porter le RN au pouvoir
Exclusif : Périclès, le projet secret de Pierre-Édouard Stérin pour installer le RN au pouvoir
« 150 millions d’euros sur les dix prochaines années » pour promouvoir des « valeurs clés » de l’extrême droite, « servir et sauver la France » : le projet Périclès, dont l’Humanité publie les détails, fixe les ambitions du milliardaire Pierre-Édouard Stérin pour porter le RN au pouvoir.
L'Humanité Thomas Lemahieu
Avec Périclès, Pierre-Édouard Sterin peaufine son plan pour faire arriver l’extrême droite au pouvoir.
© Stephane LAGOUTTE/Challenges-REA
Daniel Kretinsky l’a annoncé ce jeudi : il ne vendra pas son hebdomadaire Marianne au milliardaire Pierre-Édouard Stérin, dont les actifs sont évalués à 1,2 milliard d’euros. La proximité de ce dernier avec l’extrême droite lui aurait-elle coûté l’affaire ?
Patron d’Otium Capital, de Smartbox et du Fonds du bien commun, Pierre-Édouard Stérin continue à démentir. Catholique, conservateur, libertarien et exilé fiscal – il s’est installé en Belgique en 2012 –, celui que l’Humanité Magazine présentait en début d’année comme le « saint patron de l’extrême droite », n’en démord pas. « Je suis engagé, écrit-il à l’Humanité, mais mon engagement n’est pas partisan, à ce titre je revendique cette neutralité. Comme vous avez pu le voir, j’échange et soutiens des personnalités de différents partis et sensibilités de la droite. »
150 millions d’euros pour faire gagner l’extrême droite dans les urnes et dans les têtes
Un document ultra-confidentiel, établi à l’automne 2023 et que l’Humanité a pu consulter, dit pourtant tout le contraire sur une vingtaine de pages dont nous révélons les grandes lignes aujourd’hui. Cette feuille de route vise très explicitement à installer au pouvoir en France une alliance de l’extrême droite et de la droite libérale conservatrice.
Ce projet politique, rédigé comme un business plan de start-up, détaille un plan global et systémique en une série d’étapes savamment coordonnées, avec un rétroplanning, des « cibles » à approcher, des « talents » à recruter…
Avec Périclès, Pierre-Édouard Stérin ambitionne de déployer 150 millions d’euros sur les 10 prochaines années.
Document l’Humanité
Son « nom de code », Périclès, avait déjà été dévoilé par la Lettre A, en avril. Tout comme l’identité de certains de ses protagonistes, issus, pour une bonne part, de la galaxie financière d’Otium Capital ou de réseaux tissés avec des « Républicains », l’entourage de Zemmour ou directement au RN… Mais comme en témoignent nos révélations en détail, cette opération secrète imaginée par Pierre-Édouard Stérin et ses proches, c’est bien plus que ça !
Un acronyme, d’abord, constitué à partir d’une litanie explicite : « Patriotes Enracinés Résistants Identitaires Chrétiens Libéraux Européens Souverainistes. » Un objectif, ensuite : « Notre projet découle d’un ensemble de valeurs clés (liberté, enracinement et identité, anthropologie chrétienne, etc.) luttant contre les maux principaux de notre pays (socialisme, wokisme, islamisme, immigration). Pour servir et sauver la France, nous voulons permettre la victoire idéologique, électorale et politique. »
Périclès défend les valeurs de l’extrême droite.
Document l’Humanité
Dans cette grande ambition, autant que pour ses activités de charité – bien ordonnées, toutefois, vers l’école privée ou les anti-IVG – qu’il met systématiquement en avant, l’homme d’affaires ne lésine pas sur les moyens, promettant à Périclès un budget de 150 millions d’euros sur les dix prochaines années.
Pour limiter « le risque légal et réputationnel » d’un tel lien financier, des précautions sont prises. Ainsi, les promoteurs de Périclès ont créé, il y a un an, pile-poil, une « association mère » qui a pour objet de « développer et soutenir tout projet visant au rayonnement de la France, au respect de sa culture, à la préservation de son identité et de ses traditions ». Une autre structure associative, domiciliée à l’adresse du siège parisien d’Otium Capital et du Fonds du bien commun, a été montée au printemps, avec trois des dirigeants recrutés pour Périclès comme représentants légaux.
Au-delà de la phase d’« incubation » de Périclès, Stérin entend s’impliquer à chaque étape : c’est, par exemple, sur le propre réseau social professionnel du milliardaire libertarien que repose une bonne part de la recherche des candidats destinés à constituer une « réserve » de plus de 1 000 personnes « alignées » sur ses valeurs et aptes à gouverner en 2027 en cas de victoire de Le Pen à la présidentielle.
« La réserve est encore au stade de projet », se défend Pierre-Édouard Stérin. Pas davantage de porosité, assure-t-il, entre Périclès et ses différentes structures financières. « Le projet Périclès est séparé des autres projets, notamment du Fonds du bien commun, avec des locaux différents, équipes différentes et flux financiers distincts », répond Stérin à l’Humanité. Également sollicité, Alban du Rostu, directeur du Fonds du bien commun, qui revendique dans son manifeste être « apolitique », n’a pas répondu à nos questions.
« 300 villes à gagner absolument par le RN en 2026 »
Périclès, ce n’est pas seulement une structure et un financement. C’est aussi un programme qui voit loin – jusqu’en 2032 – et qui se décline en autant d’actions multifacettes. L’année dernière, près de 3,5 millions d’euros ont été distribués au titre d’un « essaimage » à des bénéficiaires – non identifiés explicitement – engagés pour « la famille, base de la société », contre la « théorie du genre », pour « la préférence nationale », contre la « laïcité agressive », pour la « place particulière du christianisme » et contre « l’assistanat », etc. Autour de ces thèmes gravite une galaxie de lobbies dirigés par des « auditeurs » de l’Institut de formation politique (IFP), dirigé par Alexandre Pesey, intronisé « conseiller opérationnel » de Périclès.
À ses côtés, Nicolas Govillot, dirigeant de haut rang au sein du Crédit mutuel. « Jusqu’en avril dernier, M. Govillot était en charge de l’investissement pour les Assurances du Crédit mutuel, l’un des investisseurs majeurs en France. De ce fait, il est naturel que M. Govillot ait des échanges avec les principaux investisseurs français, dont monsieur Stérin fait partie, assume un porte-parole des ACM. M. Govillot n’a aucun autre engagement en dehors de ces fonctions. Il n’occupe aucune fonction dans le projet que vous citez. »
Parmi les grands « projets organiques » de l’opération Périclès, engagés en 2023, une « guérilla juridique » conduite par un collectif d’une vingtaine d’avocats, avec à sa tête le Belge Aymeric de Lamotte, qui ambitionne de lancer à terme une quarantaine de procédures par an. Autre mission : du « conseil opérationnel » en vue des municipales, au service exclusif des lepénistes, avec l’objectif de « 300 villes à gagner absolument par le RN en 2026 ».
Objectif annoncé : faire gagner 300 mairies au RN.
Document l’Humanité
Une « école des futurs maires » a été mise en place, il y a trois mois, sous la marque Politicae. Présentées comme « non partisanes » et purement techniques, ces formations en ligne, délivrées par des élus locaux – dont l’un, Antoine Valentin, maire de Saint-Jeoire (Haute-Savoie), figure parmi les candidats LR-RN battus aux législatives –, ne tournent pas encore à plein régime.
Sous la direction de Philippe de Gestas, ex-secrétaire général du Mouvement conservateur – un micro-parti issu des rangs de la Manif pour tous rentré à l’UMP via Sens commun et rallié à Reconquête ! lors des européennes –, Politicae a déjà procédé à plusieurs recrutements avec, pour objectif final, « faire gagner, en 2026, plus de 1 000 maires de petites et moyennes communes ».
Afin d’alimenter le narratif en faveur de l’union des droites extrêmes, Périclès entend encore financer des « baromètres » dédiés à l’insécurité, à l’immigration et à « l’extrême gauche ». L’achat d’un institut de sondage est envisagé. Mais le projet le plus central est sans doute la mise en place du « premier think tank de droite en France ».
Pour parvenir à cet objectif, Périclès n’écarte pas l’option d’un « achat », là aussi, de structures existantes : l’Institut Thomas-More, créé par Charles Millon, ou la Fondation du Pont-Neuf, liée à Charles Beigbeder…
Bien peser le pour et le contre
Document l’Humanité
Installer une « présence proche » avec des responsables politiques d’extrême droite
Dans le document que révèle l’Humanité, une page attire particulièrement l’attention. Y figurent les portraits des grands noms de la droite et de l’extrême droite, de Nicolas Sarkozy à Laurent Wauquiez ou Marion Maréchal, avec lesquelles Périclès entend installer une « présence proche » afin de gagner leur « confiance » et une « influence réelle » sur eux.
Sans surprise, ce sont Marine Le Pen et Jordan Bardella qui figurent au firmament de ce classement. Mais Éric Ciotti y trouve aussi une bonne place. « Comme vous pouvez le constater des échanges sont en cours ou prévus avec des personnalités de toutes les sensibilités de droite, d’Horizons, de LR, de Reconquête, du RN ou de personnalités non affiliées », répond Stérin aux questions de l’Humanité.
Périclès déploie sa toile au sein des politiciens de droite.
Document l’Humanité
Présent dans la salle lors du dévoilement du projet, l’ex-premier ministre François Fillon tempère son implication dans Périclès. « Comme vous le savez, j’ai quitté la vie publique et je ne participe à aucun parti, ni à aucune organisation politique, soutient-il en réponse à nos questions. J’ai rencontré Pierre-Édouard Stérin et assisté à une présentation de son cercle de réflexion, mais je n’y participe d’aucune façon. Je considère cependant que tous les projets pour renouveler la pensée de la droite en France sont les bienvenus et ce n’est pas l’Humanité qui peut contester l’utilité d’une réflexion idéologique et d’écoles de formation des cadres ! »
François Fillon ne serait pas la seule personnalité politique approchée, via le projet Périclès, par Pierre-Édouard Stérin. « Je peux simplement vous confirmer que nous avons échangé avec une demi-douzaine d’anciens ministres de droite des gouvernements de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron au cours des derniers mois », reconnaît l’intéressé. « Le contexte politique actuel a fortement augmenté ma volonté d’agir au service des droites, qui sont majoritaires mais dont la division conduira peut-être à un gouvernement de gauche », ajoute le milliardaire.
Financements à fonds perdu et aide aux « ressources humaines » de campagnes politiques, volonté de poursuivre systématiquement les adversaires devant les tribunaux, conseils stratégiques, menées idéologiques… l’ambition de Périclès dépasse les frontières hexagonales. Un « voyage international (Hongrie) pour inspiration/alliances » est ainsi évoqué. Et, à l’horizon 2027-2032, une « présence dans cinq pays européens ».
Dans une tribune publiée jeudi par le Figaro, l’homme d’affaires officialise l’existence de ce « projet politique au sens noble du terme », selon lui « totalement indépendant » de ses activités économiques. « Je ne suis pas un homme politique et je ne le serai jamais », y assure-t-il.
Auprès de l’Humanité, il insiste sur « la nature confidentielle » du document que nous reproduisons : sa publication serait, prévient-il, constitutive « d’une divulgation du secret des affaires et pourrait exposer votre journal à des poursuites ».