Transport. Carole Delga : « Il n’y a plus de conducteur à l’entreprise SNCF »
Lundi, 27 Mai, 2019
L Humanité Christophe Deroubaix
La présidente socialiste de la région Occitanie dénonce les carences de l’entreprise nationale qui « ne joue clairement pas le jeu » d’un service public efficace en matière de TER, et appelle l’État à prendre ses responsabilités. Entretien.
Lors d’une conférence de presse que vous avez tenue la semaine dernière, vous avez fait un bilan d’étape sur la convention signée avec la SNCF il y a un an. Le moins que l’on puisse dire est que vous avez manifesté votre mécontentement. Pour quelles raisons ?
Carole Delga J’ai le sentiment qu’il n’y a plus de conducteur à l’entreprise SNCF. Je crois en un service public efficace, et c’est pourquoi la région Occitanie a fait le choix du service public dans le cadre de la convention TER (transport express régional – NDLR). Avec ma majorité, nous ne croyons pas aux sirènes de l’ouverture à la concurrence. D’ailleurs, je remarque que les régions qui le font n’ouvrent que 20 % de leur réseau au maximum. Il n’y a pas seulement besoin de trains dans notre région, mais il y a une envie de train, car nous constatons une augmentation de la fréquentation. Le train coche toutes les cases : répondre à la question du pouvoir d’achat, agir en faveur de la transition énergétique. De ce point de vue, je considère que nous sommes à un tournant dans l’opinion, mais la SNCF ne joue clairement pas le jeu. Et les efforts de la région en matière de réouverture de lignes, de nouveaux cadencements, de tarification, d’achat de nouveaux trains, sont, de fait, littéralement saccagés. Deux chiffres : 4 000 trains supprimés en 2018 en Occitanie, 15 000 en retard… Ce n’est pas acceptable, et d’abord pour les usagers. Ma région subit une double peine en quelque sorte : pas de ligne à grande vitesse (1), un réseau et un service dégradés. Je dis : « Stop. »
Où situez-vous les responsabilités ?
Carole Delga C’est une entreprise nationale. Elle a donc besoin d’une vision stratégique, d’une feuille de route. On a fait croire aux Français qu’en changeant le statut des cheminots tout irait bien dans le meilleur des mondes. C’est une des nombreuses illusions de ce gouvernement. Il y a la loi mobilités qui arrive à l’Assemblée nationale bientôt : il faut, de mon point de vue, un grand plan d’investissement dans les infra-structures, ce sera bon pour les territoires et l’emploi. Car, en Occitanie, si la région n’avait pas décidé d’investir 75 millions d’euros en urgence, nous aurions 40 % de notre réseau qui pourrait fermer d’ici à 2021. Je le dis avec force : la SNCF est un outil majeur qui doit retrouver le chemin de l’aménagement du territoire si on veut vraiment lutter contre les fractures territoriales et sociales. On a entendu beaucoup de discours sur le sujet, passons aux actes.
Craignez-vous que les usagers puissent se détourner des TER ?
Carole Delga Non. Mais ceux qui prennent le train doivent être encouragés. Voilà pourquoi, avec mon vice-président aux transports, Jean-Luc Gibelin (PCF), nous avons travaillé à la convention TER la plus ambitieuse de France : création de 37 000 places de TER supplémentaires par jour, 11 % d’augmentation des dessertes, 2,5 millions de billets à petits prix, dont 1,5 million à 1 euro… Et nous avons décidé une première, en mars dernier : face aux dysfonctionnements de la SNCF, nous avons offert aux 10 000 abonnés annuels un mois d’abonnement gratuit. Sur ce point, nous serons intraitables : les pénalités à la SNCF reviendront dans la poche des usagers. Il faut soutenir celles et ceux qui choisissent le train, car ils ont fait le choix de l’avenir.
Quelles solutions proposez-vous ?
Carole Delga La solution est d’abord politique : que l’autorité de l’État fasse son œuvre pour permettre à la SNCF de remplir sa mission de service public. Je veux le rappeler : plus de trains dans les territoires, et plus de trains à l’heure, au XXIe siècle, je ne pense pas que ce soit utopique dans l’une des nations le²s plus riches du monde. Ensuite, mieux associer les cheminots, les usagers, les élus. C’est ce que nous avons fait ici, en Occitanie, avec les états généraux du rail, puis avec la création des comités départementaux des mobilités. Je sais que ce besoin et cette envie de trains sont largement partagés dans le pays. Il faut engager une nouvelle bataille du rail.
(1) La loi d’orientation des mobilités, qui arrivera à l’Assemblée nationale avant l’été, devra se positionner sur la finalisation des lignes à grande vitesse (LGV) Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan.
Entretien réalisé par Christophe Deroubaix