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La chronique d’Émile Breton. Un film : L’ultimatum des trois mercenaires de Robert Aldrich ; un livre : L’héritage du Charbonnier, de Boudjema Kareche
Le retour d’un film à la vie est toujours bienvenu. Ainsi d’Ultimatum des trois mercenaires (1977) de Robert Aldrich qui ressort cette semaine en version restaurée et notablement plus longue. Le film, qui portait en anglais le titre moins banal de Twilight’s Last Gleaming (Dernières Lueurs du crépuscule) avait eu bien des malheurs : d’abord Aldrich n’avait pu tourner ce sujet si américain aux États-Unis et avait dû se rabattre sur une production germano-américaine. Puis il avait fait un flop retentissant dans son pays et avait été projeté en Europe et notamment en France, dans une version soigneusement purgée de toute allusion politique. Et pour cause : c’est l’histoire de condamnés à mort évadés qui sous les ordres d’un ancien général de l’US Air Force, Lawrence Dell, injustement condamné, prennent d’assaut un silo à missiles. Ils menacent de lancer les fusées sur l’URSS, déclenchant un conflit mondial, si le président ne se décide pas à révéler les plans secrets de l’armée contre le Vietnam. L’armée et sa volonté de cacher ses desseins les plus noirs en prend, si l’on ose dire, pour son grade, un grade élevé, le haut responsable du massacre final étant le chef d’état major US. Rien de cette face du film ne subsistait dans la version vue en 1977. Il est aujourd’hui restitué dans la version télévisée supervisée par le metteur en scène (mort en 1983) de 2 heures 24. Belle leçon, en fait. Car si les intentions politiques du cinéaste qui ne cacha jamais son opposition à la guerre ne peuvent être cette fois dissimulées, elles sont, en fait, devenues trop visibles. Et cela tient, bien sûr, aux conditions de tournage du film en Allemagne, la terre américaine ayant été refusée à sa production. C’est la trame de l’histoire qui reste seule, et la mise en scène, plutôt molle, ne suit pas. Ce qui prouve qu’il y a bien des moyens de museler un cinéaste. Comme ses films précédents, dont le brutal Attack (1956), celui-ci aurait pu être un brûlot pacifiste. On a un thriller qui se laisse voir. Dommage.
«La Cinémathèque d’Alger dans son effervescence, au lendemain de la Libération.»
Boudjema Kareche, qui fut directeur de la Cinémathèque d’Alger dans son effervescence, au lendemain de la Libération de l’Algérie, a consacré un livre à son ami Mohamed Bouamari (1941/2006), réalisateur du Charbonnier (1972), histoire d’un paysan hier exploité, ancien maquisard de l’ALN, qui s’engage pour la réforme agraire. Le film, à la naissance d’un nouveau cinéma, fier comme son modeste héros, fit le tour du monde. Kareche, sans grand souci d’écriture, raconte cette conquête d’horizons nouveaux, comme il le ferait pour des amis. À la terrasse d’un restaurant, par exemple, comme ils aimaient eux et les leurs le faire, dans ces repas qui commençaient à midi et s’achevaient à deux heures du matin, un nouveau convive arrivant toujours à point pour porter sa pierre à la reconstruction du monde. L’Algérie était pour eux le plus beau pays et ils couraient le monde, de Pékin où Bouamari imaginait les aventures d’un “trabendiste“ sur les routes de la soie à Ouagadougou et ses rires avec Sembene Ousmane. Belle histoire, mais elle finit mal, on le sait, dans le sang des années quatre-vingt-dix, les intellectuels chassés de leur pays par les “fous de Dieu“. Et le cinéma allait mal : « Et c’est comme cela que les carences cumulées participèrent à le mise en bière du cinéma national » écrit Kareche. Reste ce récit, joie et émotion, qu’il faut lire.
PS : ce récit, publié à compte d’auteur, peut être commandé au journal Al Watan.