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Le sommet du G20 de Rio s’annonce comme un tournant dans les relations internationales.
© REUTERS/Tuane Fernandes
L'Humanité Vadim Kamenka Axel Nodinot
À partir de ce lundi, les 20 principales puissances économiques se réunissent à Rio, au Brésil. Alors que ce sommet est le dernier de Joe Biden, le retour de Donald Trump aux affaires précipite la volonté du Sud global de s’émanciper des puissances occidentales.
Travailler ensemble, d’égal à égal, telle est l’idée que défendront les pays émergents. À Rio de Janeiro, le sommet qui réunit les 20 principales puissances économiques mondiales devrait confirmer l’accélération d’une métamorphose des relations internationales.
Le Brésil et son président Luiz Inácio Lula da Silva vont accueillir, lundi et mardi, la plupart des dirigeants du G20, parmi lesquels Joe Biden (États-Unis), Xi Jinping (Chine), Emmanuel Macron (France), Claudia Sheinbaum (Mexique), Olaf Scholz (Allemagne), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), Recep Tayyip Erdogan (Turquie), Giorgia Meloni (Italie), Javier Milei (Argentine), Keir Starmer (Royaume-Uni), Narendra Modi (Inde) ou Justin Trudeau (Canada).
Depuis son retour au pouvoir, Lula a veillé au renforcement des relations entre les pays du Sud, désormais connus sous le nom de Sud global. Après le Covid, la guerre en Ukraine, les crimes de guerre à Gaza et au Liban, le conflit du Soudan et les catastrophes climatiques, les États-Unis et leurs alliés occidentaux veulent encore garantir une marche du monde selon leurs règles, où le multilatéralisme tel qu’imaginé par la charte des Nations unies disparaît.
Repenser le monde
Face à une commune exclusion de la gouvernance mondiale, les dirigeants du Sud global ont décidé d’y répondre avec par exemple les Brics +, le G77, l’Organisation de Shanghai.
Malgré leurs différences politiques, démographiques ou culturelles, la volonté de s’émanciper des pays du Nord a créé une forme d’entente. « C’est-à-dire des relations internationales qui sont fondées non pas sur l’homogénéité, mais sur le partenariat, non pas sur l’idée d’alliance de bloc mais sur l’idée de diversité.
Mes collègues du Sud me disent : ”Justement, notre combat, c’est celui de la défense de la diversité. Et donc, ça ne nous gêne pas d’être dans un ensemble constitué de gens divers” », analyse le politologue français Bertrand Badie.
Lors du sommet, les discussions pourraient bien porter sur l’évolution du système financier international et la modernisation des instances de premier plan telles que l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
En gros, il s’agit de repenser le monde d’après 1945, qui reste structuré autour des mêmes cinq puissances, et que de nombreux pays émergents remettent en cause. Les Nations unies apparaissent bloquées par la prépondérance du Conseil de sécurité ; le système financier, par les accords de Bretton Woods. Et les actes de défiance de l’administration Netanyahou depuis octobre 2023 sont autant de coups portés à la crédibilité de l’ONU.
En 2006, en quittant son poste de secrétaire général, Kofi Annan avait proposé la suppression du veto en cas de crimes de masse, un meilleur système de roulement des États membres au Conseil de sécurité et un renforcement du Conseil des droits de l’homme.
« Le corollaire indispensable de cette ambition est l’existence d’institutions multilatérales efficaces, qui ne soient pas affaiblies par l’égocentrisme des États, particulièrement les plus puissants d’entre eux, accrochés à leur droit de veto. Un renforcement de l’ONU en matière de prévention des conflits comme de missions autour de l’idée de sécurité humaine est, à cet égard, hautement souhaitable », constate Francis Wurtz, député honoraire du Parlement européen.
Avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, fin janvier 2025, les États-Unis pourraient au contraire aller vers plus de relations bilatérales, alors que le modèle américain est remis en question. De nombreuses puissances qui défendent une désoccidentalisation veulent donc accélérer ce bouleversement.
La Russie et la Chine en sont les principaux relais. À Moscou, la guerre en Ukraine et les sanctions ont clairement favorisé le projet de contrer l’Occident. L’un des artisans de la politique étrangère russe, Sergueï Karaganov, a développé le concept diplomatique de la « majorité mondiale ». L’objectif est de maintenir la Russie dans un rôle majeur sur la scène internationale.
Un multilatéralisme au service de l’égalité
Quant à Pékin, le conflit commercial avec Washington et ses sanctions lui permettent de nouer des alliances au sein du Sud global, dont il se fait le porte-parole en prônant une mondialisation Sud-Sud. Grandement intégrés aux Nouvelles routes de la soie, 90 % de ses investissements étrangers se concentrent dans cette partie du globe.
« Les États-Unis craignent de perdre leur première place, mais ce n’est pas de cette manière que nous pensons le monde, explique un ancien diplomate chinois de haut rang. Les économies émergentes veulent être non alignées, et tirer des avantages à la fois de la Chine et des États-Unis. »
Pour le directeur adjoint de l’Iris, Didier Billion, « nous sommes entrés dans un monde apolaire. On est dans une situation de transition qui peut durer plusieurs années, où les puissances occidentales ne peuvent plus imposer leur ordre, leurs valeurs culturelles, leur solution militaire au reste du monde. Les autres pays affichent leur volonté de s’émanciper ».
Ce multilatéralisme faciliterait également des transformations sociales d’ampleur. « Les dirigeants du G20 peuvent mettre fin aux assauts que les ultrariches ont lancés contre le système fiscal, il y a plusieurs décennies, espère Viviana Santiago, directrice générale d’Oxfam Brésil.
Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra remédier aux ravages des inégalités qui fracturent nos sociétés. » Et l’organisation de rappeler que le 1 % des plus riches des pays du G20 « contrôle à présent 31 % des richesses totales », quand les 50 % les plus pauvres en détiennent moins de 5 %, et que cette tendance s’accroît toujours plus rapidement.
Mais ces évolutions de « l’ordre mondial » favorisent aussi la course sans précédent aux armements, la prolifération nucléaire et le manque de réponses au changement climatique. Face à ces dangers, la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum défendra à Rio une réduction des dépenses en armement, afin d’affecter ces ressources à l’aide aux plus démunis.
« C’est le programme ”Semer la vie”, qui propose de réduire un peu les dépenses d’armement et de semer la vie et la paix au lieu de semer la guerre », a-t-elle déclaré au cours d’une conférence de presse.