+450% de budget, des résultats minimes :
les folies sécuritaires
de Valérie Pécresse en Île-de-France
Révélations. Depuis 2016 et la création d’un « bouclier de sécurité » sous l’impulsion de Valérie Pécresse, les budgets alloués par la région Île-de-France se sont envolés et les dispositifs se sont accumulés, aux frontières de la légalité. Radiographie d’une politique sécuritaire qui malmène les libertés et alimente, du côté des industries de la peur, de juteux profits.
L'Humanité Lundi 14 Novembre 2022
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Valerie Pecresse en visite au salon MILIPOL sur la sécurité intérieure. Photo Ludovic MARIN / AFP
Pendant la campagne présidentielle, elle promettait de « ressortir le Kärcher de la cave » pour « nettoyer les quartiers » et « remettre de l’ordre dans la rue ». Depuis 2016 et l’adoption par le Conseil régional d’Île-de-France qu’elle préside de son « bouclier de sécurité », Valérie Pécresse espère faire de la région capitale le laboratoire d’une lugubre dystopie sécuritaire. Quitte à jouer les funambules sur la frontière de la légalité.
Trois axes principaux charpentent les politiques auxquelles cette obsession sécuritaire a donné corps : la généralisation dans l’espace public (transports, lycées, etc.) de la vidéosurveillance ; la participation au financement d’équipements et d’armes à destination des polices municipales ; le déploiement dans les lycées de brigades régionales de sécurité.
Depuis 2016, les dépenses sécuritaires de la Région ont connu une hausse exponentielle : doté d’un budget de 4 millions d’euros au lendemain de sa création, en 2017, le bouclier de sécurité s’est vu affecter, en 2022, 21,9 millions d’euros de crédits de paiement, soit une envolée de 447,5 %. Si l’on y ajoute les dépenses consacrées à la « sécurisation » des lycées, cela porte à 33,4 millions le budget que la Région Île-de-France consacre à la sécurité. À titre de comparaison, le budget régional réservait 120 millions d’euros à la culture en 2016, et 102 millions d’euros en 2022, soit un recul de 15 %.
Le préfet alerte
Dans un recours gracieux adressé le 18 janvier 2022 à la présidente du Conseil régional d’Île-de-France, le préfet de région pointe l’absence de fondements légaux de cette politique sécuritaire. Visées, deux délibérations : l’une, datant du 22 septembre 2021, visant à modifier la liste des équipements des polices municipales susceptibles d’être subventionnés par le conseil régional d’Île-de-France et attribuant de telles subventions ou des fonds de « soutien à l’équipement en vidéoprotection » à 35 collectivités locales, l’autre, datant du 19 novembre 2021, prévoyant de financer à hauteur de 80 000 euros les brigades de sécurité dans les lycées pour l’achat de véhicules et de divers équipements qui ne sont pas mentionnés.
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Pécresse balaie d’un revers de la main
Dans ce recours gracieux, le préfet de région rappelle surtout que la compétence en matière d’ordre public revient au maire et au préfet de département, la Région ayant, elle, pour mission de « contribuer au développement économique, social et culturel ». Il en déduit que « les subventions à des polices municipales ne relèvent d’aucun de ces domaines » et remarque que « le code de la sécurité intérieure ne confère aucune compétence au conseil régional en matière de prévention de la délinquance ».
Il conclut en citant le jugement du tribunal administratif de Marseille qui déniait le 17 décembre 2019 au Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur la compétence pour subventionner les polices municipales de sa région. Une « jurisprudence » confirmant selon lui que « les Conseils régionaux n’ont pas compétence pour doter financièrement en équipements les polices municipales. »
Dans sa réponse pour le moins sèche, datée du 31 janvier 2022, Valérie Pécresse conteste la portée jurisprudentielle de cette décision, « un jugement d’espèce isolé », balaie d’un revers de main ce rappel à l’ordre et se dit « extrêmement étonnée du calendrier dans lequel intervient ce recours gracieux concernant des dispositifs qui ont été mis en place il y a plus de cinq ans maintenant ».
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La Gauche francilienne contre-attaque
Quelques jours plus tôt, le 28 janvier, l’exécutif régional faisait voter l’attribution de 337 subventions au titre du bouclier de sécurité pour un montant total de 1 004 675 euros. Sans aucune mention aux élus du recours préfectoral…
Délibération aussitôt attaquée au tribunal administratif de Montreuil par les groupes communiste et écologiste. « La dérive sécuritaire de Valérie Pécresse donne le tournis, s’alarme Ghislaine Senée, cheffe de file des élus écologistes au Conseil régional. Par un calcul politicien et clientéliste qui n’a que peu à voir avec l’intérêt général, Valérie Pécresse utilise les moyens de la région et dépense des millions d’euros d’argent public pour financer un arsenal inefficace et dangereux, qui, sans autre vision politique que la répression, remet en cause les libertés publiques. »
En duo avec Céline Malaisé, présidente du groupe de la gauche communiste, écologiste et citoyenne, cette élue a déposé au tribunal administratif de Montreuil une requête en annulation contre le financement par la Région de l’acquisition d’armes létales, des pistolets semi-automatiques de calibre 9 mm, destinés à équiper les policiers municipaux de Nangis.
Les requérantes y dénoncent un « détournement de pouvoir » : « Il est permis de s’interroger sur la volonté réelle de l’autorité administrative d’instituer ce financement, dans le contexte électoral actuel, et alors que la présidente du Conseil régional est candidate à l’élection présidentielle ». À cette accusation, Valérie Pécresse rétorque que « la sécurité est l’affaire de tous ». Céline Malaisé pense au contraire que la présidente du Conseil régional s’est servie de ce bouclier de sécurité comme d’une « arme politique ».
« Ce bouclier est apparu durant les régionales de 2015 pour imposer le thème de la sécurité, ou plutôt de l’insécurité. Alors même que la Région n’a absolument aucune compétence en la matière. Cela permettait de ratisser large, jusqu’à l’extrême droite et ainsi gagner l’élection, expose-t-elle. Une fois installé, ce bouclier permet aussi à Valérie Pécresse de se conférer un simulacre de pouvoir régalien.
D’ailleurs, la présidentielle de 2022 a été l’occasion d’utiliser le bouclier comme un démonstrateur de la politique sécuritaire que Valérie Pécresse voulait pour le pays à grands coups de financements illégaux pour des drones policiers et des armes létales. Ce dévoiement a d’ailleurs divisé la droite régionale. »
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La reconnaissance faciale, dernière lubie de la Région
Avec l’horizon des Jeux olympiques de 2024, l’exécutif régional s’est trouvé une nouvelle obsession sécuritaire, un nouveau fétiche « technologique » : la reconnaissance faciale. Un rapport d’Île-de-France mobilités, auquel L’Humanité a eu accès, demande à l’État, « en lien avec la CNIL », « d’assouplir les conditions d’expérimentation de traitement des images vidéo par intelligence artificielle » dans le vaste champ de la « sûreté ».
Ces technologies, qui mobilisent des algorithmes pour analyser en temps réel des images fournies par des caméras de surveillance, seraient déployées avec le Laboratoire pour l’intelligence artificielle (Lab IA) rattaché à la Direction interministérielle du numérique, financé à hauteur de 1,2 million d’euros par la Région pour développer ses projets d’intelligence artificielle. En matière de « vidéosurveillance automatisée », la région n’en est pas à son coup d’essai.
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Les entreprises de sécurité dans le coup
Pour les entreprises du secteur, les politiques régionales conduites par la droite sont une aubaine. Sur son site internet, Verisure, anciennement Securitas Direct, spécialisée dans les alarmes avec télésurveillance, tire ainsi un argument commercial de la subvention régionale de 100 euros encourageant l’achat par des particuliers de ce type de dispositif : « Une bonne nouvelle pour les Franciliens désireux de protéger efficacement leur cocon familial. »
L’entreprise Avocotés Protection double de son côté la mise : « Le Conseil Régional Île-de-France apporte une aide forfaitaire de 100 euros aux Franciliens. AvoCotés Protection vous offre 100 euros supplémentaires ! » D’après l’exécutif régional, 1000 Franciliens auraient déjà sollicité cette aide. Son bouclier de sécurité a beau se fissurer de toute part, pour Valérie Pécresse, c’est l’affichage qui compte : « Les Franciliens savent qu’ils peuvent toujours me compter à leurs côtés pour les défendre et les protéger. »