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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

En cinq ans, comment la vague #MeToo a changé le monde

5 Octobre 2022, 07:02am

Publié par PCF Villepinte

En cinq ans,

comment la vague #MeToo a changé le monde

Sexisme. Fin 2017, l’affaire Weinstein déclenchait une libération massive de la parole des femmes victimes de violences sexuelles. Mais, en France, faute de volonté politique, la réponse judiciaire n’est toujours pas à la hauteur de cette révolution.

Alexandre Fache L'Humanité Mercredi 5 Octobre 2022

Depuis cinq ans, les slogans brandis dans les cortèges féministes sont marqués par l'onde de choc du mouvement MeToo. Hans Lucas via AFP

Une vague, une révolution, un séisme, une déflagration… Le mouvement, né en octobre 2017, des révélations sur le comportement de prédateur sexuel du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, a été affublé de bien des qualificatifs. Tous décrivent l’onde de choc massive qu’a constituée cette affaire, à l’origine d’une libération de la parole inédite et (quasi) planétaire des femmes victimes de violences sexuelles, symbolisée par le mot-dièse #MeToo.

Qu’en reste-t-il, cinq ans après, en France singulièrement, où un autre mot-clé a été lancé au même moment, #BalanceTonPorc, par la journaliste Sandra Muller? Les femmes se sentent-elles plus légitimes à dénoncer harcèlement, agressions ou viols? Et surtout, cette parole est-elle mieux prise en compte par la police et la justice? Plus largement, l’égalité femmes-hommes, instituée en «grande cause» du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, et la lutte contre les violences ont-elles connu des avancées à la hauteur de la déflagration d’octobre 2017?

Octobre 2017, une révolution s’enclenche

C’est la presse américaine qui allume la première mèche de ce feu qui brûle encore aujourd’hui. Le 5 octobre 2017, le New York Times publie de premières révélations sur la façon dont Harvey Weinstein utilisait sa position de producteur influent pour obtenir des faveurs sexuelles. Cinq jours plus tard, le magazine New Yorker enfonce le clou avec une enquête signée Ronan Farrow, dans laquelle Asia Argento et deux autres actrices accusent le producteur-prédateur de les avoir violées.

Le 15 octobre, un tweet de la comédienne Alyssa Milano lance définitivement la vague, en offrant à cette libération de la parole la puissance des réseaux sociaux, au-­delà du cas Weinstein. «Si vous avez été harcelée ou agressée sexuellement, écrivez me too (moi aussi) en réponse à ce tweet», invite l’actrice révélée par la sitcom Madame est servie.

Le mot-dièse #MeToo, créé dès 2006 par la militante afro-américaine Tarana Burke, discret jusque-là, devient alors viral et les témoignages affluent par milliers. «Ce nest que le début. Ce nest pas un moment, cest un mouvement», promet Tarana Burke à la télévision américaine, en décembre 2017. Elle avait raison.

En France, la journaliste Sandra Muller utilise aussi Twitter, dès le 13 octobre, pour encourager les victimes à dénoncer leurs agresseurs: «#BalanceTonPorc! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot.» Avant, quelques heures plus tard, de pointer son harceleur, Éric Brion, l’ex-patron de la chaîne Equidia. Poursuivie pour diffamation, Sandra Muller sera d’abord condamnée en première instance, mais blanchie en appel et en cassation, au « bénéfice de la bonne foi ».

Interrogée par l’AFP, elle dit aujourd’hui ne pas regretter son tweet. «Ça a complètement ruiné cinq années de ma vie, mais quand on a les moyens de faire changer une société pour installer de meilleures règles, (…) oui, c’est une satisfaction», confie celle qui «commence à peine à retrouver sa vie davant».

De quoi #MeToo est-il le nom?

De fait, la vague lancée fin 2017 n’a pas cessé de déferler. Dans la foulée de l’affaire Weinstein, des mots-dièses ont été déclinés dans de nombreux pays, pour encourager les prises de parole: #EnaZeda (moi aussi) en Tunisie, #Cuéntalo (raconte-le) en Espagne, #QuellaVoltaChe (cette fois où) en Italie…

En France, ce sont les différents lieux de pouvoir qui ont vu, tour à tour, les témoignages affluer: #MeToo ­cinéma, théâtre, médias, politique… Pas du tout une coïncidence pour la sénatrice PS et ex-ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol. «Les violences sexuelles infligées aux femmes résultent de la facilité donnée aux hommes de pouvoir en abuser; mais cest aussi pour eux une façon de rappeler aux femmes que si elles évoluent dans ces milieux-là, cest à leurs risques et périls.» Pour l’élue, qui vient de cosigner un rapport choc sur « L’industrie de la pornographie », «#MeToo, cest la troisième révolution féministe, celle du corps. Celle qui permet de faire le lien entre ces violences et la persistance des inégalités».

Présidente de la Fondation des femmes, Anne-Cécile Mailfert salue, elle aussi, cette «révolution culturelle» qui a «touché en profondeur la société, dans tous les milieux». «Jusqu’à #MeToo, on avait beau dire aux femmes il faut porter plainte, cela ne marchait pas. Depuis, le sujet des violences sexuelles s’est imposé partout: à la machine à café, dans les repas de famille, dans les médias Et beaucoup de femmes nhésitent plus à témoigner.»

Elle aussi coautrice du rapport sur la pornographie, la sénatrice PCF Laurence Cohen y voit rien de moins qu’ «un mouvement historique». «En témoignant, en exprimant leur ras-le-bol face aux violences, des femmes du monde entier ont démontré quelles n’étaient pas des cas isolés, mais les victimes dun problème systémique. C’est un acquis fondamental.»

D’innombrables classements sans suite

Résultat: depuis cinq ans, le silence nest plus forcément la règle dans ces affaires. Selon un bilan présenté en début dannée par le ministère de lIntérieur, le nombre de signalements pour des violences sexuelles a progressé de 82 % depuis 2017.

Mi-septembre, la procureure de la République de Paris, Laure Beccuau, évoquait aussi un nombre de plaintes, pour ce type de violences, en hausse de 30 % dans la capitale en 2022, par rapport à l’an dernier. «Cette évolution peut avoir deux sources, une hausse objective des faits, mais aussi une hausse liée à la libération de la parole», précise la procureure, qui y voit un effet de la vague #MeToo.

LA FONDATION DES FEMMES ESTIME QUE MOINS D’UN AGRESSEUR SUR TROIS FAIT L’OBJET DE POURSUITES.

Le problème, c’est la prise en compte de cette parole ­libérée. «Face à cette vague, la justice reste encore bien trop lente et inefficace, faute dune réelle volonté politique», regrette Anne-Cécile Mailfert, de la Fondation des femmes. Selon les calculs de l’organisation, moins d’un agresseur sur trois fait l’objet de poursuites.

«On estime à 94000 le nombre de femmes majeures victimes de viol ou de tentative de viol chaque année. Le nombre de plaintes et de signalements progresse, mais les condamnations, elles, sont en baisse. On a atteint en 2020 un plus-bas historique avec seulement 732  condamnations… Cela s’explique en partie par la crise Covid, mais pas seulement. C’est une tendance lourde.»

En cause, le manque de moyens d’une institution submergée, qui conduit à d’innombrables «classements sans suite», faute de possibilités d’enquêter. Et quand des poursuites sont finalement engagées, les victimes doivent s’armer de patience: le délai moyen pour obtenir un premier jugement dans une affaire de viol sur majeur est de 77 mois, soit près de six ans et demi!

«Le délai le plus court auquel j’ai assisté, c’est trois ans. Comment inciter les femmes à se lancer dans des procédures aussi longues et coûteuses?» interroge Emmanuelle Piet, la présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), qui gère la ligne d’écoute Viols Femmes Informations (0800 05 95 95), toujours sous-dotée par rapport au nombre dappels.

Si les associations féministes reconnaissent que certains progrès ont été réalisés depuis 2017 par la justice et la police, «la réalité que vivent les femmes, cest encore massivement des refus de dépôt de plainte, une minimisation des faits ou des viols requalifiés en simples agressions sexuelles», énumère Clémence Pajot, la directrice de la Fédération nationale des centres d’information des droits des femmes et des familles, qui a accompagné l’an passé près de 46000 femmes victimes de violences sexistes.

Un manque évident de volonté politique

Pour l’ex-ministre Laurence Rossignol, «il y a certes davantage de monde aujourdhui pour croire les femmes qui dénoncent des violences, mais la règle générale reste la suspicion». La sénatrice souligne la responsabilité du président de la République dans ce statu quo. «Le 25 novembre 2017, Emmanuel Macron réunit les associations féministes à l’Élysée et lance sa grande cause, en pleine affaire Weinstein. Et que dit-il? Je ne veux pas dune société de la délation.” Dès que des femmes parlent, on leur oppose l’argument de la “délation”.»

Des mots repris à l’identique, il y a tout juste une semaine, par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, affirmant sa volonté de «siffler la fin de la récré» dans l’affaire Bayou, fustigeant les cellules d’enquête mises en place par certains partis politiques, ou niant tout «problème de tempo de la justice» dans les affaires de violences sexuelles. Circulez, mesdames, y a rien à faire de plus contre ces violences!

«On ne demande pas la fin de la présomption d’innocence, mais simplement une présomption de crédibilité de la parole des femmes», précise Emmanuelle Piet, du CFCV, à l’unisson de l’ensemble des militantes féministes. Pour cela, il faut des professionnels dûment formés au recueil de cette parole, dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux, mais aussi des moyens plus conséquents octroyés aux associations, qui sont en première ligne auprès des victimes.

Or, sur ces deux points, le compte n’y est pas. «Dès la fin 2017, on a alerté sur l’afflux massif de témoignages qui déferlaient sur ces structures, mais les subventions n’ont été revalorisées que très faiblement», accuse Anne-Cécile Mailfert, qui dresse un constat similaire pour la police et la justice. «Au commissariat de Sarcelles, le nombre d’enquêteurs de la brigade de protection de la famille est passé de 5 à 10 en novembre 2021. C’est très bien… mais encore largement insuffisant pour traiter les 1000 à 1500 plaintes qui leur sont adressées», relève la militante.

La demande de tribunaux spécialisés

Pour améliorer le traitement judiciaire des violences faites aux femmes, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer la mise en place de tribunaux spécialisés, comme en Espagne ou au Québec. «En France, les dysfonctionnements sont aujourd’hui trop nombreux, il faut en passer par là», plaide ainsi la sénatrice Laurence Cohen.

Des expérimentations existent dans certains tribunaux autour des violences conjugales (Reims, Rennes, Chartres) et une mission parlementaire doit être lancée sur le sujet à la demande d’Élisabeth Borne. Mais, au sein de l’institution, tout le monde ne soutient pas forcément cette idée. Pour la vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats, Cécile Mamelin, «cest la place quon accorde à la femme dans la société quil faut revoir, et ça passe dabord par l’éducation».

Depuis 2001, la loi qui prévoit trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle dans les écoles, collèges et lycées est largement ignorée. Un immense chantier à rouvrir pour tuer dans l’œuf les violences sexuelles de demain.

 

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