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SYRIE. DERRIÈRE LA MORT DU CALIFE, LA VRAIE STRATÉGIE AMÉRICAINE

28 Octobre 2019, 12:39pm

Publié par PCF Villepinte

 

Lundi, 28 Octobre, 2019

L’Humanité Pierre Barbancey

Le chef de Daech, Al Baghdadi, a été tué par un commando états-unien. Il était près d’une base militaire turque en Syrie. Le président Trump veut redorer son blason après avoir lâché les Kurdes et prendre la main sur l’or noir du Nord-Est.

Le chef de l’organisation dite de l’«État islamique» (EI ou Daech selon son acronyme arabe) Abou Bakr Al Baghdadi a été tué dans la nuit du 26 au 27 octobre, lors d’une opération militaire américaine dans le nord-ouest de la Syrie. La nouvelle, qui avait d’abord été révélée par certains médias américains, a été officialisée, dimanche, par Donald Trump. «Il n’est pas mort comme un héros, il est mort comme un lâche», a-t-il martelé, précisant qu’il s’était fait exploser avec sa «veste» chargée d’explosifs, alors qu’il s’était réfugié dans un tunnel creusé pour sa protection. Trois de ses enfants sont morts avec lui. «C’était comme regarder un film», a-t-il raconté, relatant comment il avait visionné en temps réel le raid américain grâce à des caméras embarquées par les forces spéciales. «Capturer ou tuer Baghdadi était la priorité absolue de mon administration», a-t-il ajouté.

«Les cellules dormantes vont vouloir le venger»

Si cette mission a été accomplie uniquement par des militaires américains, elle a bénéficié, selon l’aveu même du locataire de la Maison-Blanche, de l’aide d’un certain nombre de pays. «Merci à la Russie, à la Turquie, à la Syrie, à l’Irak et aux Kurdes syriens», a-t-il précisé. Les uns, les Kurdes et les Irakiens dans le domaine du renseignement, les autres pour avoir laissé les huit hélicoptères emmenant les commandos survoler les zones qu’ils contrôlent. Et puis, au détour d’une phrase, cette information très révélatrice: «La Turquie savait où on allait.» Le village où se trouvait Al Baghdadi depuis moins de 48 heures, Baricha, ne se trouve pas dans la zone frontalière irako-syrienne, à l’est, mais au contraire à 5 kilomètres à peine de la frontière turque, à quelques encablures de la ville d’Idleb toujours sous domination islamiste et djihadiste. Un village chrétien dont la signification est «saint Jésus». Et puis, étrangement, près de Baricha, a été établie une base militaire turque…

Ce qui est sans doute plus important est de constater d’abord qu’Al Baghdadi a été purement et simplement livré. Il n’était plus d’aucune utilité, notamment pour la Turquie. Il devenait même gênant, y compris pour d’autres groupes djihadistes comme Hayat Tahrir al-Cham dirigé par Abou Mohammed Al Joulani, qui, auparavant avait fondé le Front al-Nosra (al-Qaida en Syrie). Un groupe qui n’a rien à envier à Daech quant aux exactions et à la violence à l’encontre de tous ceux et tout ce qui n’est pas eux. On peut penser qu’un deal a été passé entre la ­Turquie et les États-Unis. Notamment lors du déplacement du secrétaire d’État américain Mike Pompeo à Ankara, alors que se déroulait l’offensive Source de paix, déclenchée par le président Recep Tayyip Erdogan avec le feu vert implicite de Washington, qui venait d’annoncer le retrait de ses troupes. Cet été, déjà, des pourparlers américano-turcs avaient abouti à des accords secrets.

Sans aucun doute, l’annonce de la disparition d’Abou Bakr Al Baghdadi permet au président américain de redorer son blason, bien écorné avec notamment ce lâchage en rase campagne des Forces démocratiques syriennes (FDS), obligées de se désengager des principales positions qu’elles tenaient depuis 2012. Des FDS qui ne sont pas au bout de leurs peines et s’attendent à des représailles de la part de Daech. «Les cellules dormantes vont venger Baghdadi. Donc, on s’attend à tout, y compris à des attaques contre les prisons» gérées par les forces kurdes où sont détenus des milliers de djihadistes, a indiqué à l’AFP Mazloum Abdi, commandant des FDS. Dans un communiqué, ces dernières alertent d’ailleurs sur le fait que des combattants de Daech et certains hauts dignitaires de cette organisation ont déjà trouvé refuge dans ces zones occidentales de la Syrie contrôlées par l’armée turque.

Maintien des soldats américains sur le sol syrien

Évidemment, la concomitance de cette opération contre Al Baghdadi avec l’annonce du maintien – contrairement à ce qui a été dit – de soldats américains sur le sol syrien ne peut que susciter de nombreuses questions. Vendredi, le chef du Pentagone, Mark Esper, déclarait: «Nous prenons maintenant des mesures pour renforcer notre position à Deir ez-Zor, et cela inclura des forces mécanisées pour nous assurer que le groupe “État islamique” n’aura pas accès à une source de revenus qui lui permettrait de frapper dans la région, en Europe, aux États-Unis.» Les champs pétroliers de la province de Deir ez-Zor (est de la Syrie), non loin de la frontière irakienne, sont les plus grands du pays. Quelque 200 soldats américains y sont stationnés. «Nous examinons ­comment nous pourrions repositionner nos forces dans la région afin d’assurer la sécurité des champs pétroliers», a ajouté Esper, tout en réaffirmant que «la mission en Syrie reste ce qu’elle était au départ: vaincre ­l’“État islamique”» De son côté, le ministère russe de la Défense a dénoncé «ce que Washington fait actuellement – saisir et placer sous contrôle armé les champs de pétrole de l’est de la Syrie – (qui) relève tout simplement du banditisme international».

En réalité, Donald Trump, probablement emporté par son élan lors de la conférence de presse donnée hier matin, a vendu la mèche. «Le pétrole, ça vaut beaucoup pour de nombreuses raisons», a-t-il dit. ­Notamment: «Ça peut nous aider parce qu’on devrait pouvoir (en) récupérer une partie. J’ai l’intention peut-être de faire appel à Aramco (la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures – NDLR) ou à une autre de ces sociétés pour qu’elles investissent là-bas. Il y a beaucoup de réserves, mais ce n’est pas suffisamment exploité.»

Quelques minutes auparavant, il avait déjà affirmé, à propos de cet or noir situé dans les sous-sols du territoire syrien, que «peut-être il faudra se battre pour sécuriser le pétrole. Peut-être que quelqu’un d’autre voudra le pétrole, il faudra qu’il se batte avec nous (…) Nous sommes prêts à négocier de manière équitable ou bien on l’arrêtera avec nos soldats». Et de relever que «les Turcs se sont bien battus» et qu’ensuite «cela a été plus facile de discuter avec les Kurdes, de leur dire de se pousser de quelques kilomètres (…) Les Turcs voulaient une zone de sécurité, on est contents de les avoir aidés».

L’élimination d’Al Baghdadi, pour importante qu’elle soit, ne règle pas grand-chose. D’autant que le jeu trouble de la Turquie, comme relevé plus haut, pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les populations du Nord-Est syrien. Avec l’armée turque, y sont entrés des supplétifs, dont beaucoup d’anciens membres d’al-Qaida et de Daech. Depuis la suspension de l’offensive, le 17 octobre –, dans le cadre d’un accord entre Moscou et Ankara –, émaillée de bombardements et de combats sporadiques, 46 civils ont été tués et 40 membres des FDS ont péri, contre 26 combattants pro-Turcs. Loin de respecter le cessez-le-feu, les supplétifs de l’armée turque tentent de conquérir de nouveaux villages à l’est de Ras al-Aïn et aux alentours de la ville de Manbij.

Al Baghdadi est mort, mais depuis de longs mois maintenant, son poids dans l’Organisation n’était plus le même. Et, comme l’Hydre de Lerne, pour vaincre Daech il ne suffit pas de couper les têtes qui repoussent, mais en finir avec la bête en arrêtant de la nourrir.

Pierre Barbancey

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