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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

PREMIER PLAN Perte d’autonomie, le lourd dilemme des familles

21 Février 2022, 07:21am

Publié par PCF Villepinte

Face à la dépendance d’un proche, de nombreuses personnes se retrouvent seules face à un casse-tête administratif et financier. Et culpabilisent parfois des choix qu’elles doivent faire contre l’avis de leur parent. Témoignages.

Publié le Lundi 21 Février 2022 L'Humanité Nadège Dubessay

Le nombre des 75 ans et plus représentera 13,5 % de la population en 2060, contre 9,3 % en 2020. ANDBZ/Abaca

Mal aux articulations. Douleurs aux jambes. Peur de tomber. À 96 ans, Émilienne ne sortait pratiquement plus de chez elle, un appartement au 3e étage d’un HLM de Colombes (Hauts-de-Seine). Son quotidien était ponctué par les allers-retours de la femme de ménage, de l’infirmière et de la kiné. Le gendre ou les filles se chargeaient des courses. La vie devait forcément continuer ainsi.

 «Elle était bien chez elle, depuis soixante-cinq ans quelle occupait lappartement!» raconte sa fille Valérie, 52 ans. Émilienne n’imaginait pas qu’il pourrait en être autrement. Pourtant, l’état de santé de la vieille dame devient de plus en plus problématique. «Elle ne pouvait plus marcher, même avec le déambulateur. Cest à peine si elle mangeait toute seule», se souvient Valérie. S’ensuit une longue et épuisante période où toute la famille – nombreuse – se relaie pour la toilette, les repas, le ménage, les courses… 

«Il est arrivé quelle mappelle en journée, quand j’étais au boulot, pour que je vienne et laccompagne aux toilettes», explique sa fille. La mort dans l’âme, la famille finit par envisager un établissement spécialisé. Même Émilienne, qui culpabilise en voyant ses proches se démener pour elle, s’y résout. Sa kiné intervient justement dans un Ehpad tout proche. La résidence jouit d’une bonne réputation, ce qui rassure tout le monde.

Émilienne emménage en septembre 2021 dans une chambre de 21 m2 à 86 euros la journée, auxquels il faut ajouter la part de dépendance. Soit au total un peu plus de 3100 euros par mois, à sa charge. «Ma mère, entre sa pension et la réversion de son mari, perçoit 1700 euros par mois», précise Valérie. En attendant – six longs mois – de connaître le montant des aides, la famille prend en charge le surplus. Au final, entre l’APA (allocation personnalisée d’autonomie) et les aides sociales, le reste à payer s’établit à 375 euros. Aujourd’hui, Émilienne ne loupe jamais le Loto du jeudi. «Elle a repris du poids et a bien meilleure mine. Je nai plus peur de la chute. Plus peur quand elle ne répond pas au téléphone. Je peux enfin dormir sur mes deux oreilles», souffle Valérie, soulagée.

49 % des résidents d’ehpad atteints de troubles démentiels

Poids de la culpabilité, casse-tête administratif, logistique chamboulée, contraintes financières… Pour les familles, la perte d’autonomie d’un proche représente toujours un cruel dilemme. Sans parler des enjeux symboliques, face à une situation qui renvoie chacun à son propre vieillissement. Alors on attend le dernier moment. Et l’entrée en établissement se fait souvent dans l’urgence. D’autant que les Ehpad, qui constituent l’essentiel de l’offre d’accueil, n’ont pas vraiment le vent en poupe. La tragique affaire Orpea, leader mondial des Ehpad, révélée dans les Fossoyeurs, le livre choc de Victor Castanet, ne fait que renforcer la tendance.

Annette, 70 ans, était au départ plutôt satisfaite de l’accueil réservé à sa mère, dans cet Ehpad public de Chartres (Eure-et-Loir). C’était il y a sept ans. Georgette, alors âgée de 89 ans, ne voulait surtout pas entendre parler d’une assistance pour sa toilette. À l’époque, Marcel, son époux, essayait tant bien que mal de lui venir en aide. Mais une méchante chute lui fracture le col du fémur. Puis une autre. «Mon père voulait soccuper delle jusquau bout. Il fallait pourtant se rendre à l’évidence, même si cela lui brisait le cœur», se souvient Annette.

Il signe pour sa femme un placement en institution. Et meurt trois semaines plus tard. Sa fille, assistante sociale à la retraite, prend la relève. Pour Georgette, la transition se passe plutôt bien. «Elle a retrouvé une vie sociale quelle navait plus.» Mais depuis, le Covid est passé par là. Avec ses conséquences délétères. «C’était épouvantable. Avec mes frères et sœurs, nous navions plus le droit de visite.» Et même lorsque la famille peut de nouveau la voir, «avec le masque, la distance, elle ne pouvait rien entendre».

L’état de santé de la vieille dame, aujourd’hui âgée de 96 ans, s’est détérioré. Annette a vu aussi les conditions d’accueil se dégrader au fil du temps. Comme dans beaucoup d’établissements: la faute au manque de personnel, au turnover important, au manque de formation. «Ma mère ne veut pas qu’on l’aide pour manger. Mais il faut pourtant bien être présent, parce que sinon elle ne mange pas, insiste-t-elle. On arrive en Ehpad en bout de course. Il faut une attention très importante au confort des résidents qui ne sont pas dans une simple maison de retraite, mais pas non plus dans un hôpital.»

Toutes les études concordent. Le nombre des 75 ans et plus représentera 13,5 % de la population en 2060, contre 9,3 % en 2020. Ils seront quasiment 11 millions en 2035, dont 5 millions âgés de plus de 85 ans. En parallèle, le nombre de places en structure d’accueil évolue moins rapidement. Les Ehpad reçoivent une population de plus en plus âgée et dépendante, voire en fin de vie. Selon le rapport des députées Monique Iborra et Caroline Fiat en 2018, 49 % des résidents souffrent de troubles démentiels, pour beaucoup liés à Alzheimer, et 35 % de «troubles chroniques du comportement».

trois enfants, vivant tous à des centaines de kilomètres

Alzheimer. Le mot tant redouté a été lâché, il y a deux ans, sur les maux de Gisèle, 83 ans à l’époque. Bien sûr, ses enfants avaient remarqué qu’elle oubliait plus souvent que d’ordinaire. Rien de bien alarmant. «Elle a toujours eu la mémoire sélective», sourit son fils Fabrice, 59 ans. Surtout, elle était autonome dans sa maison gardoise, les trois enfants vivant tous à des centaines de kilomètres de là. 

«Les voisins me disaient quil fallait la placer. Mais personne n’était prêt. C’était beaucoup trop tôt! Sa maison, cest le projet dune vie. On ne pouvait pas lui infliger ça. Après réflexion, je crois que je faisais aussi l’autruche. Je voulais croire qu’elle resterait autonome.» Cadre informaticien, il prend les choses en main malgré un emploi du temps déjà très lourd. Avec l’aide de sa compagne, il trouve une association de proximité qui assure le ménage. L’APA prendra en charge 250 euros sur les 600 euros que coûtent les prestations.

 «Je ny connaissais rien. Je découvrais un autre monde. Le plus complexe, cest de comprendre le mécanisme. Tout se passe par courriel. Moi qui déteste la dématérialisation!» En parallèle, le gériatre de Gisèle fait une demande de prise en charge à 100 % pour la Sécurité sociale. Et Fabrice crée un groupe WhatsApp qui réunit toute la famille, mais aussi l’infirmière et l’assistante de vie. «Des professionnelles extraordinaires, dit-il , qui s’occupent des gens, vraiment, jusqu’au bout.»

 L’été 2021, les choses se compliquent. «Ma mère a fait une chute et na pas pu se relever. Linfirmière la retrouvée dans le salon, complètement déshydratée», raconte-t-il. Il fallait augmenter le nombre de visites. Cela n’empêchera pas une seconde chute. Bilan: fracture du col du fémur. Gisèle part à lhôpital, puis en rééducation. Deux longs mois. Cest Chrystelle, linfirmière, qui parlera de cette famille d’accueil, à quelques kilomètres de la maison de Gisèle. Sur les trois places pour personnes âgées, une est à prendre. Fabrice se rend sur les lieux. Découvre Laurence, qui a plaqué son métier d’infirmière pour se consacrer aux personnes âgées, dans son mas cévenol entouré de chevaux.

 «La confiance a été immédiate, se souvient-il. C’est un soulagement monstrueux que de savoir sa mère entre de bonnes mains!» Aujourd’hui, il doit de nouveau s’atteler à la paperasse. Réévaluer l’APA et demander une aide sociale. Car les 1500 euros mensuels de retraite de sa mère ne couvrent que la moitié du coût. «Il faudra aussi voir comment gérer la maison, pour quelle ne se détériore pas.» Et chacun croise les doigts pour que Gisèle, encore en rééducation, accepte ce nouveau foyer. Elle qui demande chaque jour quand elle pourra retrouver son chez-soi…

la très grande majorité des personnes âgées souhaitent rester chez elles

Colocation, béguinage (lotissement immobilier pour personnes âgées), famille d’accueil… toutes ces alternatives au maintien à domicile et au placement en Ehpad restent extrêmement marginales. Alors, tant qu’on peut, on repousse le moment du départ. Selon une étude du Crédoc de 2017, la très grande majorité des personnes âgées souhaitent rester chez elles le plus longtemps possible.

Gisèle et Jean (86 et 94 ans) entendent bien continuer à vivre dans la maison léguée par la mère de Gisèle, à La Troche, petit hameau paisible de la campagne yvelinoise. Jean a des problèmes cardiaques et des malaises réguliers. Conduire lui est interdit. Gisèle, après une chute et plusieurs mois à l’hôpital, se déplace le plus souvent en fauteuil roulant. C’est leur neveu qui s’occupe des courses et les conduit à leurs rendez-vous médicaux. Sa compagne s’occupe de la toilette et prépare à l’avance des plats faciles à réchauffer.

Le neveu tient à respecter le choix de ceux qui sont désormais sa seule famille: «Cest une angoisse quand on doit sabsenter. On a toujours peur que lun ou lautre ne soit tombé. Ça nous est arrivé plusieurs fois de devoir revenir en catastrophe… C’est vraiment un gros cas de conscience. Mais on se dit qu’on accepte ce risque pour ne pas les priver, tant qu’ils sont encore tous les deux, de leur cadre de vie.»

 

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