d'élèves de l'école maternelle Tourtille, à Paris (20e), se
retrouvent à l'ouverture des portes avant de monter au premier étage et investir le bureau de la directrice. « On commence toujours par envoyer un fax à l'inspecteur d'académie pour lui
signaler notre présence, explique Cécile Chevalier, une mère d'élève. Ça fait quatre semaines que l'on tient et on ne lâchera pas tant qu'on ne récupérera pas nos postes. »
Ici, dans ce quartier populaire du bas Belleville, classé en zone d'éducation prioritaire (ZEP), l'annonce d'une fermeture de classe et de la suppression d'un poste de maître Rased (Réseau
d'aide aux enfants en difficulté) a provoqué la colère immédiate des parents. « Cette décision purement comptable est irresponsable quand l'on connaît la situation des familles », souligne
Luisa Lamda, une mère d'élèves. Le bas Belleville, c'est un taux de chômage qui avoisine les 17 %, quelque 30 % de familles monoparentales et de nombreux hébergements en hôtels sociaux. « Un
tiers des enfants qui entrent en maternelle sont des primo-arrivants non francophones, venus notamment de Chine, précise Hélène Calmette, la directrice. Ici, 58 % des parents relèvent d'une
catégorie sociale défavorisée, contre 36 % en moyenne dans les autres ZEP. »
« Ici, trois élèves de plus, ça change tout »
Une réalité sociale que l'inspecteur d'académie, arc-bouté sur ses impératifs budgétaires, ne veut pas voir. Pour justifier
la fermeture de classe, il s'est basé sur les prévisions d'inscriptions au 31 janvier dernier. Il y avait alors 114 élèves prévus à la rentrée 2011 pour un seuil fixé à... 115. « Le problème,
c'est qu'aujourd'hui on a 119 inscriptions mais l'inspecteur ne veut plus rien entendre », s'agace Cécile Chevalier. Conséquence : les classes vont passer de 20 élèves en moyenne à 22 ou 23. «
Or, compte tenu des difficultés, deux ou trois élèves de plus ou de moins, ici, ça change tout... »
Autre décor mais même colère à l'école maternelle les Lutins de Cany-Barville, bourg de 3 425 habitants, entre Fécamp et
Saint-Valéry-en-Caux, en Haute-Normandie. Ici, une des cinq classes devrait fermer à la rentrée 2011. Pas assez d'élèves, affirme l'inspecteur d'académie, Philippe Carrière qui se base, lui,
sur les prévisions d'inscriptions du mois de... novembre 2010 ! Á l'époque, il y avait 112 élèves de prévus à la rentrée prochaine. Problème : ce chiffre n'est pas exhaustif. « Il y aura en
réalité 128 élèves inscrits à la rentrée prochaine, si l'on compte les enfants de moins de trois ans qui, de plein droit, peuvent entrer à la maternelle », assurent les enseignants, parents et
élus. Or l'inspecteur refuse de les comptabiliser.
La pétition fermée par plus de huit cents personnes
« Et que fait-il des 32 nouveaux appartements en construction dans la commune qui seront habités au dernier trimestre de
l'année 2011 ? » s'interroge le maire Jean-Pierre Thévenot. « Il y aura forcément des enfants qui devront intégrer la maternelle en cours d'année », poursuit-il. Photos des futurs appartements
en construction à l'appui, l'élu a écrit à l'inspecteur pour lui demander de revoir sa copie. Et s'insurge contre « la casse de l'école en milieu rural » malgré les efforts des élus
locaux.
Comme à Belleville, les parents bloquent le bureau de la directrice depuis quelques jours. Et leur pétition a recueilli
plus de huit cents signatures. Ils parlent de « double peine » pour leurs enfants. En plus de la suppression d'une classe qui va accroître le nombre d'élèves par classe, le poste de
l'enseignant Rased sera lui aussi supprimé. « Or s'il y a un Rased qui intervient dans notre école maternelle, c'est bien qu'il y a des difficultés scolaires. Fermer une classe ne va rien
arranger », déplore Martine Baudry, enseignante qui partira à la retraite au mois de juin.
Tous sont convaincus que la décision finale se jouera le jour de la rentrée. « S'il y a plus d'élèves que prévu par
l'inspecteur, il sera bien obligé de maintenir cette cinquième classe », tranche l'enseignante. En tout cas, demain vendredi, les oreilles de l'inspecteur siffleront certainement à l'occasion
d'une manifestation prévue dans les rues de Cany-Barville.
A lire :
--> Points de
vue d'enseignants du primaires
--> Le ras-le-bol des profs
--> En Seine-Saint-Denis, les profs refusent la «
liquidation totale » de l’école
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Mobilisation le 18 mai
Le SNUIpp-FSU appelle à une journée de mobilisation avec un rassemblement à proximité du ministère de l'Éducation nationale
à Paris, le 18 mai, pour dénoncer les 8 967 suppressions de postes prévues à la rentrée prochaine dans le premier degré. « Un peu partout, enseignants et parents tirent le signal d'alarme »,
assure le premier syndicat des enseignants du primaire qui appelle « les enseignants et les parents » à faire de ce 18 mai une journée de « rendez-vous pour l'école ».
Laurent Mouloud et Frédéric Seaux