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Bienvenue sur le blog des communistes de Villepinte

PHILIPPE MARTINEZ: « LE GOUVERNEMENT RAME DERRIÈRE NOS ARGUMENTS »

10 Décembre 2019, 07:48am

Publié par PCF Villepinte

Mardi, 10 Décembre, 2019

Stéphane Guérard, Sébastien Crépel

 Retraites. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s’attend à une journée de mobilisation intersyndicale, ce mardi, « d’ampleur équivalente à celle du 5 décembre ». à 24 heures des arbitrages d’Edouard Philippe, il appelle ce dernier à décider le « retrait du projet » de réforme des retraites, et à reprendre les discussions « sur une autre base ».

Depuis quarante-huit heures, le pouvoir cible la CGT, comme si le blocage était de sa responsabilité. Que lui répondez-vous?

Philippe Martinez Pour un syndicat dont on ne disait qu’il ne comptait plus, on parle beaucoup de nous! C’est l’effet du 5 décembre. On a compté ce jour-là un nombre de grévistes impressionnant, malgré un contexte unitaire qui n’est pas le même qu’en 2010 (contre la réforme Sarkozy des retraites – NDLR), puisqu’il manque au moins une grande confédération. Donc, on fait plus, malgré une division syndicale largement entretenue par le gouvernement. Au-delà, je pense qu’on a marqué des points dans la bataille idéologique sur le contenu de la réforme et sur nos propositions. Ils rament derrière nos arguments. Quand des ministres disent contre toute vérité qu’on ne veut pas discuter, ils cherchent à nous marginaliser. En fait, ce sont eux qui sont sur la défensive.

À la veille des annonces d’Édouard Philippe, avez-vous eu des contacts récents avec le premier ministre?

Philippe Martinez La dernière discussion avec Édouard Philippe était sur les retraites et remonte au 26 novembre. Depuis, je n’ai même pas eu affaire à un conseiller ou un sous-conseiller de Matignon.

Vous êtes prêts à discuter avec le gouvernement?

Philippe Martinez Mais nous y sommes allés! Ce qui leur déplaît, c’est que nous disons: c’est «projet contre projet». Nous les avons vus 24 fois en deux ans, cela fait une bonne moyenne! Ce qui nous est reproché, c’est de ne pas entrer dans le moule de leur réforme.

Cette concertation est étonnante. Vous participez, on vous laisse parler de ce que vous vous voulez, et vous n’avez pas de retour?

Philippe Martinez Non, pour la simple raison qu’ils n’ont pas d’arguments à nous renvoyer. Sur les inégalités hommes-femmes, Jean-Paul Delevoye sait que nous avons raison, mais sa réponse c’est: les inégalités salariales, ce n’est pas mon domaine. Leur projet de réforme est d’abord budgétaire: ils veulent économiser de l’argent.

C’est une réforme budgétaire ou un projet de société?

Philippe Martinez Ce sont les deux! Économiser de l’argent sur les retraites et sur le bien commun, c’est un choix de société. Un choix qui affirme qu’il faut faire moins de dépenses publiques, moins pour le social, etc. Leur prétendu régime universel, c’est dire: on ne dépensera pas plus de 14 % du PIB pour la retraite, même s’il y a davantage de retraités. C’est un système pour les premiers de cordée. Ceux qui ont une carrière sans encombre, avec un bon salaire, auront une retraite à peu près potable. Mais si on est mal payé, qu’on a des périodes de chômage, de précarité – les femmes, notamment –, eh bien on percevra ce qu’on a cotisé. Donc, pas grand-chose. Ça va encore aggraver le phénomène qu’on connaît aujourd’hui avec l’allongement des trimestres, c’est-à-dire qu’on devra continuer à travailler plus longtemps, sinon on n’aura rien à bouffer.

Mais le gouvernement et ses soutiens répètent, quant à eux, que la réforme n’est pas écrite…

Philippe Martinez Ce n’est pas moi qui ai inventé le projet d’un régime par points, ni la prise en compte de l’intégralité de la carrière dans le calcul de la retraite, ni la nécessité qu’il y aurait de travailler plus longtemps. Tout cela, on ne l’a pas inventé, la base de la loi est écrite. Et cela est dit et répété par le premier ministre et le président de la République.

Que répondre à l’argument de l’allongement de l’espérance de vie, brandi par le gouvernement pour justifier un nouveau recul de l’âge de départ à la retraite?

Philippe Martinez Est-ce un problème de vivre plus longtemps? C’est le symbole d’une société moderne. Du temps de Zola, on mourait bien avant l’âge de la retraite, qui n’existait d’ailleurs pas. Ceux qui nous expliquent qu’il faudra travailler plus longtemps ne prennent jamais en compte l’espérance de vie en bonne santé qui, elle, stagne, voire diminue. Il y a quinze jours, j’étais dans un Ehpad à Roussillon, en Isère. Quand j’ai demandé aux infirmières et aides-soignantes si elles se voyaient travailler jusqu’à 64 ans, elles m’ont répondu que ceux qui pensent ça n’ont jamais travaillé de leur vie et qu’elles étaient déjà cassées à 45 ans. Si on travaille plus longtemps, on accélère le vieillissement des travailleurs.

Le premier ministre doit rendre ses arbitrages ce mercredi. Que devrait-il annoncer selon vous, s’il tenait compte de la grève et des journées comme le 5 décembre, et celle qui s’annonce ce mardi?

Philippe Martinez La seule option sensée, c’est le retrait du projet. Et repartir sur une autre base. On peut améliorer notre système, qui est l’un des meilleurs au monde, mais qui connaît un problème de recettes. Il faut prendre en compte les nouvelles formes de travail: pourquoi Uber, Deliveroo ne cotiseraient pas? Les travailleurs du numérique ont droit à la santé et à la retraite. Il faut aussi s’occuper des jeunes, on ne peut pas sacrifier une génération. Aujourd’hui, on ne sort plus des études à 14 ans, mais plus souvent dix ans plus tard: ces périodes, il faut bien les prendre en compte, et la solidarité intergénérationnelle devrait le permettre. Pour les femmes, ce n’est pas une fois à la retraite qu’il faut corriger les inégalités qu’elles subissent, c’est maintenant qu’il faut agir sur les carrières. Faire évoluer dans le bon sens notre système de retraite, c’est aussi revenir en arrière sur certaines réformes négatives. Calculer les pensions sur la base des dix meilleures années de salaire par exemple (et non les vingt-cinq meilleures années), c’est la meilleure façon de neutraliser les années de galère, de précarité, de temps partiels subis, etc. Mais cela appelle des choix politiques. Il va falloir dire au Medef de sortir le carnet de chèques pour payer des cotisations sur les salaires pour les retraites plutôt que de rémunérer les actionnaires.

Mercredi, le premier ministre pourrait choisir de faire de petites concessions à certaines professions ou régimes spéciaux sans toucher au cœur du projet du régime à points. Ce stratagème peut-il fonctionner pour diviser et affaiblir la mobilisation?

Philippe Martinez C’est probablement ce qu’il a l’intention de faire. Mais alors, la réforme risque d’être compliquée à mettre en œuvre. Pour les enseignants ou les personnels de santé, comment va-t-il faire? Va-t-il donner aux uns et rien aux autres? En fait, vu le niveau de mobilisation, je ne vois pas comment il peut s’en sortir.

1,5 million de manifestants revendiqués le 5 décembre, c’est un chiffre très élevé. Est-ce la démonstration d’un regain du syndicalisme, que l’on disait très affaibli?

Philippe Martinez Quand il y a un tel niveau de colère, que les syndicats donnent des explications et font des propositions, qu’ils sont unis et proposent d’agir ensemble le même jour, le résultat est là. Le fait que même les gilets jaunes ont appelé à converger montre que l’organisation sert à quelque chose. Ce n’est pas le contraire de la démocratie, c’est organiser la démocratie.

Êtes-vous surpris du succès du 5 décembre?

Philippe Martinez Oui, même si on le sentait venir dans les entreprises. Ce qui m’a le plus étonné, c’est le nombre de salariés inorganisés qui demandaient comment ils devaient s’y prendre pour faire grève. Cela conforte l’idée que, quand un mouvement est structuré, les salariés se tournent vers le syndicat, car il reste une référence. Par contre, si les syndicats sont à côté de la plaque, les gens se débrouillent tout seuls, ce qu’ont fait les gilets jaunes, par exemple.

Est-ce un mouvement de défense des retraites ou de «coagulation des colères»?

Philippe Martinez La colère est là, la multiplication des mouvements sociaux le montre dans la santé, contre les fermetures d’entreprises, dans l’éducation, chez les gilets jaunes, les pompiers, les cheminots l’an dernier, etc. Le problème, c’est que ces mouvements s’expriment les uns à côté des autres. C’est le premier projet de réforme où tout le monde se sent concerné. C’est un peu le ciment de toutes les luttes antérieures, ce qui explique qu’il y a eu autant de grévistes le 5.

Ce n’est donc pas d’abord un mouvement de défense des régimes spéciaux, comme certains tentent de le faire croire?

Philippe Martinez Même avec 100 % de grévistes à la SNCF et à la RATP, il n’y aurait pas eu 1,5 million de manifestants le 5 décembre. 3500 personnes ont défilé ce jour-là dans les rues d’Aurillac: il y avait sûrement des cheminots, mais je ne crois pas qu’ils étaient 3500.

L’absence d’une plateforme revendicative commune aux syndicats qui appellent à la grève ne constitue-t-elle pas un handicap?

Philippe Martinez Nous travaillons à une plateforme commune, pas que sur les retraites d’ailleurs. Mais nous avons déjà une base commune. Premièrement, nous ne voulons pas de cette réforme des retraites par points. Deuxièmement, nous disposons d’un régime qu’il faut améliorer. C’est un socle important.

La CGT n’a-t-elle pas une difficulté à faire passer ses propositions dans le débat public?

Philippe Martinez Évidemment, nous ne sommes pas aidés par les stratégies de communication qui consiste à mettre d’un côté les «protestataires», et de l’autre les «réformistes». Les discussions avec le gouvernement ne prennent jamais comme point de départ nos propositions. Jouons projet contre projet. Ceux-ci relèvent de choix de société. L’un est solidaire. Pour l’autre, on a inventé un mot, universalité, qui fait beau, mais qui est tout sauf solidaire. Remarquons cependant que le discours sur nos propositions a évolué. On nous dit«Ce n’est pas crédible», «Vous ne voyez pas les évolutions du monde». Mais personne ne nie plus que nous avons des propositions.

La CFDT et l’Unsa se tiennent en dehors du mouvement. Cette division ne pose-t-elle pas un problème?

Philippe Martinez Même si la mobilisation du 5 était exceptionnelle sans l’ensemble des syndicats, cette division demeure un problème. Il s’est aussi posé à l’occasion de la réforme de l’assurance-chômage. La division nous a empêchés de parler d’une même voix. La grande différence entre nous réside dans le partage des richesses. Mais à l’Unsa comme à la CFDT, des syndicats sont dans l’action et disent que le projet de réforme ne leur va pas.

Quel est le rôle du Medef dans ce contexte?

Philippe Martinez Pour le moment, il n’a pas besoin de bouger. D’autres font le boulot. Ils râlent un peu dès que l’on parle de niveau de cotisation. «Ne touchez pas à notre argent», disent-ils. Le patronat, c’est un peu le Monsieur Plus du gouvernement.

Espérez-vous ce mardi un succès équivalent à celui de jeudi dernier?

Philippe Martinez Il y a une vraie dynamique. Tout le monde a été agréablement surpris par l’ampleur du 5. Mais, en face, ils ne sont pas restés sans rien faire, surtout au niveau patronal et dans le privé, où toute une artillerie a été sortie, qui va de la répression à la satisfaction de revendications – comme quoi c’est le moment de revendiquer – pour casser cette dynamique. Le gouvernement a quant à lui beaucoup changé de stratégie, en s’exprimant vendredi alors que ce n’était pas prévu, en se relayant tout le week-end, avec la restitution de Jean-Paul Delevoye d’hier soir, avec les annonces de demain. Même s’ils pataugent un peu, ils se défendent. Malgré cela, je pense que cette journée peut être d’ampleur équivalente à celle du 5, voire plus forte encore. Les échos de nos fédérations nous le font penser. On verra bien le niveau de grévistes dans le privé. Il y a des appels un peu partout. De nombreux préavis ont été déposés dans la fonction publique. Dans l’éducation nationale, ça s’annonce encore très fort.

Pensez-vous qu’une forte mobilisation ce 10 décembre contraindra le gouvernement à retirer son projet?

Philippe Martinez Nous voulons la satisfaction totale: le retrait de la réforme. Le président de la République a affirmé qu’il était dans un acte II de son quinquennat. Il a dit: on écoute, on prend en compte, on est plus proche des citoyens. Quand 1,5 million de personnes se retrouvent dans la rue, quand des grèves s’organisent partout et que sept Français sur dix soutiennent ce mouvement, cela devrait l’inspirer. Un sondage, la semaine dernière, montrait que 44 % des Français font confiance aux syndicats pour faire une bonne réforme des retraites. Et 25 % seulement au gouvernement. En matière de crédibilité, les syndicats ont marqué des points.

Le temps ne joue-t-il pas contre la mobilisation? Ce soutien pourrait s’effriter et le gouvernement jouer le pourrissement…

Philippe Martinez Pour l’instant, tout le monde considère que le gouvernement est responsable de la situation. D’autres gouvernements s’y sont frottés et ont payé cette stratégie. Quant aux sondages, le niveau de soutien était bien plus bas au départ du mouvement. Un tel niveau de mobilisation le 5 implique une réponse à la hauteur. On verra mercredi.

On a appris hier que Jean-Paul Delevoye n’avait pas déclaré ses liens avec le monde de l’assurance. Au-delà de la polémique, n’est-ce pas révélateur des intérêts en jeu derrière cette réforme?

Philippe Martinez Il était déjà là en 2003 pour nous expliquer que sa réforme des retraites était la dernière. Au-delà de la question de ses liens avec cet organisme de formation des assureurs, je note qu’il n’y a jamais eu autant de publicités – peut-être pas dans l’Humanité, mais partout ailleurs! – sur les systèmes de retraites par capitalisation, les assurances en tout genre. C’est bien le signe que les groupes privés d’assurances savent à quoi s’en tenir avec cette réforme des retraites.

Entretien réalisé par Stéphane Guérard et Sébastien Crépel

 

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